À RIVIÈRE NOIRE ET À ROCHES NOIRES : Nature et patrimoine sacrifiés au nom du développement

Deux projets de développement foncier suscitent l’indignation, ces derniers jours. D’une part, le projet de la société Mont Calme Ltd à Les Salines, Rivière Noire. D’autre part, celui de Smart City à Roches Noires. Dans les deux cas, des pétitions circulent à travers Facebook où les opposants expriment déception et colère de voir voler en fumée un pan important du patrimoine national aux Salines de Rivière Noire et une zone naturelle, abritant une riche faune et flore à Roches Noires, au profit de bâtiments commerciaux. À Rivière Noire, Marc de Ravel, le promoteur et propriétaire de la société Mont Calme Ltd, garantit que le cachet touristique et historique sera préservé sur 25-30% du site. À Roches Noires, les habitants et ONG sont dans le flou quant au projet lui-même. D’autant que le gouvernement, comme annoncé dans le budget, mise beaucoup sur les Smart Cities.
Bientôt, les fameuses salines de Rivière-Noire seront détruites pour laisser la place à un espace commercial, une aire de stationnement, un village pour les personnes âgées et un projet résidentiel. Seuls 25 à 30% de ce pan de l’histoire du pays, conférant au lieu son cachet si particulier, subsisteront. Le reste ira sous bitume et béton. C’est la décision prise par la société Mont Calme Ltd, confrontée à de sérieuses difficultés financières. Cette situation serait la conséquence directe de la décision du gouvernement en 2012 d’ouvrir l’importation du sel. Ce qui a placé les producteurs locaux face à une rude concurrence à la base d’une série de pertes d’emplois il y a quelques années. Si le gouvernement d’alors avait promis de revoir la situation, les sauniers ont attendu une solution en vain. À cela s’est rajoutée l’interdiction du ministère de la Santé d’autoriser la fleur de sel, très prisée à l’étranger et dont la valeur est considérable. C’est ce qu’explique Marc de Ravel, le promoteur et propriétaire de la société Mont Calme Ltd, indiquant que Les Salines à La Mivoie, Rivière Noire, ne sont plus rentables. « Nous produisons également de la Fleur de Sel, produit à forte valeur ajoutée, nommée le caviar du sel que nous devons exporter uniquement car il nous est interdit de le vendre sur le marché local. Ces facteurs contribuent à faire de l’exploitation de sel à Maurice une pratique coûteuse et notre entreprise ne pouvait plus continuer à opérer en faisant face à des pertes. Nous avons un devoir de responsabilité envers nos actionnaires », dit-il dans un communiqué de presse.
« Les Salines de Mont Calme à Tamarin ne disparaîtront pas », affirme la compagnie
Le propriétaire et promoteur de Les Salines fait comprendre n’avoir eu d’autre choix et a engagé les procédures pour un projet de développement foncier sur le site. Le projet a obtenu l’accord de principe du Conseil de District de Rivière Noire. Reste à enclencher les démarches pour l’obtention d’un Building and Land Permit.
Bientôt, donc, terminés ces grands carrés de pierres taillées qui conféraient un cachet pittoresque et unique à cette partie du pays, déplorent les habitants de la région, des Mauriciens des quatre coins de Maurice et basés à l’étranger de même de que nombreux touristes. Le projet de la famille de Ravel est de créer à Les Salines un espace résidentiel, un village pour les seniors et un supermarché Winner’s. Le supermarché occupera 10% de l’espace incluant le parking. La construction de ce premier bâtiment devrait démarrer, une fois les permis obtenus, cette année, et se fera dans le respect du paysage de Tamarin et des appartements, jouxtant le morcellement Mont Calme Ltd où sont installées des villas de luxe, laissent comprendre les promoteurs de Winner’s. Cependant, à Rivière Noire et Tamarin, colère, frustration et tristesse fusent, certains s’interrogeant, par ailleurs, s’il convient d’autoriser un 3e supermarché dans cette région où deux supermarchés cohabitent déjà.
L’âme de la région
Appartenant à la famille De Ravel, ce site, qui fait quelque 50 arpents, dont 40 de marais salants, n’est pas classé comme faisant partie du patrimoine national malgré sa réputation et l’histoire qui y est attachée. Marc de Ravel indique qu' »il s’agit avant tout d’un patrimoine familial qui date de 60 ans et dont la construction a démarré, avec 5 arpents au départ, par les deux frères De Ravel, de leurs propres mains. »
Mais Marc de Ravel indique que dans la conjoncture financière présente, sa société avait la possibilité de fermer définitivement les salines de Tamarin ou d’en préserver une partie. La deuxième option a ainsi été retenue mais la société affirme que le projet de développement se fera dans le respect de l’environnement et du patrimoine. « Dans le cadre des développements qui surviendront aux salines, un des meilleurs architectes de Maurice a été mandaté pour élaborer un plan cadastral (Master Plan) qui prend en considération la préservation du paysage et l’harmonie des lieux dans le respect de l’environnement et du patrimoine », dit le promoteur. 25 à 30% des salines, notamment en bordure de route, avec en l’occurrence la Route du Sel, le musée et la boutique, seront sauvegardés, assure-t-il.
