REZA UTEEM : « Le secteur financier ne fait  pas partie des priorités du gouvernement »

Notre invité de ce dimanche est Reza Uteem, avocat d’affaires, député et président de la commission économique du MMM. Au départ, nous devions discuter des suites de l’affaire Sobrinho et des Paradise Papers. Mais en cours d’interview, nous avons été rattrapés par l’actualité locale, plus particulièrement la dernière frasque de Showkutally Soodhun ayant mené à sa démission comme vice-Premier ministre.
 
En mars de cette année, vous affirmiez dans une interview à Week-End que « l’affaire Sobrinho n’est pas terminée. » Or, avec les décisions prises par le gouvernement, on dirait que vous vous êtes trompé. Les demandes de Sobrinho pour investir à Maurice ont été acceptées par le gouvernement !
— L’affaire Sobrinho n’est pas terminée. Elle est en train d’empirer. Je pensais que suite à la PNQ du leader de l’opposition au Parlement, à la démission de plusieurs membres du conseil d’administration de la Financial Services Commission, le gouvernement allait recevoir le bon message. Ce n’est pas le cas. Je sais que la demande faite par la société de Sobrinho n’a pas été acceptée tout de suite par le Board of Investment, qui a commandité une enquête sur l’investisseur angolais. Le rapport de cette enquête a précisé que s’il n’y avait pas de poursuites contre Sobrinho, des enquêtes avaient été ouvertes sur lui en Suisse et au Portugal. La BOI a alors demandé un avis légal à un Senior Counsel, qui a émis l’opinion que les permis ne devraient pas être octroyés à Sobrinho en raison d’un reputational risk pour notre secteur financier, qui a pris des années à se construire une belle image de marque. Ne prenant pas en considération cette opinion négative, le BOI en demande une autre à un autre Senior Counsel, qui dit que c’est au board de la BOI de prendre une décision, tout en soulignant les éventuels risques si les permis sont accordés. Toujours non satisfait, le BOI sollicite un troisième avis du State Law Office et décrète finalement qu’il faut accorder le permis.
En prenant la précaution d’imposer trois conditions à l’investisseur angolais…
— Mais pas du tout ! Ce sont les mêmes conditions standard qui sont imposées à tous les investisseurs pour s’assurer de la provenance de leur argent. Ce ne sont pas de nouvelles mesures de précaution ou de protection. Pour faire plaisir à Alvaro Sobrinho, le gouvernement semble disposé à mettre en cause l’image et la réputation du secteur financier mauricien.
Pourquoi est-ce que le gouvernement mauricien semble disposé à aller dans cette direction ?
— J’aimerais bien le savoir. M. Sobrinho est un multimillionnaire qui aime s’afficher avec les personnes qui détiennent le pouvoir. En Angola il était proche du président Dos Santos, à Maurice il est proche de la Présidente Ameenah Gurib-Fakim, au point où cette dernière a accepté de devenir la présidente de sa fondation. Nous avons des preuves que les déplacements à l’étranger effectués par des membres du personnel de la State House ont été financés par la fondation Sobrinho. Au lieu de s’expliquer, de dire ce qu’elle a obtenu en retour, la Présidente a choisi l’opacité en permettant la spéculation sur la relation qu’elle entretient avec M. Sobrinho et elle se réfugie derrière l’immunité de la fonction présidentielle. Pourquoi le vice-Premier ministre s’est-il senti obligé de venir défendre publiquement Alvaro Sobrinho, qui est loin d’avoir une bonne réputation dans son propre pays, l’Angola ? Mais tôt ou tard, les informations finiront par sortir.
On n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi le gouvernement semble disposé à faire n’importe quoi pour satisfaire les demandes de M. Sobrinho, même au risque de mettre en péril l’image de Maurice sur le marché financier international…
— Quand on analyse les décisions prises depuis janvier 2015, on est obligé de conclure que le secteur financier ne fait pas partie de ses priorités du gouvernement. Il a renégocié le traité avec l’Inde, le ministre de la Bonne gouvernance de l’époque a traité les opérateurs financiers de « fat cats » et on a vu comment le dossier BAI a été géré. Quand il a obtenu de l’Inde une compensation pour la révision du traité, au lieu de compenser les opérateurs du secteur financier pour le manque à gagner à venir, toute la somme a été injectée dans le métro léger. Le traitement de l’affaire Sobrinho en est une autre preuve. Pour moi, ce gouvernement a fait une croix sur le secteur financier mauricien.
