SOCIÉTÉ ET JUSTICE: Faut-il vraiment se défaire du système démocratique de jury populaire ?

Suite au verdict d’acquittement prononcé à l’unanimité dans le procès intenté à Avinash Treebhowon et Sandip Moneea dans l’affaire de meurtre de Michaela Harte, le Premier ministre, après consultation avec le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) et l’Attorney General, a lancé l’idée de défaire la justice de notre pays du système de jury populaire. Rappelons que les accusés s’étaient plaints, entre autres, que les enquêteurs de la Major Crimes Investigation Team (MCIT) leur ont soutiré des aveux en usant de brutalité. Le Premier ministre a informé l’assemblée nationale de son intention de confier la mission à la Commission de la réforme des lois présidée par Me Guy Ollivry QC. Toutefois, déjà des voix avisées s’élèvent et on s’interroge sur sa démarche. Représentera-t-elle un réel progrès pour notre société ou bien ce pourrait être un terrible recul par rapport aux acquis ?
En tout état de cause, il s’avère que tout débat autour de la suppression ou pas du jury dans notre système de justice ne devrait pas se faire dans l’inconscience de ce que représente en réalité un jury dans une société démocratique et civilisée. Un tel système de justice, avec ses défauts et ses avantages, existe à Maurice depuis 1850 ! Il faut savoir que le système de jury tel qu’il est appliqué à Maurice est un lègue colonial des anciens maîtres anglais du pays. Les Anglais eux-mêmes l’ont hérité de la Magna Carta, leur incontournable, voire sacrée Charte des libertés en usage depuis des siècles.
Aussi appelée The Greater Charter of Liberties of England ou Magna Carta Libertatum, puisqu’à l’origine le texte était en latin, cette charte avait été forcée sur le roi Jean, également connu comme Jean Sans Terre, en 1217, par ses barons. Engagé dans un bras de fer au sujet de ses pouvoirs avec les puissants barons voulant à tout prix préserver leurs privilèges, le roi dut s’avouer vaincu. Il fut contraint de reconnaître que sa volonté n’était pas de nature arbitraire et que tout homme libre ne peut être puni que selon la loi du pays (the law of the land). Les barons anglais obtinrent ainsi le droit d’être jugés que par leurs pairs. Mais, avec les sanglantes révoltes paysannes qui jalonnèrent l’Histoire de l’Angleterre et qui devaient notamment déboucher beaucoup plus tard sur l’institution de la Chambre des Communes, le petit peuple anglais arracha lui aussi le même droit. Ainsi, quoiqu’elle a subi des modifications en cours d’existence, la Magna Carta a maintenu un de ses principes fondamentaux qu’est la mise en place de jury populaire pour juger des cas de crimes d’une certain gravité.
Déjà sous le règne du roi Henry I, prédécesseur de Jean Sans Terre, il exista une autre Charte des libertés, mais la Magna Carta fut-elle un document si complet qu’elle inspira des siècles plus tard même les rédacteurs de la Constitution des États-Unis malgré toute l’aversion de ces derniers pour leurs anciens colonisateurs qu’ils durent chasser les armes à la main. Jusqu’aujourd’hui, la Magna Carta reste un document fondamental pour toutes les sociétés démocratiques. Ce qui explique également pourquoi lorsque les autorités britanniques décidèrent de l’appliquer dans leur Colony of Mauritius quarante après leur conquête de notre île, la réaction — essentiellement d’origine franco-mauricienne telle que la communauté concernée se définissait alors — n’y put absolument rien.
Nous publions dans cette présente édition, un article de notre collaborateur – chercheur en Histoire, Gona Soopramania qui relate les tout premiers procès intenté aux Assises à Maurice avec jury populaire. Ce fut, d’abord, l’affaire impliquant, en 1850, Théodore Sauzier, un notable, pour le meurtre en duel de Ferdinand Debay. Mais, à l’époque, des affaires civiles se jugeaient également avec un jury. et, comme il n’y a jamais rien de nouveau sous le soleil et que l’Histoire a tendance à se répéter, à l’instar de l’affaire Boy v/s Coignet, on entendit presque les commentaires que dans le procès contre Treebhowoon et Moneea à l’effet que était trop « monochrome », c’est-à-dire pas assez représentatif de la société mauricienne.
Pour se débarrasser du système de jury aux assises, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a choisi de s’appuyer, assez habilement, sur Lord Denning, une sommité de la justice britannique, qui a exprimé sa crainte que « la mentalité anti-police grandissante dans les sociétés démocratiques puisse fausser les jugements des jurys populaires ». L’observation du Premier ministre sous cet aspect de la mentalité anti-police n’est pas totalement dépourvue de pertinence. Tant il est vrai que, à force de trop tirer sur la corde de supposés « aveux volontaires » de suspects alors qu’il y a, en fait, il existe de tenaces soupçons de recours à la torture — morale ou physique — les méthodes de notre police ont fini par susciter une méfiance généralisée. En plus, avec le sentiment de noubanisme — pour ne pas dire presqu’un instinct grégaire organisé par de soi-disant associations socioculturelles — qui s’est développé dans notre pays, il se peut très bien aussi que la situation se complique de telle manière qu’à l’avenir des jurys trop « monochromes » pense beaucoup plus à protéger le criminel qu’à juger de ses actes hors de toute subjectivité. Mais, faisons attention qu’une éventuelle — mais probablement exceptionnelle dérive d’un jury pervers ne vienne faire le lit de l’arbitraire. De toute façon, il est beaucoup plus difficile de corrompre en même temps l’esprit de neuf membres d’un jury que celui d’un seul homme juge…        
Le propre de tout homme politique est certes d’apporter des changements, de rénover — quand ce n’est pas de faire rêver — car il ne servirait évidemment à rien de se faire porter au pouvoir si c’est pour maintenir le statu quo. La démarche de Navin Ramgoolam doit bien sûr être débattue, mais pas qu’au sein de la Commission de la réforme des lois. Toucher à un système du jury populaire qui a fait ses preuves depuis 162 ans uniquement parce que ses services de police ont essuyé un échec — si retentissant soit-il — pourrait s’avérer une dérive très dangereuse. Un jour quelqu’un pourrait faire à Navin Ramgoolam le même type de reproche fait à Jules Koenig à pour une blague de fort mauvais goût à propos de rasoir mis « da lamé zaco ! « .

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