ROLAND RATSIRAKA : “Les relations malgacho-mauriciennes ne sont pas celles qu’elles auraient dû être”

Notre invité de ce dimanche est Roland Ratsiraka, leader du MTS et candidat à l’élection présidentielle malgache prévue le 25 octobre. Neveu de l’ancien président Didier Ratsiraka, il vient d’effectuer une brève visite à Maurice pour rencontrer des leaders politiques et des chefs d’entreprises mauriciens. Dans l’interview qu’il nous a accordée vendredi matin, Roland Ratsiraka explique les raisons qui l’ont poussé à présenter sa candidature et détaille sa vision de la Grande île quand elle sera sortie de la crise politique, économique et sociale qui dure depuis quelques années.
Vous êtes candidat aux élections présidentielles malgaches qui sont prévues le 25 octobre. À un mois de ces élections, vous êtes en visite à Maurice. Est-ce que cela veut dire qu’il est plus important de convaincre les pays de la région que les électeurs malgaches, Roland Ratsiraka ?
Pas du tout. C’est mardi prochain que commence la campagne officielle pour les présidentielles. Nous sommes donc en précampagne et j’ai pris une journée pour faire un saut à Maurice pour expliquer notre politique pour l’avenir de Madagascar et notre vision sur les relations malgacho-mauriciennes. Il faut que nos voisins sachent qui va diriger Madagascar, que les futurs investisseurs connaissent la direction que va prendre le pays. Il faut aussi que les électeurs malgaches me sentent et me voient en train de faire cette démarche.
N’est-il pas plus important qu’ils vous voient et vous entendent chez eux, avec eux ?
Je serai avec eux tous les jours à partir de ce week-end. Je suis présent dans la camapgne à travers des messages et des clips qui passent sur les radios et télévisions. Ils m’ont vu dans différents endroits de Madagascar, il faut aussi qu’ils voient leur candidat avec des potentiels chefs d’entreprises, désireux d’investir à Madagascar. Tout cela fait partie de la campagne électorale.
Vous êtes arrivé tard à la politique après avoir fait carrière dans le monde des affaires. Le fait d’être le neveu de Didier Ratsiraka  vous a-t-il conduit en politique ?
Non. Si c’était le cas j’aurais été dans son parti politique alors que j’ai créé le mien pendant qu’il était au pouvoir. Je l’ai fait aussi pour me créer un prénom dans le monde politique malgache où j’avais déjà un nom
Un nom qui n’a pas toujours fait l’unanimité à Madagascar…
Cela a dépendu des époques et des périodes. Pour éviter le côté négatif de ce nom, je me suis crééun prénom. Et je crois avoir réussi puisque j’ai été élu plusieurs fois comme député, comme maire de Tamatave et mon parti a fait élire des députés, des sénateurs et des conseillers régionaux. Mon parti a toujours été indépendant par rapport à Didier Ratsiraka.
Vous n’avez rien à faire politiquement avec votre oncle?
Rien du tout ! J’ai toujours dénoncé les dérives, les violations des Droits de l’homme et les libertés fondamentales, la mauvaise gouvernance et les abus de toutes sortes.
On vous a même présenté comme étant le plus farouche adversaire de Marc Ravalomanana.
À l’époque, oui…
Ce n’est plus le cas aujourd’hui ?
Il faut laisser le passé au passé et se préoccuper de l’avenir. Ce qui m’intéresse avant tout c’est l’essor économique de Madagascar, le retour à la stabilité et à une paix durable. On a eu le passé que l’on sait.
Peut-on l’oublier ce passé qui a fait tant de mal à Madagascar et aux Malgaches ?
Mais j’en ai souffert comme la majorité des Malgaches ! N’oubliez pas qu’on m’a mis en prison pour six mois. Mais je crois qu’il faut utiliser le passé positivement, ne pas l’oublier certes, mais surtout regarder devant.
Les Mauriciens comprennent très mal ce qui se passe chez vous. Entre autres choses, ils n’arrivent pas à comprendre comment les Malgaches aient pu accepter cette situation politique qui dure depuis l’indépendance et a conduit le pays à la ruine…
Il y a eu un problème à tous les niveaux à Madagascar. Au niveau institutionnel, politique, au niveau des politiciens, au niveau de la sécurité et on pourrait continuer pendant longtemps. La crise est généralisée et dure depuis des années. On a inculqué au Malgache d’innombrables choses qui sont inacceptables. On lui a fait croire que ceux qui sont au pouvoir peuvent voler, qu’ils peuvent bénéficier de l’impunité. Cela fait que les Malgaches ont pratiquement tout accepté de leurs dirigeants politiques, qui les ont manipulés dans le passé.
Vous avez fait partie de ces dirigeants politiques, Roland Ratsiraka, vous avez été au pouvoir…
Oui, mais j’ai fait de la politique et j’ai été au pouvoir pour dénoncer constamment cette situation et ces abus et ces dérives dictatoriales. J’ai systématiquement défendu les violations des Droits de l’homme, ce qui m’a valu d’être emprisonné.
Le processus électoral mis en place va-t-il aller jusqu’à son terme ou subir des ratés et des arrêts, comme dans le passé ?
Miraculeusement, je dis bien miraculeusement, la situation actuelle n’est pas mal. Les élections vont être organisées par une commission nationale indépendante, la première depuis que Madagascar est indépendante. Avant c’était les gouvernements successifs qui organisaient les élections, ce qui fait qu’on se retrouvait dans la situation d’un match de foot où l’arbitre avait le droit de toucher le ballon et de mettre des buts. Aujourd’hui tout le monde est d’accord et on va de l’avant.
La possibilité qu’un vaincu se déclare vainqueur et bloque le pays, comme Didier Ratsiraka l’a fait en contestant la première élection de Marc Ravalomanana, n’est-elle pas possible ?
Ceux qui ont déjà fait ce genre d’action et qui auraient la possibilité de le faire ne sont pas candidats, ce qui modifie la situation.
Vous dites accepter le passé et en même temps vous refusez à trois candidats le droit de se présenter devant l’électorat
Tout cela est logique. La communauté internationale nous demande de respecter les lois que nous avons fait voter. Ces lois disent que les candidats doivent avoir résidé pendant au moins six mois à Madagascar avant les élections. Il faut les appliquer.
Vous faites partie des 33 candidats à la présidence. Vous pensez que le nom que vous portez va vous aider ou que c’est votre prénom qui va faire la différence ?
Il y a un peu des deux. On ne peut pas taire le fait que le nom que je porte apporte quelque chose au niveau politique
Malgré le passé et les “réalisations” de votre oncle Didier ?
Dans certains endroits oui, malgré le passé, pas dans d’autres. Mais je crois que mon atout c’est d’avoir de l’expérience, de m’être préparé depuis très longtemps à cette élection, d’avoir des représentants dans des districts. Contrairement à la majeure partie des candidats, j’ai été élu à plusieurs reprises et je me suis exprimé pour une réconciliation nationale durable.
Comment faut-il comprendre l’expression “réconciliation nationale” dans votre bouche ?
Il faut en finir avec l’ambiance sociale malsaine qui a trop longtemps existé à Madagascar. Il faut en finir avec les extrémistes en politique, amener de la modération, faire comprendre à tout le monde que cela ne sert à rien de se focaliser sur le passé. Il faut faire accepter la démocratie et l’alternance, ce qui est contraire à la manière de penser de certains leaders politiques malgaches. Ces semi-dictateurs n’ont pour but que de s’enrichir au pouvoir.
Que faut-il penser des attentats à l’explosif qui ont lieu ces derniers jours à Antananarivo ?
Ce sont, je crois, les derniers partisans récalcitrants de Marc Ravolamanana qui sont à l’oeuvre. Ce sont des actes isolés et ceux qui les font ont tort. Je crois que Madagascar va bien et que les possibilités de retour à la violence n’existent pas.
Que pensez vous de TGV ?
Il a accepté que l’on organise les élections et de ne pas y participer, ce qui est une bonne chose.
Quel est le programme que vous proposez aux Malgaches ?
La relance économique, le retour à la stabilité et à la paix et de l’emploi, beaucoup d’emplois.
Comment créer de l’emploi à partir de rien dans un pays paralysé depuis des mois, voire des années ?
Il faut une politique pour l’emploi, ce qui n’a jamais existé à Madagascar depuis l’indépendance, quel que soit le régime qui ait été en place. Les entreprises paient trop de taxes à Madagascar et ce qu’elles paient n’arrive pas aux caisses de l’État mais dans celles de certains fonctionnaires. Il faut diminuer les taxes des entreprises à condition qu’elles créent de l’emploi. Avec cette mesure on peut créer au moins 200000 emplois, ce qui va créer de la consommation, ce qui va faire repartir l’économie et permettre à l’État de gagner de l’argent.
Quelle devrait être la priorité des priorités de Madagascar après les présidentielles ?
