Sommes-nous tous des métis ?

« Nous sommes des sang mêlés »,tel est le titre d’un ouvrage de Lucien Febvre et François Crouzet paru chez Albin Michel l’an dernier. Ce livre met en exergue le métissage qu’a connu la France au cours de son histoire et qui s’est amplifié depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avec une immigration sans précédent venue du Maghreb et de l’Afrique noire.
Serait-on tenté, ne serait-ce que d’une façon succincte, de faire état de Maurice, pays éminemment multiethnique, comme une nation de sang mêlés ou de métis? Certes une telle analyse pourrait soulever bien des passions et des récriminations. Cependant, le travail du chercheur et de l’historien ne consiste pas à être complaisant ou à cacher la vérité sous les cendres jusqu’à ce qu’elle nous éclate à la figure. C’est dans cet esprit que nous nous proposons de lever le voile sur bien des faces cachées de notre histoire.
Au vu des différentes vagues de peuplement qu’a connues notre pays, il apparaît que les représentants des trois “races”primaires étaient bien présents durant l’occupation française : la race blanche – les lucodermes parmi lesquels on dénombre les aryens et indo-aryens; la “race”jaune – les xénodermes qui comprennent le peuple mongole et la “race”noire – les mélanodermes, majoritairement les peuples de l’Afrique noire.
 Précisons en passant que pour bon nombre d’ethnologues il n’y a qu’une seule race humaine que l’on peut diviser en sous-races. Quoi qu’il en soit, pour les ethnologues et historiens, avant l’invasion aryenne (2000 av JC), le sous-continent indien était quasiment peuplé de dravidiens, une sous-ethnie de la race noire; les palea dravidiens issus du mélange d’aryens et de dravidiens constituent à ce jour le gros de la population du sous-continent. Cette catégorie d’indiens constitue le gros des immigrants à Maurice.
De l’Afrique et de Madagascar sont issus des Mozambicains et autres tribus bantous, des Ouolofs de l’Afrique de l’Ouest et des tribus côtiers type Sakalaves – un mélange de “négro-austronésiens”. Les mérinos type mélanésien ne formaient pas nécessairement partie des peuplades malgaches vendues comme main-d’oeuvre servile à quelques exceptions.
Occupation hollandaise    
L’occupation hollandaise nous a laissé aucune trace de peuplement après l’abandon de l’île en février 1710.  N’oublions pas toutefois que le premier Mauricien dans l’histoire connue fut un métis quand l’épouse de Van der Stel (a native girl from Java) donna naissance à un fils nommé Simon à Vieux Grand Port le 14 novembre 1639. On sait que ce fils Simon Van der Stel devint plus tard gouverneur de la province du Cap et en tant que tel responsable du dossier de la colonie de Mauritius. Il ne fut guère tendre envers les employés hollandais en poste dans son pays d’origine.
Occupation française
Que dire de la période française en fait de métissage ? Ce métissage allait se faire à la faveur des différentes vagues de peuplement : 1721-1810.
Les premiers Européens sont venus de Bourbon, d’autres de Madagascar, la plupart accompagnés de leurs esclaves malgaches. D’autres colons français nous vinrent des comptoirs des Indes ; Pondichéry, Karikal Yanaon, mais l’écrasante majorité était originaire de France. Dans le même souffle les Indiens sont arrivés tantôt comme travailleurs libres tantôt comme travailleurs frappés sous le coup de la servitude. Au demeurant, sont également issus des comptoirs français des Indes des talingas et autres topazes; ces individus de père français de mère indienne, furent les premiers métis indo-européens. Enfin une petite colonie de chinois. Tout ceci pour démontrer que l’îsle de France était déjà un melting pot en fait de “races”et d’ethnies.
