SHEIK JAMIL HALIM : « Tout ce que je fais dans la vie n’a qu’un but : servir la croyance musulmane. »

Notre invité de ce dimanche est le Sheik Jamil Hamil. Ce théologien est également un auteur et un écrivain respecté qui parcourt le monde pour donner des conférences. Il vient d’effectuer un séjour à Maurice et a accepté de répondre aux questions de Week-End. Nous remercions le Sheik Khalid Ahmad, du Liban, enseignant en chef de la mosquée Al Aqsa de Port-Louis, qui a assuré la traduction de l’arabe au français de cette interview.
Qui-êtes vous Sheik Jamil Halim ?
Mon nom est Jamil Halim Ali Al-Husseini et je suis né à Beyrouth, au Liban. On me surnomme Sheik parce que je suis un des descendants du Prophète à travers son petit fils. Je suis un théologien de l’islam et également président d’une association regroupant des théologiens sunnites et soufis. Je suis également membre du syndicat des descendants du prophète…
… il existe un syndicat des descendants du prophète ?
…ce n’est pas un syndicat dans le sens ou on l’entend généralement, surtout dans le monde du travail en Occident. En fait, il s’agit d’une organisation non gouvernementale dont l’objectif est d’authentifier les arbres généalogiques des descendants du prophète et de toutes les questions concernant cette descendance. Je suis également auteur de plusieurs ouvrages sur la théologie. Tout ce que je fais dans la vie n’a qu’un but : servir la croyance musulmane.
Qu’est-ce que le soufisme ?
Littéralement ce terme signifie la sincérité dans son comportement envers son créateur. Il signifie également se débarrasser du mauvais caractère, être attaché au modèle du prophète et faire apprécier son sens de l’austérité. Rejeter la vie mondaine et le luxe, suivre et respecter les enseignements coraniques et prophétiques. Comme l’a dit l’un des plus grands soufis : notre voie, c’est de maîtriser les enseignements coraniques et prophétiques, pour nous rapprocher de la perfection. C’est-à-dire chercher à gagner, dans son comportement, dans son caractère tout ce qui est digne, nous débarrasser de tout ce qui est mauvais et apprendre à s’améliorer, à s’élever, à éduquer son âme. Tout ceci ne s’acquiert qu’avec le savoir, la connaissance. Il faut faire la différence entre les soufis authentiques et ceux qui ne le sont pas et s’en attribuent le titre.
Il y aurait donc de vrais et de faux soufis ?
Ceux qui se sont écartés de l’enseignement originel, ne sont pas des soufis. Le premier soufi est Abu Dharr, le plus grand des compagnons du prophète, qui s’est distingué par la condamnation des puissants, ce qui lui avait valu la prison à l’époque. Il est considéré comme étant un des grands érudits de l’islam. Mais il existe des imposteurs, de faux soufis qui se cachent derrière ce titre pour gagner l’estime des gens et aussi leur argent. Ceux-là n’ont pas bâti leur pratique sur la connaissance religieuse et spirituelle. Ces faux soufis ont voulu, en réalité, profiter de la naïveté des gens.
Comment devient-on soufi, quelles sont les études que l’on doit faire pour obtenir ce titre et qui le décerne ?
Il n’existe pas d’institution qui décerne un diplôme de soufi. C’est la connaissance théologique et religieuse, la conformité avec les textes, la fidélité, la sincérité et la loyauté à l’enseignement de l’islam qui sont les critères pour devenir un soufi. Le soufi recherche l’intériorisation, l’amour de Dieu, la contemplation, la sagesse. Il combat au nom de l’islam le vice sous toutes ses formes. Les faux soufis cherchent en réalité à s’enrichir sans se fatiguer, ils se font passer pour des gens pieux, vertueux, ils feignent la piété. Ils sont, en apparence, pauvres, mais ce sont des personnes dangereuses. Ils prétendent à la sainteté pour se faire offrir des cadeaux. Certains d’entre eux ont même osé prétendre qu’ils étaient l’incarnation de Dieu
Comment fait-on la différence entre un vrai et un faux soufi ?
Il suffit de peser les paroles et les actes du vrai soufi selon les enseignements coraniques et prophétiques et les savants théologiens. Ceux qui empruntent un chemin contraire aux enseignements coraniques et prophétiques sont des imposteurs qui dupent les autres. Ce ne sont pas des soufis sincères. Il y a eu des imposteurs célèbres dans l’histoire du soufisme, dont quelques-uns qui ont sévi en Europe et aux Etats-Unis et qui prétendaient pouvoir amener leurs disciples directement au paradis. Il y en a d’autres qui vivent dans les pays arabes où ils sont devenus très riches en dupant les gens.
Y a-t-il plus de vrais que de faux soufis dans le monde musulman ?
Du point de vue historique ce sont les vrais soufis, les sincères qui sont les plus nombreux et sont cités en exemple tellement ils ont été efficaces dans la formation et le respect des enseignements.
Peut-on dire qu’un soufi est un musulman supérieur aux autres ?
Le soufi qui correspond aux critères que nous avons cités n’est pas supérieur mais meilleur que les autres. C’est quelqu’un de bon, de pur, un exemple pour les autres. Pour Dieu, les meilleurs d’entre ses disciples sont ceux qui sont les plus pieux. Il ne s’agit pas d’une simple réputation, c’est un comportement, une manière de vivre et d’être en pratiquant et respectant les enseignements de l’islam.
A quoi sert le soufisme dans le monde moderne qui est le nôtre ?
A montrer la voie, à ramener dans le droit chemin. L’immoralité s’est répandue dans le monde moderne dans beaucoup de milieux. La plupart des jeunes garçons et filles deviennent malpolis vis-à-vis de leurs parents et de leurs aînés. Le soufi éduque ces jeunes pour qu’ils retrouvent les vrais valeurs de l’islam afin de leur permettre d’acquérir une dignité dans le comportement et surtout le respect de leurs parents qui est quelque chose des très important dans l’enseignement de l’islam. La mission du soufi est d’éduquer les générations à garder la sincérité, la véracité, la loyauté dans le discours et les actes pour qu’elles se comportent correctement avec les autres. Nous avons besoin de l’enseignement de ces valeurs pour le bien de la société. Le soufi prêche ces valeurs de l’islam dans ses discours, dans son enseignement, dans ses visites aux familles et dans les livres qu’il est appelé à écrire.
Pensez-vous que les musulmans que vous avez rencontrés lors de ce premier séjour à Maurice sont sur la bonne voie de l’islam ?
Je ne suis pas ici pour porter un jugement les musulmans de Maurice.
Je ne vous demande pas un jugement mais une impression.
Je pars du principe que les gens que j’ai rencontrés sont très bien. Quand je rencontre une personne pour la première fois — et à moins que l’on me dise le contraire en me donnant des preuves —, je suis dans l’obligation de penser du bien de cette personne. Je dois penser que ce musulman que je rencontre pour la première fois est probablement meilleur que moi. Penser du bien de son prochain ne peut être que bénéfique à celui qui le fait.
Est-ce que le soufi se contente de chercher Dieu à travers la prière et le respect des enseignements ou est-ce qu’il se préoccupe aussi du quotidien des hommes ?
Le vrai soufi pratique et proclame les enseignements coraniques et prophétiques, ce qui ne l’empêche pas d’avoir une vie dans la société, de travailler, souvent en enseignant dans des écoles, des universités par exemple, et même d’occuper un poste politique.
Est-ce que ce n’est pas contradictoire ?
Non, parce que dans un poste politique on peut mieux servir la société. De ce poste, le soufi peut proposer plus de choses utiles et bénéfiques à la société.
Restons sur la politique. J’aimerais connaître votre opinion sur l’évolution de ce que l’on a appelé l’année dernière le printemps arabe. C’est-à-dire l’obligation faite par leurs peuples aux dirigeants de la Tunisie, de l’Egypte et de la Libye de quitter le pouvoir qu’ils occupaient depuis des années.