L’instauration d’un climat apaisé parce qu’on ne peut pas faire repartir l’économie sans la stabilité politique et sociale. Il faut que ceux qui vont diriger l’État envoient un signal fort aux Malgaches pour leur dire qu’il faut reconstruire le pays. Il faut prendre des mesures d’apaisement pour lancer cette réconciliation nationale, nécessaire au redécollage du pays. On doit absolument donner un signal fort en ce qui concerne la justice à Madagascar. Pour l’heure, l’État de droit et les lois ne sont pas respectées à Madagascar, surtout par les dirigeants. Il faut rapidement faire savoir qu’il faut respecter la justice malgache. On va y parvenir en prenant des actions, en rappelant qu’il faut respecter les valeurs ancestrales et démocratiques et donner un rôle primordial à la femme malgache.
Vous pensez que ça n’a pas été le cas ?
On n’a pas encore donné à la femme malgache le rôle social qui doit lui revenir. Jusqu’a présent on ne lui a pas donné assez de responsabilités en lui laissant s’occuper uniquement du ménage et d’élever ses enfants. Tant que la Malgache, qui est majoritaire chez nous, ne sera pas épanouie, le pays ne le sera pas davantage. Il existe un clivage extraordinaire entre les villes et la campagne, ce qui est une des particularité des pays du tiers monde. Ce qui fait que pour la campagne, nous essayons de faire le maximum des villes possibles et utilisons les radios et la télévision pour diffuser notre message.
Trente-trois candidats, ce n’est pas trop ?
Il y a beaucoup de candidats, mais à part moi personne n’a l’expérience d’avoir été troisième à une élection présidentielle. Enfin, troisième officiellement puisque, comme vous le savez sans doute, le premier jour du scrutin j’étais en deuxième position et un deuxième tour, qui n’a jamais eu lieu, devait être organisé.
Vous pensez que la campagne va se dérouler sans dérapage ?
Il n’y a pas de risque de dérapage de dernière minute dans la mesure où tous les candidats sont co-organisateurs de l’élection et sont représentés au sein de la commission électorale. C’est la première fois que des élections démocratiques seront organisées à Madagascar.
Cela coûte cher de faire une campagne présidentielle à Madagascar ?
Oui. Il faut compter au moins $500 000 (?Rs 1,5 Md) par candidat.
Il faut avoir des soutiens pour arriver à une telle somme. C’est votre cas ?
Moi j’ai mes deniers personnels que je mets dans la campagne.
Pourquoi être candidat, investir autant d’argent dans un pays qui ne fonctionne plus où tout est à reconstruire ?
Je ne fais pas partie de ceux qui ont détruit le pays. Je me suis engagé dans cette campagne parce que je ne peux pas accepter que la gabegie continue à dominer à Madagascar, que la mauvaise gestion continue. Je ne peux pas accepter cette mentalité et je pense que l’exemple vient d’en haut. Je souhaite avoir mon mot à dire dans la construction de l’avenir de Madagascar. Il faut tout changer à Madagascar, à tous les niveaux. Il faut changer les mentalités, les manières de fonctionner, redonner à certains mots comme “performance” et “rendement” leur sens originel. Il faut, malgré les résistances, améliorer, moderniser les méthodes agricoles traditionnelles. Il ne faut pas oublier que l’agriculture est le fer de lance de l’économie malgache et qu’il y a quelques années on nous surnommait “le grenier de l’océan Indien.”
Qu’est-ce que vous redoutez le plus dans cette élection présidentielle ?
L’après-élection. Il faudra donner des résultats rapides. Il faudra qu’en très peu de temps nous soyons autosuffisants en termes de riz. Pour ce faire, nous allons créer un ministère du Riz pour se pencher sur tous les problèmes concernant cette denrée essentielle pour les Malgaches. Si on réussit à faire fonctionner ce nouveau ministère du Riz, le reste suivra.
Pour ce faire — et à condition que vous ayez remporté les élections —, il va falloir mettre de l’ordre dans l’administration. Vous pensez que les fonctionnaires en place, habitués à une autre manière de fonctionner, vont se laisser faire sans réagir ?
— Ce sera le travail du Président qui a un mandat de cinq ans pour le faire. Les choses sont un peu plus simples dans la mesure où les élections législatives ont lieu en même temps. Cela permet au Président élu de disposer de sa majorité parlementaire pour constituer le gouvernement et commencer à mettre son programme en pratique.
Vous n’avez aucune crainte de perdre cette présidentielle ?
Aucune crainte, c’est beaucoup dire. J’ai moins de crainte qu’aux dernières présidentielles. Aujourd’hui, les candidats organisent ensemble les élections, ce qui change la donne.
Et l’armée malgache dans tout ça, Roland Ratsiraka ?
L’armée va jouer son rôle, c’est-à-dire défendre le pays et ses habitants.
Elle a parfois joué pour le pouvoir et contre les habitants…
Cela a été le cas. Mais l’armée ne doit pas jouer un rôle politique et elle est obligée d’accepter le verdict des urnes et de faire son métier.
Que pensez-vous de la communauté internationale qui a laissé faire pendant des années les présidents malgaches qui se sont comportés comme, pour reprendre votre terme de tout à l’heure, des semi-dictateurs ?
La communauté internationale a été souvent critiquée, mais il faut reconnaître que c’est dû aussi aux politiques malgaches. Cette communauté internationale n’a pas forcément pris les bonnes décisions au moment voulu, mais elle est revenue aux principes de base de la démocratie et exige qu’elle soit respectée. La seule critique que je retiens contre la communauté internationale c’est qu’à un moment elle a voulu imposer un projet Marc Ravalomanana, dont la mauvaise gestion de Madagascar est reconnue. Est-ce qu’on aurait accepté en France ou aux États-Unis qu’un président ayant mélangé les caisses de l’État et ses caisses personnelles revienne au pouvoir ? Pourquoi a-t-on voulu nous faire accepter ça à Madagascar avec une candidature de Ravalomanana ?
Quelle est votre réponse à cette question ?
Je dis que c’est de l’irrespect vis-à-vis de la population malgache. C’est prendre les Malgaches pour des infantiles, ce qui n’est pas le cas. Si je suis élu, je m’occuperai plus de la politique pour faire en sorte que Madagascar recommence à se développer. Mon parti ne pratique pas d’idéologie mais de l’action. L’idéologie, des théories pas bien comprises ont fait beaucoup de mal à Madagascar dans le passé. Le temps n’est plus aux discours mais à l’action.
Est-ce que dans le cadre de la réconciliation nationale vous iriez jusqu’à travailler avec tous les candidats aux présidentielles ?
Moi, je travaille avec tout le monde. La première fois que j’ai été élu comme maire, juste après la proclamation des résultats, j’ai invité mes adversaires à venir travailler avec moi et ils ont accepté. Si je suis élu j’inviterai tous les autres candidats à venir travailler avec moi pour faire redécoller le pays.
Vous avez des relations avec votre oncle Didier ?
Des relations familiales seulement.
Qu’avez-vous à dire aux leaders et aux entrepreneurs mauriciens ?
Je partage ma vision de l’avenir de Madagascar et je leur dis en ce qui concerne les relations entre nos deux pays qu’il ne faut pas rater l’histoire. L’histoire de la région va se faire à Madagascar, nous sommes à un tournant historique et j’aimerais le prendre avec Maurice.
Comment ont été les premiers contacts avec les leaders mauriciens ?
Ils ont été excellents, surtout avec les leaders du MMM et du MSM, messieurs Bérenger et Jugnauth.
Vous avez rencontré le Premier ministre mauricien ?
Non. J’ai fait une demande d’audience qui n’a pas eu de suite. Je le regrette.
Que souhaitez-vous dire pour terminer cette interview ?
Je voudrais faire comprendre aux Mauriciens et aux chefs d’entreprises mauriciennes qu’il existe un marché de 20 millions d’habitants en face. On y est en une heure d’avion. Nous sommes des pays frères. Ce n’est pas normal que nous ne construisions pas l’avenir ensemble ! Nous sommes des pays frères. Ce n’est pas normal que la crise malgache n’ait pas été comprise par le gouvernement mauricien. On peut et on doit lier notre avenir. La majeure partie des produits que Maurice importe peut être fabriquée à Madagascar, à moindre coût, avec autant de qualité. En ce faisant, on créerait de la richesse et de l’emploi à Madagascar et à Maurice. On ne peut pas constamment fermer les yeux sur le fait que nous sommes frères.
Vous avez le sentiment que Maurice ferme les yeux sur Madagascar ?
Oui et volontairement, et depuis toujours. Je trouve que les relations malgacho-mauriciennes ne sont pas celles qu’elles auraient dû être. Il y a un manquement des deux côtés. Les gouvernants n’ont pas eu cette vision. Paul Bérenger, que j’ai vu plusieurs fois, a cette vision et apparemment aussi M. Jugnauth, que je n’ai vu qu’une fois.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -