RÉSULTATS SC/HSC : Désacraliser le lauréat en vue d’une élite

Les résultats du School Certificate et du Higher School Certificate font de février le mois de sacralisation de l’élite. On compte les lauréats. On comptabilise les taux de pass. On érige l’exemplarité à la mauricienne. Mais est-ce cela l’élite ?
Une première évidence : les êtres humains sont différents, dotés de talents divers et variés. Nous ne pouvons pas tous être doués à la natation. Nous ne sommes pas tous doués pour le foot. Nous ne sommes pas tous portés pour la musique, le théâtre. De même, nous ne sommes pas tous doués pour les études. Quoi de plus normal ? Et pourtant quoi de plus « dramatique », à Maurice, que d’avoir moins bien réussi que le cousin, la cousine. La faute à qui ?
La réponse bateau serait : « La faute au système. » Et on pourrait observer deux dynamiques. On sort des collégiens de 18 ans, 19 ans — certes académiquement doués — de leur anonymat pour les adouber. Ce titre de lauréat les extirpe du commun des mortels. Et d’oublier le fait que ce ne sont que des jeunes qui auront tenté de « bien faire ce qu’ils avaient à faire », pour reprendre le Becket d’Anouilh.
Se pose-t-on les bonnes questions ? La peoplelisation d’un adolescent (car, à 18 ans, on n’est pas tout à fait adulte) intelligent est-elle saine ? A-t-elle valeur pédagogique ? Le culte de l’intelligence vaut-il le sacrifice de la stabilité affective de l’anonymat ? Les exemples de jeunes stars qui trouvent confort dans l’excès font légion.
Car, au final, il faut bien qu’il y en ait un qui sorte premier. C’est statistique. Mais est-ce normal d’en faire une quasi-célébrité à 18 ans ? Surtout que cette célébrité — l’égérie de notre World Class Education — deviendra le gibier sacrificiel des détracteurs de notre système jugé « archaïque », « post-colonial ». Voici une manière de résumer le phénomène : au mieux, certains deviendront des sur-lauréats que l’on saluera pour leur polyvalence, leurs talents multiples. Ils seront les vainqueurs du « système qui avachit ». Au pire, d’autres seront envoyés de l’autre côté de la rambarde. Ils seront nos sous-lauréats, étiquetés de « rats de bibliothèque » et alimenteront le cynisme d’une autre élite, d’un autre temps. En outre, le HSC teste nos aptitudes à résoudre des problèmes de maths, à rédiger en anglais… La société, pour sa part, s’octroie le droit d’éprouver la personnalité.
Définition
Mais l’élite, c’est quoi ? Selon Frédérique Leferme-Falguières et Vanessa Van Renterghem (dans « Le concept d’élites. Approches historiographiques et méthodologiques », Hypothèses 2000, Université de Paris 1- Sorbonne), le concept serait né du rôle initiateur de Vilfredo Pareto. En 1916, il utilisait dans son Traité de sociologie générale le terme d’élite (s) pour définir plusieurs classes d’individus. Les élites sont des « catégories sociales composées d’individus ayant la note la plus élevée dans leur branche d’activité ». Ce qui implique que le terme devrait couvrir « une grande diversité de populations, puisqu’il désignait aussi bien de grands savants que des artistes, des sportifs, des joueurs d’échec ». Élite : concept plus pluriel que singulier.
Quelle élite pour Maurice ? Désigner nos lauréats, consciemment ou inconsciemment, comme la « future élite », revient à exclure toutes les autres « élites » du panier à lauriers. Quelle élite culturelle ? Quelle élite sportive ? Toutes des sous-élites ?
Quel paradoxe ! Car si l’on se fie à la logique de Pareto, on pourrait être surpris d’apprendre que, sans doute, le Mauricien qui récolterait la plus haute note dans son secteur d’activité évolue bien loin de nos côtes, à des années lumières des canons locaux. Il s’appelle Linley Marthe. Il a 40 ans. Il est bassiste de jazz et de funk. On parle là bien d’un musicien de classe mondiale… D’un point de vue qualitatif, il est beaucoup plus lauréat que tous les lauréats de l’île !
Ce qui équivaut à dire que l’élite, c’est aussi une question de perception. Un blog de la Massachusetts Institute of Technology (MIT) (cultura. mit. edu/demo_static/forums/elite. html) signale des répartitions différentes dans les champs lexicaux employés. L’étude compare la France et l’Amérique. « En effet les Français associent l’élite à des idées d’arrogance et de mépris (« arrogance », « hautaine », « mépris », « dénigrement », « snobisme ») ainsi qu’à d’autres idées gravitant autour de manière isolée comme « critiquable », « préjugés » – « stéréotypes ». » Chez les Américains, ce n’est pas le même constat. Les valeurs négatives sont rares. L’élite est associée à l’aristocratie, à l’exclusif. Mais fait curieux « qu’une petite référence soit faite à la part d’intellect (une seule référence pour chaque pays : “intelligent” pour les USA et “intellectuelle” pour la France) ». Quel regard porte-t-on à Maurice sur les élites ? Ou aurait-on, à l’opposé des Français et des Américains, trop mis l’accent sur l’« intelligence de l’élite », ou plutôt sur une « intelligence strictement académique » ?
Pragmatisme
Il faut être réaliste. Autour des idées de Pareto s’est ensuite formée toute une étude sociologique et historique. Or, « quelle que soit la nature du régime politique, il y a toujours une élite (au singulier cette fois), une minorité qui gouverne tandis que la masse de la population est gouvernée ». Quoi de plus logique ? Quoi de plus élémentaire ? Prenons l’exemple américain. Bien que les USA promeuvent de manière efficace leur élite sportive et leurs business schools, ils parviennent à construire une élite administrative capable de diriger le pays. Idem pour la France avec son École Nationale d’Administration (ENA) qui assurera que l’État puisse recruter des hauts fonctionnaires de niveau.
D’où la question : à Maurice, ils sont combien de lauréats dont la matière grise aura été mise à contribution de l’« élite gouvernante » ? Simple constat : ils ne sont pas nombreux en politique. Ils ne doivent pas être nombreux dans la fonction publique. Or, tout pays a besoin d’un moyen d’alimenter cette élite-là, aussi. Un moyen que n’offre pas le format actuel.
En attendant, ils seront 60 Mauriciens à bénéficier d’une bourse de l’État. Un nombre multiplié par deux — ce qui contribuera, d’une part à donner des traits plus humains au système et, d’autre part, à rendre « la chose » un peu moins extraordinaire (du moins, d’un point de vue médiatique). La cuvée 2012 pourrait modérer les proportions du phénomène. Et, par la même occasion, de faire moins d’ombre aux autres élites… Sauf peut-être une, « l’élite des escrocs », telle que mentionnée par Pareto, celle de la corruption et de la manigance.

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