Je condamne tout ce qui est guerre interne, destruction, désordre. C’est la même chose quand les gens s’entre-tuent dans un même pays ou que deux pays se font la guerre. Ce genre de situation installe la dissension entre les hommes. Je suis pour la paix qui permet aux hommes de consacrer leur énergie au service de leur pays. Je suis contre les guerres et pour la prospérité et l’avancement des peuples dans la sécurité.
Vous êtes originaire du Liban, pays voisin de la Syrie. Que pensez-vous de ce qui se passe, depuis des mois, en Syrie ?
La réponse précédente s’applique pour la question que vous venez de me poser. Elle s’applique à tous les pays en situation de conflit.
Est-ce que ce qui vient de se passer, et se passe, dans certains pays arabes, cette remise en question de leurs dirigeants par le peuple est un pas positif pour l’islam ?
D’une manière générale, je suis contre la guerre et les effusions de sang. Cela me met mal à l’aise.
C’est une réponse très diplomatique.
Je ne peux pas aller au-delà d’une réponse diplomatique. Il existe dans ces pays et dans ces situations des particularités que je ne suis pas en mesure de juger.
En Syrie, le gouvernement fait tirer sur les civils et massacre la population ! Le soufi que vous êtes — et qui a pour mission, me disiez-vous, de s’élever contre les guerres et les massacres — n’a-t-il rien à dire face à cette situation ?
Bien entendu que j’ai quelque chose à dire. Tous ceux qui sont à l’origine d’effusion de sang, de massacres, qui pratiquent la tyrannie — qu’ils soient au pouvoir ou dans des groupes de la société civile — doivent être condamnés. Dans tous les pays il y a, au sein des gouvernements, des gens tyranniques. Mais on ne peut pas généraliser et porter un jugement global contre les régimes ; nous ne devons pas oublier qu’il existe aussi au sein de la société civile des gens qui profitent de ce genre de situation. On dit que dans le pays que vous avez cités des personnes de la société civile tirent sur les policiers, incendient les sièges des institutions, font aussi régner la terreur. On ne peut pas dire que le peuple est responsable du comportement de ces individus. Ne disposant pas d’informations fiables, nous ne pouvons, nous ne devons pas prendre position. Nous condamnons tous ceux, au gouvernement ou dans la société civile, qui sont à l’origine de cette situation de violence et l’entretiennent.
Quel est votre sentiment sur le fait qu’en Libye, ce sont des forces armées occidentales qui ont mis fin au régime de Mouammar Kadhafi ?
Je vous l’ai déjà dit : je ne veux pas prendre position sur des situations dont je ne maîtrise pas toutes les données. Cela vaut également pour ce qui s’est passé en Libye. Mais je pose la question suivante : qui a remporté la victoire en Libye ? Ceux qui se disent les vainqueurs sont des groupes extrémistes et traitent de mécréants tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux en politique et en religion. Ces groupes se sont attaqués aux tombeaux des saints et les ont saccagés en considérant les musulmans libyens, qui ne les suivent pas, comme des mécréants. Si jamais ces groupes extrémistes arrivent au pouvoir, est-ce que l’on pourra dire que c’est dans l’intérêt de la Libye et des habitants ?
Autrement dit, en Libye on est en train de remplacer une dictature par une autre ?
Ce qui est en train de se passer actuellement en Libye, c’est une perversion, une corruption très grave du pouvoir. Au nom de l’islam, des extrémistes sont en train de considérer les musulmans qui ne les suivent pas, n’approuvent pas leur manière, c’est-à-dire la majorité du peuple libyen comme des mécréants. Sous prétexte que ceux qui ne les suivent pas sont des mécréants, ces extrémistes les exécutent sans autre forme de procès. Le problème, c’est que ces extrémistes ne sont pas qu’en Libye. On les retrouve un peu partout dans les pays que vous avez cités. On peut difficilement dire que les conséquences du printemps arabe sont favorables aux peuples de ces pays. On ne voit que désordre et destruction à la place.
