REPORTAGE: 7 ans et des poussières d’avenir

Pas plus hauts que trois pommes et déjà de lourdes responsabilités sur les épaules. Âgés de 7 à 11 ans, ils grandissent dans un environnement où le soutien parental est inexistant. Parents divorcés ou alcooliques, problèmes familiaux, négligences parentales, mauvaises influences… Leur avenir est incertain. Leur sort entre leurs mains, ils sont les seuls maîtres de leurs destins.
Parce que les choses ne sont pas stables chez eux, ces enfants sont devenus, très tôt, indépendants. Un mode de vie qui n’est pas sans conséquence : sans repères, les membres du petit groupe vivent comme bon leur semble, loin de tout contrôle d’adultes. Dans leur quartier, ils sont souvent aperçus jouant au ballon sur le terrain de foot ou sillonnant les champs de cannes à des heures tardives. Personne pour les rappeler à l’ordre et aucune discipline. Ils n’en font qu’à leur tête. Bradley et ses amis ignorent ce qu’est un couvre-feu parental.
Jouer et s’amuser.
En rentrant de l’école (lorsqu’il y va !), il n’a qu’une idée en tête : retrouver ses petits camarades pour jouer et s’amuser. Quand ils s’y mettent, rien ne les arrête. Même pas la tombée de la nuit. “Mem fer nwar, nou kontigne. Tan ki pa ariv 10h, 11h aswar, mo pa rant lakaz. Inn deza arive ki mo dormi kot enn kamarad san ki mo fami kone”, confie Bradley.
Ces longues heures d’absence de la maison durent depuis un moment. Mais les parents du garçon ne s’en aperçoivent jamais. Selon lui, ces derniers sont trop occupés à jouer aux cartes ou à siroter leurs verres de rhum tous les soirs pour se soucier de lui. “Zot pa gagn mo traka ditou.”
Pour Jean Gaël, c’est pareil. Il rentre et sort quand il veut. Il se rend à la rivière voisine pour jouer quotidiennement avec ses copains. Il raconte : “Zame mo prese pou rantre parski personn pa dir mwa nangne. Mo granmer pa trouv kler. Zame li kone kan mo la, kan mo pa la. Se pou fer kouma mo papa ki mo kas poz lor sime ziska tar. Mo pa preske trouv li. Mo papa bwar ziska tar e kan li rant lakaz, linn fini san konpran.”
Liens confus.
Bradley, 11 ans, est issu d’une famille nombreuse confrontée à de lourds problèmes. Ses parents étant divorcés, il vit aujourd’hui dans une maisonnette en compagnie de son père, de sa belle-mère, de ses frères et demi-frères. Une situation compliquée. Le garçon a du mal à se situer. “Je m’embrouille quand il me faut parler de mes frères, des enfants de ma belle-mère ou ceux de mon père et de sa nouvelle compagne. Les liens parentaux sont confus”, confie Bradley.
Abandonné par sa mère quelques mois après sa naissance, Jean Gaël, 11 ans, a été élevé par sa grand-mère. Cette dernière étant souvent malade et parvenant à peine à s’occuper de son petit-fils, celui-ci n’a pas eu une enfance heureuse. Appelé à vivre à ses dépens, il devait également s’occuper de ses petits frères.
Famille nombreuse.
Jean Gaël vient lui aussi d’une famille nombreuse : sa mère biologique a quatre filles et six garçons et son père biologique a trois filles. “Se vwazinn ki ti pe okip nou parfwa.” La situation n’a pas tellement changé. Mais Jean Gaël affirme qu’il est aujourd’hui plus indépendant, et endosse parfaitement son rôle de frère aîné. Tout comme Noémie, 7 ans, qui doit s’occuper de son petit frère Mathéo, âgé d’un an, pendant que son père travaille et que la compagne de ce dernier rend visite à ses amies et fait du shopping.
Bradley, Jean Gaël, Noémie, Sandiren et Kim racontent qu’ils se rendent à l’école uniquement s’ils veulent retrouver leurs camarades de classe pour jouer. Depuis le début de l’année, Noémie ne s’est rendue à l’école qu’une quinzaine de fois.
Sandiren, 8 ans, qui vit seul avec son père depuis quatre ans, confie que “si mon père m’interroge sur ma présence à la maison, il me suffit de lui dire qu’il n’y a pas école pour le faire taire. Cela met fin à la discussion. Il ne cherche jamais à connaître les vraies raisons de ma présence à la maison”. Le père de Sandiren travaille du matin au soir pour joindre les deux bouts; il ignore ce que fait son fils pour occuper ses journées.
Minn Apollo.
Jean Gaël souligne que les rares fois où sa mère le rend visite, celle-ci ne lui pose aucune question sur ses études. “Si mo demann li enn konsey lor enn devwar, de ki li trouve ki mo pa pe konpran, li dir mwa al ramas mo kaye ek mo liv.”
Une situation que connaît bien Kim. Sa belle-mère refuse de l’aider à faire ses devoirs et lui ordonne de veiller sur son cinquième enfant, le seul qui est du père de Kim. De plus, elle doit accomplir d’autres tâches ménagères comme la lessive et le repassage.
En tant qu’aîné de sa famille, Jean Gaël raconte qu’il doit lui aussi s’occuper du ménage et du repas. “Préparer à manger pour mes frères n’est pas une tâche compliquée. Je fais cuire une omelette ou je prépare un minn Apollo pour eux. C’est rapide et pas cher.” Jean Gaël et ses frères ont comme seuls revenus la pension de vieillesse de la grand-mère; ils ne peuvent donc varier les menus pour le dîner.
Peurs.
Des anecdotes de son enfance, Jean Gaël ne rate pas une occasion d’en raconter. Au point de toujours essayer de couper la parole à ses camarades. “Je sais que je parle énormément”, lance-t-il avec humour, avant d’avouer que c’est une façon pour lui de se défouler. “Tou sa bann zafer-la stres mwa boukou. Sa fatig mo latet. Kan mo rakont tousala, se kouma dir mo pe tir enn pwa lor mo zepol.”
Bien qu’ils se montrent très courageux, le stress et la peur finissent par gagner ces petits. Jean Gaël raconte que le crucifix qu’il porte au cou est pour le protéger du mal et des dangers qui l’entourent. “J’ai peur le soir. Comme je suis seul avec ma grand-mère et mes frères, j’ai peur qu’il nous arrive un malheur durant la nuit.” Détournant le regard au moment où son ami exprime ses craintes, Sandiren finira par avouer qu’il a peur du futur. Lui qui rêve d’être policier est conscient que ses camarades ont du mal à se construire un bel avenir. Kim souhaite exercer le métier de coiffeuse; Sandiren veut être pompier; Jean Gaël rêve d’être camionneur. Ils sont d’accord sur un point : “La fot pa zis lor nou. Nou bann paran ousi pe zwe ek nou lavenir.”

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