SOCIÉTÉ : Après la solidarité, la pollution politique

Il n’y a plus de doute : la solidarité demeure un réflexe mauricien. La grande mobilisation citoyenne observée après les inondations du 30 mars nous a fait comprendre des choses plus profondes, qui méritent d’être analysées.
Contrairement à une idée reçue, le Mauricien n’est finalement pas aussi égoïste que cela. Il réfléchit au-delà des questions liées aux classes, aux races, à la politique. Lorsqu’elle décide de se faire entendre, la majorité silencieuse n’a strictement rien à voir avec les bruyants moutons de Panurge, toujours prêts à danser au rythme des humeurs de ces politiciens qui n’ont en ligne de mire que leurs intérêts. À l’approche du 1er mai, ces derniers affûtent leurs discours haineux, polluant une ambiance que le peuple souhaiterait saine.
Mobilisation.
La réaction des Mauriciens après les inondations meurtrières du 30 mars est une démarche dont nous devrions longtemps nous souvenir. Pendant que le gouvernement et les membres de l’opposition s’accusaient mutuellement d’avoir été responsables de la situation et veillaient la moindre occasion pour montre figir, les citoyens se mobilisaient pour venir en aide à ceux qui se trouvaient en difficulté. Sans attendre l’appel des autorités ou celui des mouvements politico-socio-culturels, ils ont pris les devants, occupant le terrain pour nettoyer, reconstruire et venir en aide aux victimes.
“Les politiciens devraient prendre exemple sur le peuple mauricien”, souligne le travailleur social Salim Muthy : “Quand je me suis rendu dans les endroits touchés par les inondations, ce qui m’a frappé, ce ne sont pas les dégâts causés par les flots mais cette mobilisation de la chaîne des citoyens. Cette fraternité qui existe au sein du peuple mauricien ne dépend pas des autorités et des politiciens.”
Dans les zones sinistrées, aux points de ramassage de dons, nul ne se souciait de l’appartenance ethnique des individus. Ceux qui ont réagi ont tout simplement été interpellés par la souffrance et le désespoir des victimes des inondations. Cela nous rappelle que les Mauriciens ont du coeur lorsqu il s’agit de venir en aide aux autres. Ils se laissent guider spontanément par leurs sentiments.
Division.
Mais que nous fait-on croire sur la scène politique où le communalisme pratiqué à outrance rend les uns et les autres sceptiques ? L’approche du 1er mai nous rappelle tout le mal que l’on pouvait penser des pratiques des partis classiques, qui s’appuient sur la division pour se construire. Réunions politiques nocturnes, meetings des partis… “C’est le genre de rencontre qui sème la haine communale dans l’esprit des Mauriciens”, analyse Salim Muthy.
Comme d’autres observateurs, il soutient ses propos en citant les fêtes religieuses qui servent aujourd’hui de plate-forme aux politiciens pour faire leur promotion et pour bourrer le crâne des Mauriciens avec leurs discours puant le communalisme. “Si c’est une fête musulmane, ce sera un ministre de cette même communauté qui se présentera. Il en est de même pour une fête hindoue, catholique ou autre. Kot nou kiltir pe ale ?, s’interroge le travailleur social.
Dans le malheur comme dans le bonheur, les politiciens ne savent pas voir plus loin que leurs intérêts. Ils sont prêts à tout. Après les inondations, certains politiciens s’étaient montrés dans des endroits stratégiques, non pas pour apporter leur soutien aux sinistrés mais pour soigner leur image. Xavier-Luc Duval avait reproché cette attitude à ses adversaires et alliés, avant de ravaler ses critiques par une acrobatie verbale ridicule dont seuls les politiciens ont le secret. Mais les Mauriciens sont loin d’être aussi dupes que l’imaginent leurs dirigeants.
Solidaires.
La citoyenne Danielle Palmyre analyse ainsi le comportement des politiciens : “Au lieu de répondre à leurs responsabilités et d’adopter une attitude humble face à la catastrophe, ils ont préféré mettre en avant leurs intérêts politiques. Ils n’ont pas agi comme de simples citoyens mais se sont présentés comme des politiciens. Face au drame, certains se sont même dédouanés. D’autres ont fait semblant de prêter leur aide mais ont agi en se basant sur la communauté et la classe sociale des victimes. La manière dont la situation a été traitée par les politiciens n’est pas à la hauteur des dirigeants d’un pays. Cela démontre que même dans le malheur, ils ne pratiquent pas l’égalité.”
La solidarité dont ont fait preuve les Mauriciens après la catastrophe met à mal l’étiquette d’égoïsme qui est souvent collée à la population. Le père Laurent Rivet, qui a été témoin de l’élan de solidarité sur le terrain dès le lendemain des inondations, souligne que “les Mauriciens sont solidaires. En même temps, on doit accepter le fait que chaque personne a en lui un côté égoïste. Néanmoins, chacun a un potentiel, chacun peut être solidaire. C’est présent en chacun de nous. Il est dommage qu’on ait besoin d’un événement dramatique pour nous réveiller et agir. Cette soudaine prise de conscience amène les gens à s’entraider, sans barrière de culture ou de religion”.
Changement.
D’une certaine manière, la démarche positive des Mauriciens a effacé quelques-uns des préjugés que nous avons parfois sur ceux qui nous entourent. Elle a aussi prouvé qu’il y a un réel changement dans l’attitude et les sentiments des Mauriciens. Au final, c’est l’esprit de solidarité qui a primé. Ce qui nous amène à dire qu’il est temps de corriger, voire de démolir certains aspects du système mis en place par les politiciens.
Comme le précise Amenah Jahangeer-Chojoo, la mobilisation de solidarité post-inondation ne doit pas demeurer un événement ponctuel mais se vivre dans la durée. Non seulement pour aider les sinistrés mais pour se mobiliser afin de corriger les erreurs du passé. Les dures leçons apprises lors des inondations devraient motiver chaque citoyen pour qu’il change son comportement de manière fondamentale.
Le 1er mai, si on n’y prend garde, toute la positivité née des moments sombres qu’a connus le pays risque d’être balayée d’un revers de main, à grands coups d’insultes, dans des rasades gratuites de rhum et de grandes bouchées de briani, offertes de mauvais coeur à des citoyens réduits à l’état de bater bis.

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