Rodrigues : la démocratie en otage

La 7e séance des travaux de l’Assemblée régionale de Rodrigues aura été ponctuée par un walk-out des membres de la minorité parlementaire ainsi qu’un retrait de toutes les questions adressées au Chef commissaire Serge Clair. Le motif avancé est que ce dernier bafouait, à leurs yeux, la démocratie en ayant fait le choix de demeurer à son poste malgré le fait que son nom ait été mentionné dans le rapport Lam Shang Leen sur le trafic de drogue.

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Le 24 août dernier, lors d’une séance spéciale de l’Assemblée, les débats sur une motion de confiance envers Serge Clair débouchèrent sur l’adoption de cette dernière à 10 contre 7. L’opposition avait retiré, au préalable, sa motion de blâme prévue pour être débattue le même jour contre le même Chef commissaire, jugeant que la joute était courue d’avance et préférant réserver ce recours parlementaire pour une autre occasion. Car une motion de blâme ne peut être présentée par un côté de la Chambre qu’une fois l’an, selon les règlements de l’Assemblée régionale.

Les membres de l’Assemblée régionale sont payés des deniers publics pour s’assurer que le peuple au nom duquel ils ont été mandatés pour le faire, obtienne les réponses à ses questionnements légitimes sur les affaires du pays dans le respect de l’exercice démocratique. Si l’opposition a choisi de ne plus poser de questions parlementaires au Chef commissaire ou, même, de bouder ses réponses aux questions adressées par les membres de sa propre majorité en effectuant des walk-out, nous avons un problème en l’occurrence.

Le seul recours démocratique qui était à la disposition de l’opposition pour que le Chef commissaire parte était une motion de blâme contre ce dernier. Elle s’en est initialement prévalue, mais a finalement choisi de passer outre après avoir jaugé la détermination des membres de la majorité à faire bloc derrière leur leader. Elle aura tout de même eu l’opportunité de présenter ses réserves par rapport à l’action du Chef commissaire lors d’âpres débats lors de la dernière séance spéciale de l’Assemblée régionale, tandis que les membres de la majorité s’évertuaient à défendre son bilan. Le très controversé président des États-Unis, Donald Trump, fait face actuellement à toutes sortes d’accusations pouvant déboucher sur des déboires judiciaires une fois son immunité levée, c’est-à-dire quand il ne sera plus président de son pays.

En attendant, il est toujours porté par l’inertie de l’exercice démocratique du mandat quadriennal américain. Il y a toujours la possibilité d’un recours à une procédure de destitution du président d’après la constitution des États-Unis, mais les démocrates ne sauraient s’en prévaloir pour le moment dans un contexte où le pouvoir législatif est majoritairement républicain. Et les débats au Sénat suivent leur cours normalement là-bas, le peuple étant considéré comme souverain. A l’équipe de l’opposition parlementaire locale d’en prendre acte.

« Il n’appartient qu’au Premier ministre, Pravind Jugnauth, de pouvoir demander au Chef commissaire de step down »

Ce qui est reproché à Serge Clair dans le rapport Lam Shang Leen est très grave. S’il s’est vraiment ingéré dans les affaires de la police, il aura dépassé ses prérogatives en tant que Chef commissaire et il ne mérite plus d’occuper sa fonction. Selon ce qui a été rapporté dans les médias, Serge Clair ne cesse de marteler qu’il n’a pas été convoqué par la commission Lam Shang Leen lorsqu’elle s’est déplacée pour recueillir les dépositions à Rodrigues afin d’entendre sa version des faits.

Selon sa logique, les accusations portées contre lui demeurent donc que des allégations et il est déterminé à s’en défendre à travers une judicial review qu’il compte présenter sous peu pour contredire les clauses le concernant dans le rapport et laver ainsi son honneur. Par contre, si, après enquête les témoignages concordent pour l’accabler, nous, citoyens honnêtes et responsables, ne saurions tolérer qu’il ne demeure une seconde de plus à son poste de Chef commissaire. Nous sommes dans un Etat de droit et le temps que la justice suive son cours, il n’appartient qu’au Premier ministre, Pravind Jugnauth, de pouvoir demander au Chef commissaire de step down s’il estime que cela est nécessaire dans l’intérêt du public.

En attendant, que chacun prenne ses responsabilités et ne se serve pas de la démocratie comme prétexte pour la tenir en otage en orchestrant des walk-out à l’Assemblée régionale et priver, du coup, la population de son droit à être informé des affaires de la cité.

La démocratie n’est pas un système parfait et elle pourrait même être perçue comme la tyrannie de la minorité par la majorité. Elle demeure toutefois le meilleur système par défaut pour tous les peuples civilisés face à d’autres systèmes de gouvernance plus iniques. La façon dont la démocratie et les différents exercices en découlant sont exprimés dépend largement de la stature des hommes que nous, citoyens, aurons choisi pour nous représenter.

Ce qui nous renvoie inévitablement à nos propres échelles de valeurs, individuelles et collectives. Nous n’avons que les gouvernants que nous méritons, mais il nous reste toujours la possibilité de les changer ou de les maintenir au pouvoir tous les cinq ans à travers des choix supposément éclairés… La débauche de moyens financiers et en ressources humaines déployée pour éclairer nos choix justement, ne saurait être en adéquation avec la seule prétention avérée de certains candidats à servir le pays…

Dans une si petite île comme la nôtre où tout se sait, et se chuchote surtout, l’image que nous renvoient les candidats qui briguent les suffrages et les faits et gestes de leur proche entourage, pendant la campagne électorale, nous renseignent suffisamment sur ce à quoi s’attendre si d’aventure ils étaient élus. Nous aurions souhaité au fait une image issue d’une palette chromatique très diversifiée, mais celle que nous sommes amenés à contempler, tant que la réforme électorale promise ne sera pas acquise, n’est composée que de nuances de gris. Triste constat pour notre démocratie.

Percy Gontran

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