SCIENCES: Sommes-nous encore “sapiens” ?

Le scientifique et journaliste de renom Julian Cribb a publié dans le très réputé magazine australien Nature une requête à l’adresse du monde scientifique et des citoyens pour que l’on change l’épithète “sapiens”, qui est attribué à la race humaine depuis 1758. Julian Cribb, qui a notamment publié l’an dernier The coming famine (*) est d’avis que nous ne méritons plus d’être qualifiés comme “sage et/ou savant”, tel que le sous-entend ce terme, parce qu’il est devenu inexact en regard de notre impact sur la planète, et qu’il encourage une dangereuse illusion sur nous même…
Dans le dernier numéro de Nature (N° 476 paru le 18 août), Julian Cribb propose qu’une discussion internationale impliquant à la fois les scientifiques et le public soit organisée pour revoir la dénomination scientifique de l’espèce humaine, et afin que le nouveau nom qui sera alors défini reflète plus fidèlement les qualités et caractéristiques de l’homme du XXIe siècle, qu’il estime profondément différent de celui du XVIIIe siècle. Sapiens signifie en latin intelligent, sage, raisonnable, ou encore prudent. Nous étions même désignés au temps de Carl Linné, le père de la taxonomie, comme homo sapiens sapiens, pour se distinguer de la lignée de l’homme de Néandertal, Homo sapiens neandertalensis.
Julian Cribb aligne un argumentaire très convainquant, à l’idée que nous ne méritons plus cette appellation d’homo sapiens. L’humanité est-elle sage en effet, en se rendant responsable de la disparition de 30 000 espèces vivantes chaque année ? L’auteur précise que cela fait de nous la seule espèce à avoir causé la mort d’autant d’autres espèces vivantes probablement depuis que la terre s’est créée !
Humanité polluante
Julian Cribb évoque les 30 milliards de tonnes de gaz carbonique que nous rejetons dans l’atmosphère, et qui contribuent à accélérer le réchauffement de la planète, ce qui mettra la population mondiale en danger à la fin de ce siècle. Des 83 000 produits chimiques que nous avons créés, beaucoup sont toxiques, et l’auteur rappelle qu’une étude américaine a trouvé en 2005 que tout nouveau-né américain est déjà contaminé dans son corps, par quelque 200 produits chimiques (notamment des pesticides, des dioxines et produits ignifuges). Il évoque une autre étude qui montre que des produits chimiques inoffensifs peuvent, en étant associés, devenir un poison…
Julian Cribb dresse une liste fort complète de l’impact humain sur la planète qui fait penser que si nous sommes savants, nous sommes alors devenus des savants fous, oublieux de toute éthique et de tout bon sens. Avec les 121 millions de tonnes d’azote, les 10 millions de t. de phosphore ou encore les 10 milliards de t. de gaz carboniques rejetés chaque année dans les cours d’eau, lacs et océans, nous avons réussi l’exploit meurtrier de créer plus de 400 zones mortes dans nos océans ces dernières années.
Dans les années soixante-dix, René Dumont poussait un cri d’alarme dans son livre Paysans écrasés, Terres massacrées à travers le monde. Sans doute se retournerait-il dans sa tombe en découvrant le monde d’aujourd’hui, et particulièrement d’ailleurs le petit territoire mauricien qui continue de se couvrir de nombreuses constructions et de nouvelles routes. Bien que l’humanité dispose déjà de peu de terres cultivées et de pâturages en regard de ses besoins alimentaires, elle continue d’en perdre 1 % de sa surface chaque année, à cause de l’érosion, de la dégradation des sols, de l’urbanisation, des activités minières, de la pollution et de l’augmentation du niveau de la mer.
Crise alimentaire
Julian Cribb précise que cette situation s’est particulièrement dégradée ces dernières années, alors que les besoins alimentaires s’accroissent avec la population (7 milliards en 2050 et plus de 10 milliards à la fin du siècle) et que nous continuons de gaspiller impunément des quantités phénoménales de ces productions. La demande en eau potable pour l’agriculture, les villes et les énergies devrait doubler d’ici à 2050. L’humanité a déjà dépassé le pic de production de poisson en 2004. Et notre demande de toute ressource (nutriments minéraux, eau, énergie, etc.) vont plus que doubler, particulièrement en Asie. Si tout le monde vivait comme nos compatriotes australiens et américains, cela demanderait quatre planètes comme la terre !
Malgré tous ces faits alarmants, les humains investissent 1 600 milliards de dollars par an dans de nouvelles armes, et seulement 50 milliards dans de meilleurs moyens de production alimentaire. « Au final, nous sommes en train de détruire une grande quantité de choses — sol, eau, énergie, ressources, autres espèces, santé — pour quelque chose qui existe surtout dans notre imagination : l’argent. Vendre quelque chose de réel pour quelque chose d’imaginaire apparaît difficilement sage… » Julian Cribb rappelle que le code international de nomenclature zoologique prévoit la possibilité de renommer une espèce lorsque les scientifiques constatent qu’elle a changé, ou qu’il est nécessaire corriger une erreur d’appréciation. Enfin, il n’écarte pas la possibilité qu’à l’avenir nous puissions revenir à la terminologie sapiens, si nous prouvons que nous la méritons…

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