Ce désintérêt du gouvernement pour le centre financier commence-t-il à se faire sentir ?
— C’est difficile pour un opérateur dans l’offshore de dire à des investisseurs de venir à Maurice, centre financier bien régulé, quand et le régulateur et le gouvernement sont en train de faire le contraire. Les opérateurs reçoivent de plus en plus de doléances et de questions sur la politique du gouvernement sur le secteur financier. J’ai reçu personnellement des communications de gouvernements étrangers me demandant, au vu de ce qui est publié dans la presse, s’ils doivent garder leurs fonds d’investissement à Maurice ou s’ils doivent considérer la possibilité de les transférer ailleurs.
En tant qu’en tant qu’opérateur, faites-vous remonter ces questions à la FSC ?
—  Mais la FSC est au courant de tout cela. Aujourd’hui cette institution suffoque à cause de l’ingérence politique. Souvenez-vous que cet organisme a été dirigé pendant des mois par un acting CEO dont le contrat était renouvelé sur une base mensuelle et qu’un conseiller du ministre siégeait sur le board. Il était clair que la FSC subissait des ingérences politiques. Au vu de la manière dont l’affaire Sobrinho est gérée, on peut facilement penser que cette pratique continue. Et je dois dire que je suis déçu que le nouveau ministre de la Bonne gouvernance, qui est un comptable, participe au déclin du secteur financier en se croisant les bras. Mais il n’y a pas que le cas Sobrinho pour illustrer le peu d’intérêt du gouvernement pour le secteur financier, il y a aussi le cas de M. Gooljaury, qui doit Rs 600 millions aux banques sans être inquiété. Il y a beaucoup de questions sans réponses dans ce pays.
Justement, comment expliquez-vous le fait que le Premier ministre a refusé de donner au Parlement les détails des voyages à l’étranger du Secrétaire financier et le nombre de boards sur lesquels il siège ?
— Cela s’insère dans une politique d’opacité. Le gouvernement réalise que son image n’est pas bonne dans l’opinion publique, que l’incompétence de ses ministres est manifeste et qu’il n’a aucune réalisation à son actif. Il est passé d’une situation d’incompétence à l’obligation de cacher l’ampleur de cette incompétence et de la dilapidation des fonds publics. Savez-vous que le gouvernement n’ose même pas révéler la somme payée aux hommes de loi de la State Trading Corporation dans l’affaire Betamax ? Pour éviter les questions embarrassantes, le gouvernement a demandé à ses backbenchers d’envoyer autant de questions que possible pour bloquer le Question Time, ce qui est une perversion de la démocratie.
Abordons un autre sujet d’actualité, les Paradise Papers qui, selon certains avocats d’affaires et autres banquiers, ne font pas partie d’une fraude fiscale. Pour eux, il faut savoir faire la différence entre évasion et optimisation fiscale…
— Effectivement, dans le cas des Paradise Papers, il n’y a pas eu de fraude. Les journalistes qui ont rendu publics ces documents l’ont eux-mêmes dit. Les Panamas Papers concernaient des cas de blanchiment d’argent, des détournements de fonds effectués par des hommes d’affaires utilisant certaines juridictions pour ne pas payer d’impôts. Les Paradise Papers lèvent le voile sur les moyens utilisés par ceux quoi ont de l’argent pour payer moins d’impôts.
Dans les deux démarches, la finalité est la même : ne pas payer ou payer moins d’impôts. Dans un cas on ne paye rien, dans l’autre on paye le moins possible en faisant de l’optimisation fiscale, comme on dit dans le jargon de votre profession…
— Il n’y a rien d’illégal pour une personne de prendre avantage des incitations fiscales mises à sa disposition pour payer moins d’impôts. Il y a plusieurs incitations fiscales de ce type à Maurice. Il existe donc des règlements légaux qui permettent de réduire le montant de la taxe et c’est ce qu’ont démontré les Paradise papers.
Il faut connaître ces règlements et ces incitations, et pour cela il faut faire appel à des spécialistes comme vous et surtout avoir les moyens de les rétribuer. Ce qui n’est pas le cas de la majorité des tax payers…
— C’est un fait. C’est quelque part une injustice du système car ce sont ceux qui sont les plus riches qui ont les moyens de payer moins. Mais cela étant, il faut bien préciser les choses : l’évasion fiscale est commise par quelqu’un qui ne déclare pas ses revenus, les falsifie, fait une fausse déclaration ou a du black money. Mais une personne qui au lieu de placer son argent en banque investit dans un secteur qui va lui permettre de réduire son taux d’imposition fiscal ne fait pas de fraude, il fait de l’optimisation de ses ressources.
Mais pourquoi y a-t-il tout ce débat autour des Paradise Papers si c’est une opération fiscale tout à fait légale ?
—  Parce que, de manière générale, les tax payers voient d’un mauvais oeil ceux qui payent moins de taxe qu’eux et ils trouvent le système injuste.
Même si tout cela est légal, cela n’a pas empêché certains journaux et télévisions européens de qualifier Maurice de paradis fiscal dans le sillage de cette dernière affaire…
— Savez-vous où se trouvent les plus grands paradis fiscaux au monde ? À Londres en Grande-Bretagne et dans le Delaware aux États-Unis, et d’autres se trouvent en Europe ou dans d’anciennes dépendances en utilisant les traités de non-double imposition, entre autres. Ces commentaires découlent tout simplement d’une démarche pour protéger des centres financiers en tentant de décrédibiliser d’autres. Maurice n’est pas un paradis fiscal mais un centre financier qui peut permettre aux investisseurs de réduire, légalement, le montant des impôts de leurs clients. Ce qui, donc, les encourage à investir chez nous ou dans les pays avec qui Maurice a signé des accords. À cet égard, l’Inde a considérablement bénéficié du centre financier mauricien et du traité de non-double imposition.
Est-ce que dans un paradis propre comme le secteur financier mauricien il y a des canards boiteux ?
— Mais évidemment. Il y aura toujours dans tout pays et dans tout système ceux qui vont essayer d’aller plus vite, de faire des «contours» et de profiter des failles. C’est à ce niveau que doit intervenir le régulateur — en l’occurrence la FSC à Maurice — pour réagir à la moindre allégation de malversation. Nous allons veiller à  ce qu’elle soit sans pitié pour les opérateurs qui ne correspondent pas aux normes établies et que cela soit fait sans aucune ingérence politique.
Arrivons-en maintenant au gros sujet d’actualité de cette semaine : Showkutally Soodhun ! Comment expliquez-vous le fait que depuis sa nomination, le numéro 4 du gouvernement se retrouve dans toutes sortes de controverses ?
— Il ne faut pas oublier qu’avant de devenir ministre et député, un individu doit obtenir un ticket de candidat aux élections donné par un parti. À ce niveau, sir Anerood Jugnauth et son fils Pravind ont une première responsabilité et une deuxième pour l’avoir toléré jusqu’ici. Il y a donc celui qui lui a donné un ticket mais il y a aussi, il ne faut pas l’oublier, l’électorat qui a élu Soodhun plusieurs fois de suite. Est-ce que les habitants du Numéro 15 ne savent pas qui est Soodhun, ce qu’il est capable de dire et de faire ? Un des problèmes de Maurice c’est la dégradation du niveau des politiciens tous partis confondus avec des variations notables et le choix de l’électorat pour le représenter au Parlement. Est-ce que notre système électoral et le fonctionnement de nos partis politiques ne favorisent pas l’émergence d’individus comme Showkutally Soodhun ? Est-ce que le système politique mauricien ne décourage pas les citoyens honnêtes, intègres et compétents à entrer dans l’arène politique ?
Et quelle est la réponse que vous obtenez quand vous posez ces questions au sein de votre parti, le MMM ?
— Écoutez, il est reconnu que le MMM est le seul parti politique mauricien dont le leader n’a jamais été impliqué dans un cas de corruption. Avant que vous ne le disiez, je reconnais qu’il a pu commettre des erreurs stratégiques et politiques, mais on ne peut pas qualifier le MMM de parti incompétent et corrompu. Paul Bérenger ne tolère aucun manquement de la part de ses députés et des membres de la direction du parti. Je ne suis pas en train de vous dire que c’est un homme parfait. Comme nous tous, il a ses défauts, mais en ce qu’il s’agit du respect des principes et de la lutte contre la corruption, le MMM et son leader se démarquent des autres partis politiques.
Maintenant que vous avez terminé votre petit couplet à la gloire du leader maximo, arrêtons-nous un instant sur la partielle du N°18. Vous allez sûrement dire que le MMM va remporter cette élection haut la main…
— J’ai été agréablement surpris par l’accueil que le MMM et sa candidate reçoivent à Quatre-Bornes. Contrairement à ceux qui disent que la situation est difficile, reçoivent ou donnent des calottes et sont repoussés, notre candidate et nos membres reçoivent un très bon accueil. Maintenant, et avant que vous ne posiez la question, est-ce que ce bon accueil va se traduire en votes pour le MMM ? Nous ne le saurons que quand les urnes seront ouvertes, le 18 décembre. Mais nous sentons chez les habitants de Quatre-Bornes que nous rencontrons un ras-le-bol contre le gouvernement, une désillusion totale de la classe politique en général et une demande pour un changement pour arrêter le glissement vers le précipice où nous mène le gouvernement.
Mais si l’électorat a choisi Soodhun et le gouvernement en place aux dernières élections, pourquoi celui de Quatre-Bornes irait-il voter pour l’opposition ?
— Parce qu’une partielle peut devenir le début d’un changement de mood politique, comme cela a été déjà démontré avec la partielle de Triolet en 1970, qui a changé le destin du pays. Je crois que les habitants de Quatre-Bornes doivent prendre leurs responsabilités et envoyer un message fort à qui de droit pour dire leur ras-le-bol et redonner à la politique un nouvel élan à la veille des 50 ans de l’indépendance du pays.
Si le gouvernement avait un candidat dans cette élection, l’électorat pourrait lui envoyer un message en ne votant pas ce candidat. Le fait que le gouvernement n’aligne pas de candidat ne diminue-t-il pas l’importance de cette partielle ?
— Le fait que le MSM-ML ne puisse pas présenter un candidat est déjà un aveu de taille de son impopularité. Avant de monter sur le ring, il a déjà déclaré forfait. L’enjeu n’est plus un match entre le gouvernement et l’opposition…
 Il est devenu un match entre les différents partis d’opposition…
— Non, l’enjeu c’est de donner à l’électorat de Quatre-Bornes la possibilité de choisir le parti d’opposition qui est le mieux capable de défendre ses intérêts au Parlement. Le parti qui a les valeurs, les principes, les compétences et l’expérience nécessaires pour le faire. Je l’ai déjà dit cette semaine : je suis persuadé que la partielle de Quatre-Bornes donnera une indication sur le parti qui sera au pouvoir après les prochaines élections générales.
Autre sujet d’actualité. Des accusations de viol ont été faites en Europe contre Tariq Ramadan, un habitué de Maurice. Ces accusations ont conduit l’université d’Oxford à mettre fin prématurément à ses cours. Quelles est votre opinion sur ce scandale ?
— Ma formation de légiste m’impose de ne pas me prononcer avant de connaître tous les éléments d’une affaire. Dans le cas de Tariq Ramadan, il y a deux versions des faits qui ont été exposées et il faut laisser la justice suivre son cours. Cependant, je dirai qu’ayant connu l’homme, je suis choqué par cette affaire.
Nous allons terminer cette interview par la démission de Showkutally Soodhun du poste de vice-Premier ministre annoncée vendredi soir à la télévision par Pravind Jugnauth. Vos commentaires ?
— Je commence par dire que dans n’importe quelle démocratie, Showkutally Soodhun aurait été révoqué comme ministre et aurait été obligé de démissionner comme député. Comparez la situation avec ce qui se passe actuellement en Angleterre où un senior minister démissionne pour une parole ou un comportement incorrect qui s’est passé il y a dix ans ! Je note que quatre jours après avoir pris connaissance de la teneur des propos tenus par le vice-Premier ministre, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, n’a pas révoqué Soodhun. Il a dit que ce dernier a démissionné d’un commun accord avec lui. C’est comme si cette décision dépendait du bon vouloir de M. Soodhun. Ensuite, le Premier ministre a dit qu’il a demandé à Soodhun de step down jusqu’à la fin de l’enquête. Or, ce que Soodhubn a dit dépasse le cadre légal : il a carrément insulté une communauté et déclaré que les membres de cette communauté ne peuvent avoir droit à des maisons de la NHC, financés par l’État. C’est une déclaration inacceptable, indépendamment du fait que cela relève ou non du pénal. En tenant ces propos, Soodhun s’est disqualifié et comme ministre et comme député. Ce qui vient de se passer est encore un indicateur du niveau atteint par les politiciens mauriciens. Nous avons un Premier ministre qui tolère cette dégradation par un membre de son cabinet. En ne révoquant pas Soodhun, Pravind Jugnauth envoie le message suivant à la population : les propos de Soodhun ne sont pas si graves que ça, mes ministres ont le droit de tenir des propos incitant à la haine raciale et je les tolère.
Interview réalisée par
Jean-Claude Antoine

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