DANS LE RÉTROVISEUR DE L’HISTOIRE POLITIQUE : Il y a 50 ans, Gaëtan Duval entrait dans la cage aux fauves

Jeudi dernier 14 août, cela faisait exactement 50 ans que Gaëtan Duval, l’historique leader défunt du Parti Mauricien Social Démocrate (PMSD), surprit en engageant un pari osé avec un directeur de cirque, le fameux Carl Fischer. Ce dernier avait, depuis un mois, installé le chapiteau de son Cirque Espagnol au Champ de Mars. Le mardi 11 août, alors que Fischer venait de terminer un petit spectacle gratuit offert à des malades de l’Hôpital Civil, il fut approché par Gaëtan Duval qui lui déclara soudainement s’il accepterait qu’il entre dans sa cage aux fauves à condition que toute la recette du spectacle suivant lui soit entièrement versée. Carl Fischer, qui était aussi le dompteur du cirque, sourit et après avoir longuement regardé Gaëtan Duval, lui répliqua: “Comme il vous plaira!”
Était-ce une plaisanterie? Selon les journaux de l’époque, Gaëtan Duval assura que “non.” “J’ai trouvé le moyen d’aider les oeuvres de bienfaisance. Toute la recette de la représentation suivante ira à des oeuvres de bienfaisance”, assura-t-il. À condition, aussi, ajouta Carl Fischer, “que M. Duval sorte vivant ou indemne de cette périlleuse aventure!”
Que pouvait bien faire Gaëtan Duval, alors ministre du Logement dans un gouvernement de coalition de Tous les Partis de l’île Maurice, à un spectacle de cirque en pleine journée, alors que responsable d’un vaste plan de relogement rendu nécessaire après les passages succcessifs des cyclones dévastateurs Alix et Carol. Il devait, sans doute, avoir beaucoup à faire à cette heure-là dans son ministère! Le sourire lancé par Carl Fischer au leader du PMSD apparut bien louche à certains de ses détracteurs politiques. Ils y virent un signe d’une certaine complicité entre les deux hommes.
Le soir venu de relever le défi, Gaëtan Duval pénétra, raconte-t-on, d’un pas décidé dans la cage aux fauves du Cirque Espagnol, en présence d’une foule de spectateurs en majorité composée de partisans bleus. Comme ses supporters, le leader des bleus était inquiet. Mais il fut vite rassuré par Carl Fischer qui, claquant son fouet, se plaça entre lui et un énorme tigre dénommé Rajah. Duval y resta une dizaine de minutes. Bien sûr, au grand dam du Parti travailliste, à l’époque ennemi politique des bleus. Les jours précédant l’événement, la presse acquise à la cause du téméraire et populiste député de Curepipe, s’était amusée à faire monter la tension en rappelant – en exagérant même – la dangerosité de l’aventure. D’autant que Carl Fischer lui-même venait d’être mordu, deux semaines avant, par un de ses ours et avait dû être hospitalisé. Ainsi, en parlant du pari, Le Cernéen se mit à souhaiter “qu’on n’ait pas à déplorer l’absence de Gaëtan Duval à la prochaine séance du Conseil des ministres…” Plus d’une admiratrice de Duval dut aussi prier pour lui!
Deux Britanniques avaient tracé la voie
En réalité, Gaëtan Duval ne courut pas véritablement de risques d’être bouffé, car un tigre dressé est un fauve soumis. Sans compter que, avant Duval, deux Britanniques, John Poulter et John Cordeaux, avaient tracé la voie en relevant un défi encore plus compliqué: dîner dans une cage avec un lion du cirque. Toujours est-il que Gaëtan Duval devait gagner son pari et Fischer honora sa parole en donnant la recette promise à des oeuvres de bienfaisance de Curepipe. 
À partir de ce premier exploit, on vit Gaëtan Duval multiplier ses spectacles en y ajoutant de la manière dans le plus pur style des campagnes électorales à l’américaine soutenues par de gros moyens financiers. On le retrouva tantôt sur la piste du Champ de Mars en tant que gentleman rider, tantôt se rendant à ses meetings à cheval ou encore se coiffant comme un hindou ou d’un casque colonial, comme en 1996 pour ridiculiser une loi rétrograde prise à l’encontre des fonctionnaires par le premier gouvernement PTr-MMM. On le vit aussi jouant comme acteur principal dans des films de propagande à la gloire de son parti sinon de lui-même.
Duval le cascadeur
Au creux de la vague, après avoir été largement battu dans la circonscription de Port-Louis Nord/Montagne Longue par trois candidats novices du MMM (Suresh Moorba, Sylvio Michel et Krishna Baligadoo) aux élections de1976 et privé d’un siège à l’Assemblée législative, Duval usa de sa position de simple conseiller municipal de Curepipe pour frapper un autre coup et essayer d’attirer, une fois de plus, l’attention vers lui. Ce fut en avril 1979. Alors que tout le monde dans le pays n’avait d’ouïe que pour le MMM et Paul Bérenger qui lui menaient la vie dure, il exécuta un numéro de cascadeur en se tenant en équilibre sur le dôme d’une voiture roulant sur seulement deux roues dans la cour de la mairie!                         
Robert Green et Joost Elffers, les deux auteurs de Power, the 48 laws, magnifique livre de référence qui prétend transmettre aux intéressés des conseils et secrets pour acquérir le pouvoir – et surtout pour le garder – affirment que lorsqu’un leader un tant soit peu contestataire éprouve le besoin de faire sentir sa présence auprès du peuple, il y a deux solutions possibles: soit il garde le silence complet et cultive l’absence pendant un certain temps – ce qui amène, alors, à se demander ce qu’il serait bien en train de tramer –, soit ce leader crée un événement spectaculaire qui attire alors vers lui l’attention populaire. Green et Elffers appellent cela “the art of creating compelling spectacles.”
Green et Elffers ont publié leur oeuvre en 1998 et il n’y a, donc, aucun possibilité que Gaëtan Duval, décédé deux années avant, ait pu s’en inspirer, mais une chose est certaine: dans l’art d’inventer et de se donner en spectacle, il faut le reconnaître, le défunt leader du PMSD était un grand maître.
Il est pertinent de faire remarquer que lorsqu’il avait engagé son pari avec Carl Fischer, Gaëtan Duval évoluait dans l’ombre de son mentor, Jules Koënig, auquel il ne succédera comme leader du PMSD qu’en 1967. Pour beaucoup de ses lieutenants, il se sentait singulièrement prisonnier d’un gouvernement de coalition imposé par l’autorité coloniale britannique. Ce gouvernement était censé symboliser l’unité nationale durant une période de transition entre le gouvernement autonome responsable et l’Indépendance. Dans le sillage de la Conférence constitutionnelle de Londres de 1961, les Anglais avaient fait prendre l’engagement par les dirigeants des partis politiques mauriciens (PTr-Parti Mauricien-IFB et CAM) qu’ils allaient se joindre à un gouvernement d’unité nationale, mais cet engagement avait été tenu secret afin de ne pas fausser d’avance les résultats des élections générales qui allaient suivre en 1963. Ces élections devaient, d’ailleurs, marquer le recul du Parti travailliste du Dr Seewoosagur Ramgoolam en nombre de sièges.
Après avoir longtemps étudié les comportements des chefs à travers les siècles, Elffers et Joost soutiennent que “striking imagery and grand symbolic gestures create the aura of power – everyone responds to them. Stage spectacles for those around you, then full of arresting visuals and radiant symbols that heighten your presence. Dazzled by appearances, no one will notice what you are really doing.”    
Contrairement à certains qui sont obligés de s’expliquer chaque semaine pour que le peuple comprenne leurs faits et gestes, Gaëtan Duval avait longtemps compris que les grands gestes et les spectacles symboliques sont beaucoup plus efficaces que les mots.

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