RIA WINTERS: Nos trésors à la pointe du pinceau

Le livre qui accompagne l’exposition sur les espèces protégées ou éteintes de Maurice constitue probablement une des plus belles publications mauriciennes de cette fin d’année. Publié chez Mauritiana, « A treasury of endemic fauna of Mauritius and Rodrigues » est signé Ria Winters, qui appartient à Artist for Conservation (AFC) depuis l’an 2000. Fondée par le Canadien Jeffrey Whiting, cette organisation missionne ses membres dans les régions du monde où la pression sur les espèces rares est particulièrement forte. Ria Winters était venue en 2009 à Maurice en s’intéressant particulièrement aux oiseaux mascarins. En résulte l’exposition qui se tient actuellement au musée du Blue Penny, et ce livre à offrir les yeux fermés.
Ria Winters peint et dessine depuis l’enfance, les animaux étant ses sujets de prédilection. À sa manière, cette artiste néerlandaise a pris la relève des naturalistes des XVIIIe et XIXe siècles, qui accompagnaient les scientifiques dans les expéditions d’explorations scientifiques. Le développement de la photographie et d’autres techniques visuelles ainsi que de la recherche sur les espèces vivantes a changé la donne et précisé les connaissances au fil des décennies. Aussi réalise-t-on à la lecture de ce livre que la vocation du naturaliste au XXIe siècle a sensiblement changé.
Même si quelques notions fondamentales demeurent, il s’agit moins de découvrir des espèces pour les inventorier que de militer pour leur connaissance et sensibiliser le public à leur existence. Même s’il cherche à s’approcher de la réalité de l’animal dans son environnement avec la plus grande précision possible, l’artiste y ajoute de la valeur par son sens de l’esthétique. Le petit cincque de l’Île-aux-Aigrettes que nous risquons de piétiner si nous n’y prenons garde, prend soudain une importance inespérée aux yeux de celui qui a été touché par le travail de l’artiste. Et Ria Winters nous apprend que les couleurs de nos geckos ne peuvent exister que dans la nature, tant leur phosphorescence est difficile à reproduire…
L’artiste néerlandaise s’est intéressée aux Mascareignes grâce aux perroquets, particulièrement la grosse cateau, dont le vert si vif a fait la renommée. Ses recherches pour Artists for Conservation l’ont menée à Maurice, Rodrigues et la Réunion. Elle s’est également penchée sur nos autres espèces terrestres rares parmi les reptiles, les serpents ou chauve-souris. Pratiquant la plongée, Ria Winters a aussi exploré le lagon mais ses travaux sur les espèces marines se limitent dans le présent ouvrage à une aquarelle consacrée au dugong.
Plaisir des yeux
Les peintures de Ria Winters allient la sensibilité artistique à la rigueur scientifique, ce qui lui permet de souligner les détails les plus subtils de l’apparence et du comportement des animaux. Tout à fait digne des originaux qu’il reproduit, le catalogue de cette exposition propose, à côté de chaque espèce étudiée, un texte écrit par le peintre elle-même, ainsi que de courtes citations de scientifiques ou de naturalistes reconnus. S’ils rappellent l’essentiel sur chacun de nos trésors vivants ou disparus (particularités de leur existence, description, degré de rareté, ou cause de disparition, etc.), les commentaires de Ria Winters ajoutent à la démarche lorsqu’ils témoignent du plaisir qu’elle a éprouvé à observer l’animal.
Par la qualité de son iconographie, cet ouvrage fait oeuvre d’hédonisme plus que d’érudition. Son intérêt réside aussi dans sa structure. Environ la moitié des pages sont consacrées aux espèces disparues, tandis que l’autre moitié se concentre sur la vie sauvage actuelle, ce qui nous rappelle combien la présence humaine a pu être dévastatrice en un laps de temps bien court à l’échelle de la vie terrestre. Cet ouvrage montre souvent les animaux dans leur milieu, et regroupe sur la même planche ceux qui sont apparentés. Dans la famille du dodo, nous découvrons par exemple le magnifique ramage du pigeon de Nicobar, ou encore le solitaire de Rodrigues et le pigeon couronné avec son aigrette digne des dentelles les plus fines. Ailleurs, différentes variétés de pigeons bleus, de perroquets bleus ou de serpents se côtoient, facilitant des comparaisons.
Après avoir imaginé certaines rencontres animalières vécues par les premiers hommes qui ont foulé le sol mauricien, le lecteur trouve dans la seconde partie de quoi reconnaître les espèces actuelles quand il lui est donné de les voir dans la nature. L’exposition se tient au Blue Penny Museum jusqu’au 3 février. Réalisées selon les cas à l’acrylique ou à l’aquarelle, les peintures de Ria Winters sont proposées à la vente, contrairement aux sculptures en bronze prêtées par la Mauritian Wildlife Foundation.
———————————————————————————————————————————
Précieuses chauve-souris
Les chauve-souris se nourrissent de fruits depuis la nuit des temps, jouant un rôle fondamental dans l’écosystème mascarin, notamment en dispersant les graines et en favorisant la pollinisation. Même si Ria Winters souligne leur rareté par rapport à l’époque de François Leguat, elles incommodent actuellement les producteurs et propriétaires de vergers, qui ont même demandé leur déclassement auprès de l’UICN, International Union for Conservation of Nature. Le texte de Ria Winters fait réfléchir sur cet animal, en rappelant par exemple le simple fait qu’une des trois espèces endémiques que nos îles abritaient est d’ores et déjà éteinte. L’auteur la représente d’ailleurs à côté de la chauve-souris de Maurice et celle de Rodrigues. « What struck me was the curious, intense look of the animal, its beautiful chestnut coloured eyes surrounded by what I would call “yellow ochre” furry hair and a wet black nose. If this weren’t a bat, many people would call it “cute”. » Ainsi décrit-elle l’animal que Carl Jones lui a présenté pour qu’elle puisse l’observer.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -