SUNIL BHOLAH, MINISTRE: « C’est un “achievement” pour un fils de laboureur de devenir ministre »

Notre invité de ce dimanche est le ministre Sunil Bholah. Membre du MSM depuis 1995, il a été élu au N°10 aux dernières élections générales. Nommé ministre, il est responsable des Affaires économiques, des Petites et Moyennes Entreprises et des Coopératives. Dans l’interview qu’il nous a accordée vendredi après-midi, Sunil Bholah défend son travail en tant que ministre et répond à des questions d’actualité politique.
Vous faites partie des inconnus ayant obtenu un ticket et qui se sont fait élire aux dernières élections. En plus vous avez obtenu le portefeuille de ministre des Affaires économiques de et des Coopératives. Comment êtes-vous arrivé au MSM, Sunil Bholah ?
– Je suis un fils de laboureur fier de ses origines et j’ai grandi dans le village de Nouvelle-France. Mes parents étaient laboureurs mais également des petits planteurs et croyaient que la seule manière de sortir de la misère était l’éducation. Après mes études secondaires, j›ai fait des études privées en comptabilité que je suis allé terminer à Londres, en 1991. J’ai travaillé à Air Mauritius et à Mauritius Shopping Paradise avant d’entrer dans le secteur privé dans une compagnie de publicité. Politiquement, je viens d’une famille travailliste, mais depuis 1995, j’ai adhéré au MSM.
 Pour quelle raison ?
– Pravind Jugnauth était candidat dans la circonscription N°11 et je l’ai rencontré lors d’un porte-à-porte. Il était doux et gentil, je l’ai aidé à faire du porte-à-porte pour sa campagne et depuis je suis resté avec lui au MSM.
 Si vous adhérez au MSM en 1995, vous avez dû attendre presque vingt ans pour avoir un ticket. On n’avance pas vite au MSM…
– Je pourrai vous répondre qu’au MSM la patience finit par payer. C’est ce que j’apprécie chez Pravind Jugnauth, il sait reconnaître et récompenser les siens.
Peut-on dire que vous êtes un des fidèles de Pravind Jugnauth ?
– Je préfère qu’on dise que je suis un des fidèles du MSM.
 Après les dernières élections générales, vous avez été nommé ministre des Affaires économiques, des PME et des Coopératives. Avez-vous obtenu ce portefeuille ministériel en raison de vos compétences professionnelles ou, comme c’est trop souvent le cas à Maurice, sur la base de votre appartenance communale et castéiste ?
– Je pense que je dois ma nomination à la contribution que j’apporte au MSM depuis 1995, à mon support, ma loyauté et mon soutien indéfectible à Pravind Jugnauth dans les mauvais comme dans les bons moments. De l’autre côté, j’ai une carrière professionnelle et je crois que j’ai hérité d’un portefeuille ministériel qui cadre avec mes capacités professionnelles.
 Dans ses discours, le gouvernement a annoncé son intention de faire des Mauriciens une nation d›entrepreneurs. C’est d’ailleurs un des thèmes utilisés en 1983 par Vishnu Lutchmeenaraidoo. Quels sont les moyens dont vous disposez pour réaliser cette promesse électorale ?
– Depuis l’arrivée du nouveau gouvernement au pouvoir, nous sommes en train de revoir la SMEDA (Small and Medium Enterprise Development Authority), qui est l’outil d’application de notre politique dans le secteur des PME. Le nombre de membres du conseil d’administration de cette institution a été réduit, passant de treize à onze, avec des représentants de nouveaux secteurs d’activité. J’ai choisi comme président une personne très compétente, Parama Valaydon, ancien haut cadre de la DBM qui a travaillé en Afrique et qui connaît les institutions financières.
 C’est tout ce que vous avez fait en dix mois: diminuer le nombre de membres du conseil d’administration de la SMEDA et lui choisir un président ?
– Pas du tout ! Il fallait attendre le budget qui a fait provision d’une somme de Rs 2 milliards pour le secteur, plus de Rs 40 millions pour la SMEDA pour l’organisation de foires. Par ailleurs, la loi gouvernant la SMEDA a été amendée pour permettre la création d’une one-stop shop et entretemps, il y a eu le problème de la BAI et de l’ex-Bramer Bank. Nous avons organisé des cours, fait de la formation et à partir de janvier prochain la SMEDA va repartir sur de nouvelles bases.
Il aura fallu attendre une année pour que l’on commence à mettre en place la création d’une nation d’entrepreneurs. Cela fait un bon bout de temps quand même…
– Nous préférons prendre un peu de temps pour réfléchir, prendre les bonnes décisions et bien démarrer plutôt que de tâtonner.
 Comment allez-vous dépenser les Rs 2 milliards prévues dans le budget ?
– Je peux vous donner la garantie que cette somme sera dépensée à bon escient. Il n’y aura pas de gaspillages. Tous les projets qui seront approuvés doivent être bankable après une série de contrôles. Tous les projets non bankable ne seront pas acceptés et il n’y aura pas d’intervention politique pour les imposer, comme cela a été le cas dans le passé. C’est un engagement que je prends ici.
 Existe-t-il à Maurice les structures, l’encadrement et l’expertise professionnelle pour aider les PME à se développer ?
– Je dois répondre non à cette question et préciser que la réponse est non, pour le moment. Nous sommes en train de travailler sur un Master Plan qui va revoir tout le secteur des PME dans sa globalité. Il sera lancé au début de l’année prochaine. N’oublions pas que Maurice est un marché très restreint de quelques centaines de milliers de personnes et que les PME ne peuvent se contenter des marché. Jusqu’à maintenant, à part quelques exceptions, les PME se sont limitées au marché mauricien. Pour se développer, elles doivent aller à l’international vers l’Afrique pour aborder le reste du monde ensuite, notamment à travers l’AGOA.
Pour aller à l’international, il faut augmenter la qualité des produits fabriqués à Maurice. Ce n’est pas certain que les pots de conserve et les vêtements que vendent les marchands ambulants dans les rues du pays soient acceptés sur le marché international !
– Vous avez entièrement raison. Il faut que les produits des PME destinés au marché international soient export oriented, c’est-à-dire fabriqués et présentés pour ce marché. Nous importons pour des milliards de produits que nous pourrions fabriquer à Maurice, comme des légumes en sachet.
 Vous êtes en train de penser à un contrôle sur l’importation de certains produits ?
– Non, nous n’envisageons pas d’instituer des mesures de contrôle à l’importation. Nous pensons au contraire inciter les PME à produire un certain nombre de produits, ce qui pourrait aider à réduire le déficit commercial. Nous visons donc une politique encourageant l’exportation d’une certaine catégorie et la fabrication d’une autre catégorie dans le but de réduire le déficit.
n En parlant de produits mauriciens, pourquoi ne fait-on aucun effort pour encourager l’artisanat local, alors que les magasins et les bazars locaux sont saturés de produits supposément From Mauritius mais Made in China ?
J’ai même vu des tubes avec les terres de sept couleurs de Chamarel made in China ! Mais ce ne sont pas seulement les produits artisanaux made in China qui envahissent nos magasins. Je souligne d’ailleurs que cette invasion de produits fabriqués en Chine commence à poser de sérieux problèmes ailleurs dans le monde. Par exemple, l’Indonésie est en train de contempler la possibilité de réintroduire des taxes douanières pour protéger son industrie locale. En ce qui nous concerne, les conventions internationales ne nous permettent plus de taxer les produits d’exportation, ce qui serait une manière de limiter leur importation. Il faut donc que les produits made in Mauritius, les produits artisanaux, soient de meilleure qualité pour faire la différence. Il faut donc réfléchir sur les aides et facilités qui peuvent être proposés aux fabricants locaux. Ces propositions seront contenues dans le plan directeur qui sera rendu public en janvier 2016. Nous aimerions aller plus vite mais malheureusement il faut faire face à certaines contraintes.
Parlons du mouvement coopératif qui tombe sous votre ministère. Comment se porte en 2015 ce secteur que vous avez déclaré vouloir «remettre sur les rails» ? Quand le mouvement a-t-il déraillé ?
– Le secteur coopératif mauricien aurait pu être un mouvement avant-gardiste. C’est un secteur autonome, il a un ministère, une loi et un régulateur en la personne d’un Registrar. Mais malheureusement, le mouvement est resté figé dans le temps et dans des créneaux traditionnels : un peu d’agriculture, un peu de pêche, le thé, de la canne à sucre. Je ne sais pourquoi il n’est pas entré dans les nouveaux créneaux comme, par exemple, la production de l’électricité sur une petite échelle.
 Vous trouvez que le secteur coopératif mauricien est plus passéiste que moderne ?
– On peut le dire. Il en est resté au thé et à la canne à sucre. On peut avoir le sentiment que le mouvement coopératif est entrain de phase out en même que le thé et la canne à sucre.
 Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas nommé un Regristrar des Coopératives, poste vacant depuis plus de deux ans ?
– C’est une situation qu’il faut régler et nous espérons que le rapport du PRB le fera. Il y a un acting Registrar, qui est lui-même par intérim.
 Comment voulez-vous que le mouvement coopératif puisse se moderniser s’il est géré par des responsables qui sont là par intérim ? La léthargie que vous reprochez au mouvement commence à la tête !
– Vous n’avez pas tout à fait tort. Mais ,vous savez, les choses prennent du temps à se mettre en place dans la fonction publique. Ayant travaillé dans le secteur privé, j’ai parfois du mal à m’adapter au rythme du secteur public. Je dois admettre que le système administratif du mouvement coopératif ne travaille pas au rythme que je souhaiterais, au rythme qu’il faudrait.
Votre ministère fonctionne-t-il au rythme que vous souhaitez ?
– Disons, plus ou moins.
n Restons dans le secteur coopératif. Parlons plus précisément de la coopérative de Vacoas, qui a fait la une de l’actualité cette année. Où est le fameux plan de redressement pour empêcher la mise en liquidation de la société coopérative de Vacoas que vous avez annoncé ?
– Ce plan est prêt. Il est actuellement avec la firme Ernst & Young , qui est en train de l’étudier avant de le retourner avec une opinion, au début de la semaine prochaine. À première vue, il semble qu’une solution a été trouvée. Deux propositions avaient été soumises comportant toutes les deux une participation financière du gouvernement. Mais dès le départ, nous avons fait savoir qu’il n’était pas question que l’argent public soit utilisée. Le troisième plan ne comprend pas de participation du gouvernement et repose sur la valeur des terrains que possède cette coopérative.
n Selon certains coopérateurs, les salaires versés à la firme privée que vous avez engagée pour mettre de l’ordre dans la coopérative de Vacoas vont augmenter ses dettes.
– Ce n’est pas vrai. Permettez-moi de rappeler les faits de cette affaire. Quand nous avons pris le dossier en janvier, nous avons nommé un caretaker board qui a passé en revue la situation et celle des employés. Le manager et le comptable sont “partis”, et il a fallu trouver quelqu’un pour faire le day-to-day management, ce que le board n’est pas autorisé à faire. C’est pour cette raison que nous avons nommé la firme Ernst & Young pour gérer cette société qui, sur le papier, a des dépôts de Rs 1,1 milliard et des prêts à rembourser. Avec le problème survenu à la coopérative de Vacoas, nous avons dû employer une firme de comptables professionnels pour mettre de l’ordre. Cela coûtera Rs 200 000 c’est vrai, mais il faut retirer de cette somme les salaires du manager et du comptable. Si nous n’avions pas pris cette mesure, je me demande si la situation de cette coopérative n’aurait pas été pire. Cela étant, il existe beaucoup de sociétés coopératives, surtout des Credit Unions, qui sont gérées correctement à Maurice.
Avec l’évolution du système bancaire et des instruments de crédit, le mouvement coopératif n’est-il pas condamné à disparaître ?
– Je ne le crois pas. Parce qu’il existe au sein du mouvement coopératif une qualité de rapport humain qui n’existe pas ailleurs. Les personnes qui en font partie ont des liens professionnels, de voisinage et parfois familiaux qui les unit. C’est un système facile à gérer tant qu’il ne concerne que de petites sommes. Dans la société de Vacoas, il y avait de gros dépôts et des emprunts accordés sans suivre les procédures.
Vous parlez de qualité de rapports humains mais vous avez également déclaré que vous vouliez redonner au mouvement coopératif sa respectabilité et sa réputation d’antan. L’image du mouvement coopératif est-elle si mauvaise que ça aujourd’hui ?
– Tout comme la MCCB l’a été pour le système bancaire, la société de Vacoas restera dans les annales comme le symbole de mauvaise gestion du mouvement coopératif. C’est cette image qu’il faut effacer. J’ai le tempérament et la volonté de redorer le blason du mouvement coopératif mauricien.
M. Bholah, vous êtes très présent dans la presse ces jours-ci. Est-ce une opération de communication pour montrer que vous faites partie des ministres qui travaillent, cela en vue du remaniement ministériel que beaucoup annoncent pour très bientôt ?
– Vous savez, je ne suis pas entré en politique pour obtenir un ticket. Je n’en ai jamais demandé et on m’a donné un ticket, et j’ai été élu. Je n’ai pas demandé de ministère, on me l’a proposé.
Cela ne veut pas dire que vous n’avez pas envie de rester ministre…
– N’oubliez pas que je suis un professionnel, par conséquent, ce n’est pas le job de ministre qui me fait vivre. Cela dit, c’est un achievement pour un fils de laboureur de devenir ministre. Mais je ne suis pas attaché au fauteuil ministériel.
Le gouvernement existe depuis dix mois et on entend de plus en plus les Mauriciens dire qu’il n’avance pas assez vite, qu’il y a plus de discours que de d’action. Vos mandants vous disent-ils cela ?
– Il y a une attente dans l’opinion publique, c’est vrai. Mais comme le Premier ministre l’a déjà dit : avant d’avancer, il fallait mettre de l’ordre. Il faut monter une bonne base pour pouvoir construire dessus et je souscris à cette politique. Il faut nous donner du temps. Nous avons pris le temps de mettre de l’ordre en 2015. En 2016, nous allons commencer à avancer rapidement.
Que pensez-vous des guéguerres entre le Deputy Prime Minister et un vice-Premier ministre à propos d’une banderole ?
– Ce sont des choses qui arrivent en politique, qui plus est, dans une alliance de trois partis. Mais, comme vous avez pu le constater, tout est rentré dans l’ordre avec une vitesse extraordinaire et la sérénité est revenue.
Le MSM a annoncé qu’il avait fini Navin Ramgoolam politiquement aux dernières élections. Mais à peine le PTr a-t-il organisé deux manifestations au N°10 que le MSM s’est senti obligé de répliquer par un congrès. Le MSM aurait-il peur de Navin Ramgoolam ?
– Lalians Lepep est en train d’organiser des congrès dans diverses régions de l’île. Hier et avant-hier, c’était à Rose Hill et à Phoenix, avant au N°10. Ces congrès sont organisés dans le cadre d’un programme, dans le cadre de nos activités, pas pour réagir aux manifestations de Navin Ramgoolam.
La rumeur selon laquelle Navin Ramgoolam puisse être candidat dans une by-election dans votre circonscription ne vous empêche-t-elle pas de dormir ?
– Pas du tout. Je dors très bien le soir. Si jamais Ramgoolam est candidat au N°10, je suis prêt pour le combat. Mais je suis persuadé que cela ne se produira pas.
Pourquoi ?
– Pour qu’il y ait une by-election dans la circonscription No 10, il faudrait que Sudhir Sesungkur démissionne. Je l’ai entendu, il ne va pas démissionner.
Vous savez, en politique, ce qui est impossible cet après-midi peut devenir possible ce soir…
– Je sais que certains disent que la politique est l’art du possible. En ce qui me concerne, je me contente de ce qu’a dit Sudhir Sesungkur, mon colistier au N°10 : il ne va pas démissionner. Mais si jamais il y a une élection et que Navin Ramgoolam est candidat, je suis prêt.
La stratégie du MSM repose sur le fait que Pravind Jugnauth va succéder à son père au poste de Premier ministre. Mais cette stratégie peut être remise en cause par un jugement de la cour qui doit être rendu au début de l’année prochaine. Si jamais cela devait se produire, qui, selon vous, devrait devenir Premier ministre au MSM?
– Je ne vais pas répondre a cette question.
On ne peut pas seulement discuter de cette éventualité au MSM ? C’est un sujet tabou ?
– Je vais vous répondre que mon leader est Pravind Jugnauth et que je suis sûr qu’il va devenir Premier ministre. C’est tout ce que j’ai à dire.
Comment se porte le gouvernement de Lalians Lepep ?
– Très bien, que ce soit au conseil des ministres ou au Parlement. Nous travaillons et il n’y a aucune difficulté.
Comment réagissez-vous au fait que le ministre Gayan a déclaré à Rose-Hill qu’il avait mis fin à la distribution de méthadone parce que les utilisateurs de ce médicament à Beau-Bassin n’avaient pas voté pour lui, mais pour le MMM ?
– Je ne vais commenter les déclarations d’un collègue ministre.
Vous trouvez normal qu’un ministre dise qu’il a puni une partie de l’électorat et qu’il sait qui a voté pour qui aux dernières élections ?
– C’est à Anil Gayan de prendre la responsabilité de ses propos.
Que souhaitez-vous dire pour terminer cette interview ?
– Qu’au bout de mon mandat les gens reconnaissent que j’ai fait ce qu’il fallait pour promouvoir le ministère que l’on m’a confié.
 

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