Jeunes : société sexualisée, enfance sacrifiée

Le rajeunissement de la sexualité est une réalité à Maurice. Ces conduites à risques sont favorisées par l’omniprésence de clichés et stéréotypes sexuels qui troublent le développement de nos enfants. Des études ont montré qu’une exposition excessive à des contenus sexuellement explicites dès l’enfance encouragerait l’entrée précoce en sexualité. Héléna, Preety ou encore Chloé ont vu leur enfance se dérober sous leurs pieds en devenant mères à 13 ans.

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Des petites filles devenues trop vite “mini-femmes”, en voulant suivre les codes et diktats présents dans une société hypersexualisée… “Petite, je voulais faire comme les jeunes filles de mon quartier. M’habiller, parler et agir comme elles.” Elle portait rarement des rob volan, plutôt des “shorts, jeans moulants, minijupes”. Alors qu’elle est devenue pubère à 10 ans, celle que nous appellerons Chloé s’engage dans ses premiers rapports à 12 ans.

À 16 ans, Héléna vient d’accoucher d’un deuxième bébé. Comme Chloé, son enfance a été marquée par une entrée précoce en sexualité, à 13 ans. Lorgnant déjà les garçons dès l’école primaire, elle raconte que ses amies “avaient déjà de petits flirts”. Elle a continué l’école après son premier accouchement, mais avec la naissance de son deuxième fils, elle a dû revoir ses priorités. “J’ai l’impression d’avoir grandi trop vite et je le regrette aujourd’hui.”

La puberté plus tôt.

Rita Venkatasawmy, l’Ombudsperson for Children, souligne que “l’enfance est une période synonyme d’innocence. La sexualité ne devrait pas la concerner. Il faut en parler mais il ne faut pas que les enfants passent à l’acte. Je suis contre une sexualité précoce, car les enfants doivent être à l’école, étudier”. Le Dr Rita Gopaul, Sexual and Reproductive Health Coordinator rattachée au ministère de la Santé, reconnaît que “les enfants entament leur puberté plus tôt qu’autrefois”. Bien que physiquement préparés aux relations sexuelles, “ils ne le sont pas psychologiquement et ignorent les risques qu’ils encourent”.

“Je m’étais rendue à une fête dans la famille de mon copain. J’avais 12 ans, mais je faisais plus que mon âge. Tout comme ma cousine, je portais des robes moulantes et de l’eye-liner.” Preety obtient la permission de sa mère de passer la nuit sur place, “ kondision pa dormi ansam e fer zafer insignifian”. Elle dort dans la même chambre que son ami et les frères de ce dernier. Dans sa crédulité et son innocence, elle n’est pas interpellée quand elle se réveille le lendemain avec la tête lourde et des douleurs dans le bas du ventre. Après trois mois, elle apprend sa grossesse…

Comportements à risques.

Vidya Charan insiste sur l’importance de l’accompagnement et de l’encadrement des parents. La directrice de la Mauritius Family Planning Welfare Association (MFPWA) constate que ces comportements à risques sont fortement influencés par les géniteurs eux-mêmes. “Nos enfants grandissent trop vite et nous contribuons à leurs actions et leur façon d’agir.

Trop tôt, on laisse le champ libre à l’enfant. On maquille la petite fille, on lui donne des chaussures à talons car il faut être à la mode.” Vidya Charan souligne qu’il ne faut “pas influencer le comportement normal des enfants mais les laisser découvrir à leur propre rythme”. Rita Venkatasawmy ajoute qu’un enfant doit “jouer, s’amuser et être exposé aux jeux de son âge.

Les enfants grandissent trop vite et perdent leur âme d’enfant”.
Certains parents, comme Ruby Panchamootoo, s’insurgent contre les tendances vestimentaires qui “prêtent à confusion dans les boutiques”. Des petites filles qui se déhanchent sur du dancehall et autre reggaeton semblent susciter admiration ou aberration. Lors d’un concours de danse diffusé à la télévision nationale, il y a quelques années, une maman d’une fillette de six ans s’est dite “outrée par les déhanchements sensuels et suggestifs de filles d’à peine 9 ans”. Rita Venkatasawmy tire la sonnette d’alarme sur ce fait de société. “Il faut faire attention car cela a comme effet d’éveiller la sexualité des enfants très tôt.”

Sexualisation précoce.

Selon la définition officielle qu’en donne wikipedia, “l’hypersexualisation, ou la sexualisation précoce, désigne la tendance observée depuis la révolution sexuelle, des années 1960 à une commercialisation et médiatisation de la sexualité qui affecte le développement des enfants et adolescents”.

Vidya Charan estime que nous vivons dans une société où les enfants sont beaucoup trop exposés à l’information. “Dès 2-3 ans, ils se voient offrir des gadgets, plus tard des portables. Internet, films, vidéos et autres publicités qui envoient des messages sexuellement explicites : tout cela a certainement un impact sur le développement de l’enfant. L’enfant regarde et vit cela.”

Curiosité, découvertes et nouvelles expériences ont longtemps rythmé les années prépubères de Nicolas, aujourd’hui âgé de 15 ans. “J’avais à peine neuf ans lorsqu’un ami d’école qui avait vu ses parents avoir des relations sexuelles m’a décrit avec moult détails des scènes auxquelles il avait assisté. Cet ami regardait souvent du porno sur internet avec un cousin plus âgé que lui. Il essayait de brancher des filles à l’école. Il avait l’air cool”, raconte Nicolas. Ce dernier a été influencé par ses pairs. “À l’époque, avec ma bande d’amis, nous faisions les mecs, mais nous n’étions pas préparés à cela.” La directrice de la MFPWA observe que “quand on est encore petit, on est beaucoup plus affecté par ce qu’on voit”.

“Nou ti esey fer kouma dan film”.

“L’effet visuel a un impact sur la psychologie et le développement de l’enfant. Si on est exposé à des images et des contenus dangereux et qu’on vit dans une certaine promiscuité à la maison, on est bien sûr influencé.” Nicolas s’est senti presque obligé de rentrer dans la “norme”, car tous les autres s’étaient déjà livrés à des “tous touse”. “Premie fwa mo gagn relasion, mo ti ena 13 an, avek enn tifi mem laz ki mwa, plis pou swiv tandans. Nou ti esey fer kouma dan film san pran prekosion.”

Pour sa part, Noella est “fière d’être encore vierge”. À 16 ans, elle s’exprime comme une adulte, éveillée aux “valeurs que m’ont transmises mes parents”. Elle revient sur une récente campagne de pub d’une importante marque de préservatifs diffusée à la radio. “En entendant les allusions plus qu’explicites sur les rapports sexuels alors que j’étais dans un bus, et même s’il n’y avait rien de mal, je n’ai pu m’empêcher d’être mal à l’aise. Je me suis rendu compte que presque tous les autres passagers étaient dans le même état que moi.” Pire, “des jeunes enfants y étaient exposés”. Noella est consciente de l’influence de certains médias sur le développement des enfants. “Parfois, nous sommes sur Facebook et sommes confrontés à des contenus quasiment pornos et obscènes qui apparaissent sur notre mur.

Ce n’est pas tous les médias qu’il faut blâmer, mais une bonne partie d’entre eux, qui diffusent sans modération des vidéos, images, messages de chansons et autres qui renvoient au sexe.”

Assumer l’éducation de son enfant.

Le Dr Rita Gopal souligne que “les parents doivent imposer des limites à leurs enfants au lieu d’encourager certaines pratiques. Les jeunes doivent mesurer les risques d’une entrée en sexualité précoce, notamment le risque de grossesse et d’infections sexuellement transmissibles (IST)”. Selon les chiffres du ministère de la santé, le nombre de jeunes ayant contracté la syphilis a doublé entre 2015 et 2016 chez les 10-19 ans, chez les garçons et chez les filles.

L’Ombudsperson for Children observe que “les parents doivent assumer leurs responsabilités. Nous sommes parfois en présence de géniteurs. Mais être parent, c’est autre chose, c’est assumer l’éducation de son enfant. Voir des parents qui n’assument pas leur rôle car ils sont eux-mêmes des enfants qui ont besoin d’encadrement, c’est terrible”. Vidya Charan ajoute que “nous vivons dans un monde très matérialiste, mais il faut savoir dire non aux enfants qui dépassent certaines limites, les encadrer et les accompagner à chaque étape. Le plus important, c’est d’avoir une éducation sexuelle appropriée”.


Véronique Wan Hok Chee, psychologue “Un éveil sexuel trop précoce”

“La sexualisation précoce ou hypersexualisation prend de l’ampleur avec les médias, les nouvelles technologies et surtout avec le phénomène de mode. La sexualité est mise à nu, ce qui fait que le corps devient un objet de convoitise qui est exploité. Cela a définitivement un impact sur nos enfants. Nous devons nous inquiéter de ce phénomène, qui touche les filles, mais aussi les garçons, même si c’est à un degré moindre. Ils font face à un éveil sexuel trop précoce car ils sont exposés à certains contenus explicites. Il ne faut pas confondre hypersexualité et hypersexualisation. Le premier renvoie à l’acte sexuel (activité sexuelle intense et fréquente) alors que le second fait référence à une trop grande exposition à la sexualité, que ce soit virtuel ou réel, à une exposition abusive à la sexualité dans un but commercial. Si on n’en parle pas ou peu, c’est que plusieurs notions se confondent dans la tête des gens…”


Dr Rita Gopal : “Nous devons nous inquiéter”

“Même si les chiffres tendent à montrer une baisse dans le taux de natalité, ils demeurent toujours élevés par rapport au nombre d’habitants que nous avons à Maurice. Nous devons nous inquiéter. Dans ces 87 cas en 2016, combien de jeunes filles qui sont tombées enceintes ont dû arrêter l’école ou ont contracté une IST ? Il faut penser aux conséquences d’avoir une relation sexuelle non protégée avant de commencer à s’adonner au sexe : connaître les méthodes de contraception et les risques liés aux maladies sexuellement transmissibles.”

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