Ces groupes extrémistes sont effectivement en train de prendre le pouvoir ou de le partager, pour le moment, en Tunisie, en Egypte, en Lybie au nom de l’islam, dont ils sont en train de changer le visage.
Ils ne sont pas le visage de l’islam. L’image de l’islam est connue depuis des siècles dans tous les pays du monde. L’image que donnent ces groupes, c’est celui de ceux qui se sont écartés de l’islam, qui se sont singularisés, qui ont été corrompus et qui l’ont à leur tour corrompu. Ces groupes extrémistes ont fait exactement la même chose il y a quelques années de cela en Algérie. Ces groupes ne représentent pas le visage de l’islam.
Que pensez-vous des islamistes ?
De nos jours beaucoup de groupes se sont attribués le titre de mouvements islamiques. Ils ne sont pas purs. Au contraire, dans leurs dogmes, dans leurs esprits il y a des idées, des slogans qui vont à l’encontre des réalités de l’islam. Ces groupes et leurs chefs spirituels professent des idées en contradiction avec l’islam, auxquels nous sommes opposés.
Depuis le 11 septembre 2001, les attentats du World Trade Centre de New York ont divisé le monde entre les musulmans et les autres. Est-ce que l’opposition entre l’islam et le monde occidental, qui existe surtout au niveau des discours aujourd’hui, peut, selon votre point de vue, devenir une vraie guerre de civilisations ?
Heureusement que les gens raisonnables sont en majorité sur la terre. Heureusement que les pompiers sont plus nombreux que les pyromanes. Pour un pyromane il y a mille pompiers…
…vraiment ?
… je le crois en tout cas.
Vous avez confiance dans un avenir du monde dans la tolérance des religions et la coexistence des peuples ?
J’ai confiance et j’ai espoir car le bien finit toujours par triompher, même si la situation actuelle est dangereuse, inquiétante, effrayante même. Mais je suis convaincu que par la grâce de Dieu que les choses finiront par s’améliorer.
Est-ce que, comme pas mal de musulmans le disent, vous vous sentez rejeté du reste du monde ?
J’ai la chance d’être un musulman éduqué et je sais, par conséquent, que l’image négative et faussé du musulman a beaucoup d’origines et de causes. Il faut souligner parmi les causes, l’action des mouvements islamistes.
Souhaitez-vous dire quelque chose de particulier à ceux qui liront cette interview ?
J’aimerais que vos lecteurs non musulmans fassent l’effort de connaître la réalité de l’islam avant de juger les musulmans. Je souhaite que l’on ne juge ni l’islam, ni les musulmans en se basant sur ce qu’en disent leurs adversaires et leurs ennemis. Que l’on nous écoute parler de nous-mêmes et que l’on nous juge sur ce que nous faisons et que l’on ne généralise pas à partir de l’action et des actes de ceux qui se sont écartés de l’islam et sont dans l’erreur.
En tant que musulman, vous avez le sentiment d’être mal jugé par les non-musulmans en général ?
Cela arrive parfois. Je dirai que de manière générale une chose m’inquiète : le fait que de par sa manière de réagir le musulman donne parfois une mauvaise image de lui-même. Quand il y a une injustice, la victime peut parfois ne pas la supporter et sa réaction peut être, elle aussi, injuste. Je souhaite que les victimes ne réagissent pas en commettant une injustice à ceux qui les ont oppressés. Au lieu de ça, il faut avoir recours à des moyens justes pour réagir et se défendre. L’islam est la religion de vérité qui prône la justice, l’honnêteté, la vérite, la moralité, la dignité et refuse toutes les bassesses…
…c’est ce que professent toutes les religions…
… tous les prophètes, tous les enseignements de l’islam incitent le musulman à devenir meilleur, à s’améliorer et à participer à l’avancement de la société. Dans le respect des enseignements coraniques.

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