5000 signatures en 48 heures pour tenter de faire barrage
L’annonce de la conversion des salines suscite de vives réactions de la société civile qui ne veut pas voir s’effacer cette page de l’histoire, déplorant, par là-même, l’absence d’une quelconque politique de sauvegarde du patrimoine. En 48 heures, plus de 5000 signatures ont été récoltées pour une pétition ayant pour titre Preserve Tamarin Salt Fields as Mauritius heritage listing, circulée sur Facebook. « Les Salines de Rivière Noire représentent un symbole fort, c’est l’âme de la région et cet espace est connu internationalement pour la beauté du paysage pittoresque, des marais salants, surplombée par la montagne des Trois Mamelles », dit Percy Yip Tong, habitant de la région et porte-parole du comité nouvellement créé, SOS Les Salines. Plusieurs citoyens s’offusquent surtout de la manière dont les permis sont délivrés par le Conseil de District qui ne semble pas tenir en considération des questions importantes comme celles liées à la sauvegarde du patrimoine.
Après une rencontre, cette semaine, avec les représentants du ministère des Arts et de la Culture ainsi que le directeur du National Heritage Trust Fund (NHTF), l’association SOS Patrimoine en Péril a obtenu qu’aucun permis de construction ne soit délivré par le Conseil de District avant concertation avec la NHTF et le ministère des Arts et de la Culture, le ministère des Administrations Régionales et SOS Patrimoine en Péril, dont les représentants devraient être, à l’avenir, informés de tout projet de développement sur des sites du genre.
En fin de semaine, selon nos informations, les représentants du Comité SOS Les Salines ont eu une rencontre explicative avec Marc De Ravel. Dans un document en circulation SOS Les Salines indique: « Avec de la solidarité citoyenne mais aussi politique, nous pouvons essayer de trouver ensemble une solution aux problèmes financiers des Salines et sauver des emplois. Au pire, décider ensemble d’un aménagement immobilier harmonieux qui préserve les Salines. » Après une première séance d’explication, une réunion plus élargie est annoncée pour mercredi prochain avec les promoteurs de Winner’s.
Roches Noires
Pratiquement les mêmes sentiments surgissent devant un scénario pas si différent à Roches Noires. Là encore, une pétition circule sur Facebook pour tenter de barrer la route à un projet d’IRS d’envergure qui y est prévu. Le site identifié à cet effet se situe à l’entrée de Roches Noires, entre Roches Noires et Bras d’Eau. Si cette zone est désormais connue parce qu’elle abrite le célèbre campement de Navin Ramgoolam, le site comporte un intérêt plus important avec son cachet naturel, ses caves, ses terrains marécageux, ses barachois, sa mangrove et toute une riche faune et flore.
Le développement du projet IRS dans la région viendrait mettre tout cela en péril et l’impact sur l’environnement sera conséquent. Une pétition contre le projet a été adressée au Premier ministre, aux vice-Pm, aux ministres des Finances, de l’Économie océanique, des Ressources marines, de la Pêche et des îles extérieures, de l’Environnement, de l’Agro-Industrie et de la Sécurité Alimentaire. Le document précise que « Nous avons pris connaissance du projet de création d’une Smart City dans le périmètre de l’ancien projet IRS de Roches Noires lors de la présentation du budget au Parlement. Vu la nature du terrain retenu, nous souhaitons partager notre vive inquiétude avec vous. La région de Roches Noires est une zone composée de marécages, de mangrove et de cavernes fortement interconnectées formant un écosystème unique à Maurice, qui est fragile et qui mérite d’être protégé. Tout développement foncier dans cette zone aura immanquablement un impact sur l’environnement de toute la région. En particulier, les zones de Bras d’Eau et les zones humides autour du barachois sont indissociables car elles relèvent du même écosystème par leur connections souterraines (…) Nous souhaitons que cet ensemble soit sanctuarisé durablement et classé dans le cadre de la Convention Ramsar de protection des zones humides, dont Maurice est déjà signataire. (…) Nous espérons que notre appel sera entendu et que cet écosystème fragile sera protégé durablement à travers un classement Ramsar. » Une copie de la pétition sera transmise au siège de Ramsar en Suisse. Les habitants de la région et les défensuers de l’Environnement espèrent que les autorités tiendront compte des conséquences d’une telle construction dans leur région, au détriment d’une importante zone regroupant plusieurs caves et sources naturelles, des barachois ainsi que de la mangrove, si ce n’est une faune et une flore très riche, insoupçonnées par beaucoup.
Raj Dayal en hélicoptère
En 2008, il existait un projet IRS d’un promoteur français dans la région sur un terrain de plus de 800 arpents. Le projet a été avorté des suites de problèmes financiers du promoteur. On apprend, de même, que le site n’a jusqu’ici pas obtenu de classification Ramsar malgré les appels lancés par la société civile pour que les démarches soient entreprises en ce sens.
Entre-temps, le gouvernement dit encore étudier la question. Très prochainement, il est prévu que Raj Dayal fasse un survol en hélicoptère pour établir un état des lieux.

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