REPORTAGE — PÊCHE À LA SENNE: Tout un folklore !

L’ouverture de la pêche à la senne s’est déroulée hier à Trou-d’Eau-Douce. Cette activité très contestée en raison de son impact sur l’environnement marin comporte tout un aspect folklorique. Étendre un filet de 200 mètres dans l’eau, encercler les poissons et ramener le filet sans perdre une seule prise relèvent d’un véritable savoir-faire. Embarquons pour une partie de pêche pas comme les autres.
Un ballet de mulets s’élance dans le lagon de Trou-d’Eau-Douce. Sentant la présence d’un danger, les poissons émergent de l’eau avant de replonger… hélas par moments dans le filet. C’est le spectacle impressionnant de la pêche à la senne.
Les pêcheurs ont repris hier cette activité après une pause de cinq mois, pendant laquelle les filets étaient gardés sous scellés au poste des Fisheries de la localité. Deux jours avant l’ouverture, ils ont repris possession de leur matériel afin de le préparer. « Il faut s’assurer que tout est en bon état. Des fois, il y a des mailles abîmées qu’il faut raccommoder », dit Louis Michael Andy, président de la Notre-Dame de Baneux Fisherman Cooperative Society.
La pêche à la senne se pratique en équipe. Pour ce faire, les pêcheurs doivent se regrouper en coopérative. Selon les règlements en vigueur, chaque pêcherie regroupe dix personnes et a droit à 500 mètres de filets pour leur activité.
Il existe deux types de filets pour la pêche à la senne : un qu’on traîne dans le fond sableux pour capturer les poissons et un autre, appelé lasenn canard, constitué de morceaux de bambou qu’on laisse flotter et destiné à attraper les mulets.
Suspendu à la marée
Les parties de pêche sont autorisées entre 6 h et 18 h. Les pêcheurs travaillent cependant en fonction de la marée. « Il faut attendre la marée basse car ils doivent descendre dans l’eau pour retenir les filets et lorsque la marée commence à monter, les poissons reviennent dans le lagon et atterrissent dans les filets. »
Ce que Louis Michael Andy explique en termes aussi simples est en réalité un travail très technique. Au large de Trou-d’Eau-Douce hier, il a fallu attendre pendant longtemps le moment opportun pour lancer les filets. Les pêcheurs observent l’horizon pour connaître le mouvement de la marée. « Ankor enn ledwa apre pare », rassurent-ils.
La pêcherie de Trou-d’Eau-Douce est composée de 15 personnes inscrites. Elle fait aussi appel à quelques hommes supplémentaires pour l’aider. Toute l’équipe embarque dans quatre pirogues. Deux transportent les filets et les deux autres aideront à encercler le banc de pêche.
Le moment opportun arrive enfin. Les filets sont minutieusement lâchés dans l’eau et s’étend de toute sa taille. Une dizaine de pêcheurs retiennent la senne tout autour. Des flotteurs sont attachés au filet d’un côté afin que les pêcheurs le retrouvent facilement dans l’eau. De l’autre, des pierres ont été accrochées, pour le « plomber ».
Spectacle impressionnant
Une fois le filet installé, la pêche peut commencer. Le folklore débute avec les pêcheurs encerclant la zone et donnant de grands coups de bâton sur leurs pirogues pour effrayer les poissons. Quelques minutes plus tard, c’est un spectacle impressionnant qui s’offre à ceux présents : des mulets se mettent à bondir dans tous les sens avant d’atterrir dans les filets.
Au même moment, une troisième équipe de plongeurs, cette fois, fait le tour des filets pour vérifier les prises. « Lorsqu’ils constatent une bonne prise, ils la détachent et l’embrochent afin d’éviter qu’elle ne s’échappe au moment de lever le filet. »
Pour ce premier jour, il faut dire que la pêche est plutôt bonne. Cordonniers, rougets… Les mulets, quant à eux, atterrissent sur les sennes canards.
La pêche sur le banc de Trou-d’Eau-Douce dure environ une heure. C’est le moment à présent de refermer le filet. Là encore c’est un travail d’équipe et technique qui se met en place. Les pêcheurs qui retenaient le filet marchent en direction d’une pirogue. Le mouvement se fait de manière coordonnée de façon à ce que le filet se referme et qu’aucune prise ne s’échappe. Ceux se trouvant sur le bateau commencent alors à ramasser le filet contenant des poissons.
Dans une autre pirogue, la même opération est effectuée mais cette fois avec les sennes canards. Ici, la présence des bambous facilite les choses. Ceux-ci sont soulevés et mis dans l’embarcation. Pour retirer les mulets, il faudra toutefois étendre le matériel sur le sol avant de procéder.
Deuxième étape
Une fois cette première partie de pêche terminée, les pêcheurs se rendent vers une autre zone. Et c’est le même rituel. Selon Louis Michael Andy, une journée de pêche comporte six heures de travail. Une heure est consacrée à la préparation du matériel avant de prendre la mer et une autre au ramassage du matériel après la journée. La pêche en elle-même se fait pendant environ quatre heures. « C’est pratiquement impossible d’en faire plus. Ce travail nécessite un effort physique conséquent. Les pêcheurs ne peuvent rester dans l’eau pendant tout ce temps. »
La pêche à la senne se pratique autant dans le lagon qu’en haute mer. Les prises sont cependant différentes. La pêche à la senne s’arrête temporairement en juin. Les mulets ont des oeufs à cette période. « Il faut éviter de les pêcher à ce moment-là, autrement il n’y aura pas de reproduction. »
Pour éviter d’attraper les petits poissons, les filets comportent des mailles de 18 cm. Ceux-ci sont réalisés par les femmes des pêcheurs ou par un atelier de couture spécialisé. Le travail collectif prend alors une nouvelle dimension. Les ouvrières réclament Rs 50 pour travailler chaque bobine de 100 mètres de fil. « Une senne canard coûte environ Rs 100 000. En tout, il faut compter au moins Rs 200 000 d’investissement pour qu’une pêcherie puisse fonctionner. »
Le travail se faisant en équipe, les prises sont ramenées au poste de Fisheries de la localité pour la pesée. Le poisson est par la suite vendu en gros et l’argent départagé.
Comme c’est souvent le cas dans ce domaine, il faut faire face au mauvais temps. Une grosse houle, par exemple, peut facilement renverser une pirogue lors d’une opération. D’autres fois, ce sont les filets qui sont pris dans les coraux. Il faut alors que les plongeurs aillent les libérer.
C’est justement pour cette raison que la pêche à la senne est appelée à disparaître. Les filets endommagent l’environnement marin. Le gouvernement a mis en place un plan visant à décourager ce type de pêche. Chaque pêcheur qui rend sa carte et sa senne a droit à une compensation de Rs 70 000. Mais pour certains ce montant n’est pas suffisant.
Présent à Trou-d’Eau-Douce hier, le ministre de la Pêche Nicolas Von Mally a annoncé que la révision de la compensation est à l’étude en vue d’encourager plus de pêcheurs à abandonner cette activité. À ce jour, il n’existe plus que 300 pêcheurs concernés par cette activité, regroupés au sein de 12 pêcheries. Au total l’on compte 15 large nets et 5 gilt nets, selon les termes utilisés par le ministère.
La pêche à la senne durera jusqu’au 30 septembre. Pendant l’intersaison, les pêcheurs touchent une allocation de Rs 5 000 du ministère.

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