Statistiques incomplètes, pistes brouillées

Le 14 mars dernier, la Banque de Maurice a émis un communiqué relatifà des modifications qu’elle a apportées à la balance des paiements pour les années calendaires 2011 et 2012. Ces révisions concernent les postes suivants :
–       Les revenus provenant des investissements mauriciens dans des pays étrangers;
–       Les investissements directs, aussi bien par les étrangers à Maurice que par les Mauriciens à l’étranger ; et
–       D’autres types d’investissements, avec des flux dans les deux sens, c’est-à-dire entrants et sortants
Ces révisions sont le fruit de travaux qui ont débuté en 2007 et qui ont été réalisés avec le concours technique du Fonds monétaire international. Il faut savoir que les flux d’investissements inscrits à la Balance des paiements ne tenaient pas compte, jusqu’à tout récemment, des mouvements au sein des compagnies opérant dans le secteur du Global Business. En effet, celui-ci était censé être un monde cloisonné avec des transactions extraterritoriales sans lien avec celles des activités économiques locales. Or cela n’est plus vrai depuis quelques années, alors même que le Global Business a pris de l’ampleur. Comme cela a été révélé par des sondages effectués par la Banque de Maurice avec le concours de la Financial Services Commission (FSC), il est un fait que des compagnies opérant dans le secteur du Global Business génèrent des bénéfices qui sont ensuite réinvestis au titre, soit de capital propre, soit de prêts, constituant ainsi des flux positifs d’investissements pour la balance des paiements.
Révision de la balance des paiements 2012
La Banque de Maurice a donc révisé les balances de paiements des années 2011 et 2012. Pour les besoins de cet article, nous nous limiterons à l’année 2012 pour comparer les montants révisés aux montants originaux. C’est ce que l’on peut voir au Tableau I.
A)
Lesobservations suivantes découlent du Tableau I :
a)   Le flux des revenus en provenance de l’extérieur passe de 4,3 milliards de roupies à 15,66 milliards, soit un bond considérable de 11,36 milliards (364%).
b)   Il en résulte une réduction du déficit du solde courant, de 36,27 milliards à 25,06 milliards. En termes du PIB, le solde déficitaire du compte courant est ainsi réduit de 10,5% à 7,3%.Quand on sait tout le souci qu’on se fait au sujet du déficit chronique du solde courant, on ne peut que se réjouir de ce « gain » de 3,2%, même si ce n’est pas une excuse pour sombrer dans la complaisance.
c)   Le poste « erreurs et omissions » se gonfle  considérablement, de -1,65 à -10,41 milliards. Ceci est une indication que la Banque de Maurice, aidée par le Fonds monétaire international, a encore du travail à faire pour continuer à peaufiner les chiffres et à identifier des transactions échappant encore à l’enregistrement par ses services statistiques.
d)   La balance des paiements reste toujours positive à 6,04 milliards. Ce montant est, quant à lui, facilement mesurable puisqu’il représente la hausse des réserves du pays en devises étrangères au cours de l’année 2012.
Une deuxième constatation : le PNB rehaussé 
On a vu, plus haut, comment la révision en hausse des revenus provenant de l’étranger contribue à réduire, de manière significative, le solde négatif du compte courant. Une deuxième constatation de non moindre importance s’impose.
Il est rappelé qu’il revient à Statistics Mauritius de calculer et de publier le montant du Produit intérieur brut (PIB).Celui-ci représente la valeur ajoutée par les agents économiques opérant sur le territoire de la République. Mais afin de mesurer la totalité des valeurs ajoutées par les agents économiques opérant hors du territoire, il est nécessaire de prendre en compte les revenus que ces derniers rapatrient à Maurice. C’est ce qui constitue le poste « revenus » inscrit au Tableau I, montant qui, comme on l’a vu, a été révisé à la hausse par 11,36 milliards.Statistics Mauritius  doit donc ajouter au PIB ce montant de revenus, afin de calculer le  Produit national brut (PNB). Selon toute apparence, c’est la Banque de Maurice qui communique ces données à Statistics Mauritius  C’est ainsi que, lors de la parution, en janvier 2014, du no.1083 des Economic and Social Indicators, le PNB de 2012 a été estimé à 352,3 milliards parStatistics Mauritius.
La semaine dernière, Statistics Mauritius vient de publier de nouvelles estimations des comptes nationaux, dont ceux se rapportant à l’année 2012. Ces estimations venant après les révisions établies par la Banque de Maurice, on se serait attendu à ce que celles-ci soient incorporées, rehaussant ainsi le PNB de quelque 11 milliards. Mais il est surprenant qu’aucune révision à la hausse n’ait été effectuée : au contraire, Statistics Mauritius a choisi deréduire le montant des revenus provenant de l’étranger, en précisant qu’ils excluent toute transaction du secteur du Global Business, telle que cela a été compilé par la Banque de Maurice.
Le taux d’épargne plus élevé
On peut aussi s’attendre à une autre modification de taille, comme l’indique le Tableau II.
Ainsi, le revenu national disponible passerait de 352,3 milliards en 2012  à quelque 363,3 milliards. Apres déduction du montant affecté à la consommation (300,4 milliards), l’épargne passerait de 51,9 milliards  à 62,9 milliards, soit 17,3% du revenu national disponible, au lieu du pourcentage publié avant la révision, soit 14,7%.  Comme pour le déficit amoindri du solde courant de la balance des paiements, cette hausse du taux d’épargne est une bonne nouvelle, même si elle ne doit pas susciter une attitude de complaisance, car nous avons encore du chemin à parcourir pour qu’il atteigne un niveau satisfaisant.
Comme souligné ci-dessus, Statistics Mauritius ne fait guère état de ces montants et pourcentages puisqu’il a choisi d’ignorer totalement tous les revenus provenant de la Banque de Maurice par rapport au Global Business. C’est ainsi que le taux d’épargne est ramené par Statistics Mauritius à 12,7% en 2012.
Conclusion
Résumons donc les conséquences des modifications apportées par la Banque de Maurice à certains postes de la balance des paiements.
·      Premièrement, le solde déficitaire du compte courant en 2012 serait moins élevé que celui qui ressortait des estimations précédentes ;
·      Deuxièmement, le revenu national disponible serait plus élevé que celui que l’on avait estimé initialement ; et
·      Troisièmement, le taux d’épargne serait plus élevé.
Il est bien dommage que la toute récente publication des comptes nationaux par Statistics Mauritius ait fait une impasse totale sur ces révisions. Seraient-elles douteuses ou sujettes à caution ? Sinon, s’agirait-il d’une simple question de « timing », les révisions devant être prises en compte subséquemment ?
Il s’agit de statistiques importantes pour la gestion macro-économique de ce pays. Si elles sont incomplètes, elles brouillent les pistes de ceux qui doivent prendre des décisions de politique économique. Vivement des chiffres officiels auxquels on puisse faire confiance.

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