Précisons qu’en vertu des stipulations du Code Noir toute union entre hommes blancs et esclaves africains et malgaches était prohibée. L’article V des Lettres Patentes promulguées en fait le point :
« Défendons à nos sujets blancs de l’un ou de l’autre sexe de contracter mariage avec les noirs, à peine de punition et d’amende arbitraire et à tous curés, prêtres ou missionnaires séculiers ou réguliers et même aux aumôniers des vaisseaux de les marier ! Défendons aussi à nos dits sujets blancs même aux noirs affranchis ou nés libres de vivre en concubinage avec des esclaves ; voulons que ceux qui auront un ou plusieurs enfants d’une pareille conjonction, l’ensemble des maîtres qui les auront soufferts soient condamnés chacun en une amende de trois cents livres …..
Mais comme on peut le deviner, plusieurs facteurs vont favoriser le concubinage entre blancs et noirs : d’abord la disparité des plus criardes au plan du sexe durant le plus clair de l’occupation française. Les statistiques ne font pas état des sexes dans la population blanche durant l’occupation française. Seul le baron d’Unienville, statisticien, évoque cela en 1830 comme le démontre si bien le tableau ci-après :
………..
                      Total          Hommes    Femmes     Garçons Filles    
Blancs            7376            2636             1452       1566         1722
Libres           11,026          2114            2753         2979         3160
Esclaves       79,493         45338          19,445       7646         7014
……..
 D’autres données statistiques font état pour l’année 1830 de 8,502 blancs, de 18,039 libres et de 69,476 esclaves.
Alors qu’en 1766 les chiffres cités par l’abbé Raynal font mention d’une population de 587 libres (laquelle comprend des noirs affranchis mais surtout des indiens libres ainsi que des métis et des mulâtres), ce nombre ira en augmentant au point à être deux fois plus nombreux que la population blanche en 1830, au lendemain de la promulgation de l’ordonnance No 57 de 1829 qui rétablit la parité dans le statut juridique entre blancs et gens de couleur.
Au demeurant, il est on ne peut plus clair que malgré les dispositions de l’article V des Lettres Patentes que les unions illicites entre maîtres et femmes esclaves étaient monnaie courante à l’îsle de France et même après. Evenor Hitié, journaliste et écrivain, dans son livre « Ile Maurice » en 1897 n’y va pas avec le dos de la cuillère sur la pratique du droit de cuissage en cours comme dans le Moyen Age par les colons blancs. Il écrit notamment : « Eloignés de la mère patrie mais gorgés d’or et de richesse, jouissant de l’opulence et de tous les plaisirs enivrants de la table, il ne manquent à ses nouveaux Luculus que les plaisirs, et les jeunes filles malgaches avaient particulièrement partagé la couche licencieuse des hommes qui ne mirent plus de bornes à leur scandales et à la moralité »
Dans un autre ordre d’idées des différenciations anthropologiques existaient entre esclaves venus de la côte est de l’Afrique et ceux venus de Madagascar. Physiquement le Mozambicain est de plus forte corpulence et a des cheveux crépus alors que le malgache originaire de la région côtière de la Grande Ile est bien moins bâti avec des cheveux moins crépus. Au fil des générations ces deux types d’individus se sont mélangés intensément au point qu’il est difficile de rencontrer des individus typiquement malgaches ou mozambicains. Il faut aller à Rodrigues pour voir des individus ayant conservé une authenticité ethnique tant mozambicaine que malgache.
Occupation britannique
D’autres vagues migratoires allaient favoriser l’émergence d’un plus grand nombre de sang-mêlé. Au seuil de l’abolition de l’esclavage, Malgaches et Africains représenteront les 80% de la population de la colonie mais en moins d’un quart de siècle ce sont les immigrants indiens qui constitueront la communauté majoritaire. Au départ, ces travailleurs venus sur une base contractuelle seront composés majoritairement d’hommes comme le démontrent les chiffres ci-après :
                                         Arrivées 1834 -1845
 Année        Hommes             Femmes          Année       Hommes       femmes
 1834            75                                4         1838                11567             241               
 1835          1182                             72        1843               30,218           4307
1836          3629                            184        1844                9709             1840
 1837         6939                            353        1845                8918             2053

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -