SYLVIO CHIARA : Le parcours du combattant d’une victime du Super Cash Back Gold

Ils sont des centaines à avoir placé, de bonne foi, leur argent dans un des produits autorisés de la British American Insurance — et dans certains cas recommandés — par les autorités mauriciennes. Ils sont des centaines à avoir eu le choc de leur vie en avril de l’année dernière quand le gouvernement a décidé de mettre fin aux activités de la BAI en créant une immense pagaille et des dizaines de drames humains. Sylvio Chiara est une des victimes du Super Cash Back Gold dans lequel il a placé toutes ses économies et qu’il essaye depuis de récupérer. En se heurtant à des organismes censés régler ses problèmes mais qui, dans les faits, ne font que compliquer les choses et n’apportent aucune réponse à ses nombreuses questions. À travers l’interview qui suit, Sylvio Chiara évoque le parcours du combattant qu’il vit et qui ressemble à celui que des centaines de Mauriciens empruntent depuis avril de l’année dernière.
Qui êtes-vous ?
— Je m’appelle Sylvio Chiara et je suis né à Turin, en Italie, il y a 64 ans. J’ai travaillé comme électricien chez Fiat avant de devenir un facteur d’orgue. J’ai été marié à une Italienne dont j’ai ensuite divorcé. Par la suite, j’ai rencontré ma deuxième femme, Sabrina, une Mauricienne qui travaillait en Italie. Nous nous sommes fréquentés avant de décider d’habiter ensemble et de nous marier en 1993. En 1996, nous décidons de venir vivre à Maurice, nous nous sommes installés dans un petit village du nord du pays où nous avons fait construire notre maison et par la suite je suis devenu traducteur pour le consulat d’Italie à Maurice. D’ailleurs, je suis répertorié officiellement sur le site web du ministère mauricien des Affaires étrangères comme traducteur.
Donc, vous n’êtes pas un voyou ou un mafioso de la Calabre…
— Permettez-moi de dire qu’il y a des honnêtes gens en Calabre et que la mafia n’est pas un phénomène exclusivement italien ! Les associations de voleurs et de délinquants existent dans tous les pays du monde !
Revenons à votre itinéraire professionnel. Quand vous vous mariez,  travaillez toujours pour Fiat ?
— Non, entretemps j’étais devenu un facteur d’orgue et j’avais ouvert un atelier dans lequel je fabriquais, je restaurais et je réparais les orgues et les clavecins. À Maurice, j’ai eu l’occasion de travailler avec le Conservatoire François Mittérand. Les premières années de ma vie j’ai travaillé, ensuite, en devenant facteur d’orgue, je me suis fait plaisir en faisant de la création et de la restauration d’orgues et je me suis spécialisé dans la musique de la Renaissance, plus particulièrement le baroque. Quand je me suis installé à Maurice, je pensais que mon savoir musical allait être mis à contribution, que j’allais pouvoir ouvrir un atelier. Cela n’a pas été le cas. Je n’ai pas eu les appuis et les soutiens nécessaires. J’ai donc fait des traductions de documents officiels pour le consulat d’Italie, j’ai terminé ma maison et j’avais avec ma femme, qui travaillait dans le tourisme, une petite vie bien tranquille avec la possibilité de me consacrer à deux autres de mes grandes passions : l’astronomie et la météorologie.
 Comment est-ce que vous entrez dans ce qui va devenir la spirale BAI ?
— En décembre 2008, j’ai fait un accident qui m’a m’obligé de subir une opération. Entretemps, ma mère meurt, je ne peux même pas aller à son enterrement et l’année suivante j’hérite de ses biens. Pendant toute sa vie, ma mère avait fait des économies pour acheter des bons du trésor et une maison dont j’hérite en tant que fils unique. En avril 2009, je me suis rendu en Italie pour régler toutes les dettes de la succession avant de prendre possession de l’héritage. C’était une petite somme en euros qui convertie en roupies était assez conséquente que je fais transférer à Maurice à travers un virement bancaire. On complète la maison, je mets de l’ordre dans mes affaires et il me reste une somme que je veux placer. Un ami, qui est banquier, me conseille alors de ne pas le mettre en banque parce qu’à l’époque le ministre Sithanen avait introduit une loi pour taxer les revenus générés par l’épargne. Mon ami me conseille de mettre mon argent à la BAI dans le Super Cash Back Gold. Je ne connaissais pas la BAI et je me suis renseigné. Tous les gens à qui j’ai parlé m’ont dit de mettre mon argent à la BAI qui, on me l’a répété, était une institution solide, une des plus grosses compagnies mauriciennes. Et en plus, le Super Cash Back Gold, qui offrait un taux d’intérêt intéressant, était un produit autorisé par le gouvernement. Tous ces avis de spécialistes m’ont encouragé à investir une très grosse partie de mon héritage dans la BAI. Avec les intérêts de plus de 9%, qui étaient payés mensuellement, nous avions un revenu qui a permis à ma femme d’arrêter de travailler. Nous vivions à l’aise, sans souci, sans inquiétude pour l’avenir.
 Combien de temps avez-vous pris pour réfléchir avant de placer votre argent ?
— Quelques semaines. On m’a fait rencontrer un agent de la BAI qui m’a fait une proposition que j’ai trouvée intéressante. J’ai téléphoné à la Chambre de Commerce et à la Banque de Maurice pour demander conseil. Tous les gens m’ont dit que la BAI était une grosse firme et que le produit Super Cash Back Gold n’avait pas de concurrent sur le marché mauricien.
Mais pourquoi avez-vous mis tout votre argent dans un seul produit ?
— Parce que j’étais sûr de sa solidité, tous les gens à qui j’avais parlé me l’avaient assuré. Personne ne m’a dit en 2009 : fais attention à ce plan, fais attention à la BAI ! C’est pourquoi j’avais mis tout mon héritage sur un plan d’une durée de sept ans.
 Quand est-ce que vous avez appris qu’il y avait un problème avec le SCBG ?
— En 2015. Avant, j’avais entendu des choses comme un client qui n’avait pas été remboursé à temps, mais vraiment rien d’inquiétant. Les intérêts étaient payés à la date due. Et puis le 1er avril, j’étais dans mon bureau quand ma femme est venue me dire qu’on avait annoncé à la télévision que le gouvernement avait retiré sa licence à la Bramer Bank et suspendu les activités du groupe BAI.
Mais avant, il y avait eu des questions sur la BAI au Parlement par le leader de l’opposition et d’autres députés. Vous ne les avez pas suivies ?
— Non, parce que le Parlement c’est en anglais et jene suivais pas ses activités. Je ne savais pas ce qui était en train de se passer. C’est quand j’ai entendu parler de la fermeture de la Bramer Bank que j’ai fait la liaison avec le groupe BAI. Et là, j’ai senti que c’était un problème grave. J’ai commencé à réaliser, au bout d’un certain moment, que le problème était très grave même et nous nous sommes mis, ma femme et moi, à lire tous les journaux et à écouter toutes les informations de la télé et des radios pour essayer de comprendre ce qui était en train de se passer.
 La BAI ne vous a-t-elle pas écrit pour vous expliquer ce qui était en train de se passer ?
— Absolument pas ! Nous n’avons pas reçu de communication de la BAI ni du gouvernement. Nous avons téléphoné tous les jours sans jamais recevoir une bonne information. Et puis, un jour, j’ai laissé un message ferme à l’agent qui avait traité mon dossier. Il m’a rappelé pour me dire qu’il ne pouvait rien faire, que tout le monde était coincé, que la compagnie avait suffisamment d’assetspour rembourser ses clients, mais que tout était entre les mains du gouvernement. À partir d’avril 2015, nos intérêts, qui étaient notre seul revenu, n’ont plus été payés. On a dû s’arranger en famille pour faire face à cette situation imprévue. On a alors appris, à travers la télévision et la presse, qu’il fallait aller à la poste pour retirer un formulaire, le remplir et l’envoyer au Receiver Manager. Puis, nous avons écouté une émission à la radio dans laquelle M. André Bonnieux donnait des explications pour dire qu’on allait faire la liste des créances et celle des avoirs de la BAI et qu’on allait distribuer 10% de la dette.
 Cela vous a-t-il rassuré ?
— Oui et non. On n’avait pas de communication directe. Nous avons essayé à plusieurs reprises de téléphoner à NPFL (National Property Fund Limited). Ou bien personne ne prend l’appel ou alors les numéros sont toujours engagés. C’est également le cas pour la Financial Intelligence Unit. Je suis allé chercher le formulaire à la poste et je l’ai rempli pour expliquer notre cas. On nous a dit d’aller dans une agence de la BAI avec nos documents. Là-bas, on nous a donné un papier où il fallait écrire le numéro de la police, le montant de la somme engagée et il fallait prendre l’engagement de ne pas poursuivre la BAI, et dedonner à NPFL la responsabilité de gérer l’affaire afin d’être remboursé.
 On vous a donné un document officiel avec ces engagements écrits ?
— Non. Nous n’avons jamais reçu une communication officielle. J’ai dû faire une copie du document que j’avais rempli en le photographiant avec mon téléphone. En juin de l’année dernière, une somme de Rs 500 000 a été créditée sur notre compte. Selon les engagements, le reste allait nous être remboursé en cinq tranches étalés sur cinq ans, c’est-à-dire les debenturesque nous n’avons jamais reçus. En septembre de l’année dernière, j’ai reçu une convocation de la Mauritius Revenue Authority.
 Pour faire quoi ?
— La MRA me demandait les preuves pour justifier la somme que j’avais placée au Super Cash Back Gold. J’ai fait ce qu’on m’a dit et je me suis rendu là-bas le 16 septembre. J’ai été reçu très correctement. Ils m’ont demandé les documents justifiant ma succession, les virements bancaires et tout. J’ai présenté les documents, ils les ont examinés et après quelques jours j’ai reçu une lettre me disant que mon dossier était o.k du point de vue de la MRA.
 Comment avez-vous vécu ces événements ?
— Très mal au niveau financier et psychologique, et même au niveau de la santé. En ce qui me concerne directement, je suis tombé malade et j’ai dû me faire soigner à l’hôpital Appollo Bramwell .
 L’hôpital de la BAI ?
— Je devais aller là-bas puisque mon assurance maladie m’obligeait à le faire. J’ai été bien traité et bien soigné. En deux jours et demi, j’avais perdu dix kilos. Comment pouvez-vous ne pas être stressé quand vous ne savez pas quand, comment, par qui votre argent dont vous avez besoin pour vivre vous sera remboursé ? On avait dit que le Conseil des ministres avait décidé que la somme qu’on nous devait nous serait remboursée en cinq tranches, une par an. On a appris, tout à fait par hasard, qu’il fallait aller à Port-Louis pour remplir un formulaire. Je suis allé au bureau à Port-Louis où il y avait des centaines de personnes dans les couloirs, dans les escaliers pour remplir ce fameux formulaire.
 Que fallait-il y écrire ?
— Une dame nous a dit qu’il fallait choisir entre la formule A et la formule B. La formule A signifiait qu’on serait remboursé à hauteur de 20% de la somme qui restait en déduisant tous lesbonus reçus. C’est-à-dire pas grand-chose de la somme initiale. Dans la formule B, il n’y a pas de déduction des bonus mais on va enlever 25% du capital. Des 75% restants, on vous donne la moitié tout de suite et le reste passe à la Maubank, dont on devenait des actionnaires. J’avoue que je ne comprends pas la logique des deux formules. Entretemps, une organisation nous a demandé de ne rien signer et qu’on négocierait autre chose.
 Que s’est passé ensuite ?
— Avant d’aller plus loin, il faut souligner que nous n’avons jamais reçu une lettre ou un document officiel pour nous expliquer la situation et les plans de remboursement. Nous n’avons aucun document. Et le ministre Badhain s’est étonné à la télévision que nous ne portions pas plainte. Mais contre qui ? Qui est-ce que je dois poursuivre ? M. Rawat ? Mais je n’ai jamais eu affaire à lui, moi. 
Le 30 juin de cette année, avez-vous reçu la première tranche de la somme que vous aviez placée à la BAI divisée en cinq comme cela avait été annoncé ?
— Pas du tout. Parce que la veille j’ai reçu une lettre de NPFL, sans aucune référence et sans signature, m’informant que mon dossier avait été référé à la FIU, sans me dire pourquoi. Ce qui voulait dire, je crois, qu’en attendant, je n’avais pas droit à la tranche de remboursement prévue le 30 juin. Comme je n’avais rien à cacher, je suis allé à la FIU où j’ai montré la lettre que j’avais reçue de NPFL. Un officier a pris la lettre, s’est absenté, puis est revenu pour me dire que la FIU n’avait aucun dossier à mon nom. On est retourné à NPFL pour demander pourquoi on m’avait envoyé cette lettre. Là-bas, il y avait des gens qui n’avaient pas été remboursés et qui étaient en colère. Il y avait également des policiers avec des matraques. On a fini par voir un officier qui nous a dit d’écrire notre nom et notre numéro de téléphone et qu’on nous rappellerait. Depuis, on attend ce coup de téléphone pour nous expliquer ce qui se passe.
 Comment vous sentez-vous après tout cela ?
— Je me sens mal, très mal et surtout je ne comprends pas ce qui se passe. Mais que font donc les gens qui sont censés gérer la situation ? Le jour où je devais recevoir un paiement, je reçois une lettre me disant que mon dossier avait été référé à la FIU. Maisque se passe-t-il ? Voici ma situation. Je suis Mauricien depuis 2002 et je vis à Maurice. J’ai reçu un héritage de ma mère en 2009 et je l’ai transféré à Maurice pour le placer dans un fonds de la BAI qui était reconnu par le gouvernement et chaudement recommandé. Tout allait bien jusqu’en avril 2015 où la BAI a été mise en liquidation et on m’a dit qu’on me rembourserait en cinq fois. J’ai reçu un premier paiement et, depuis, plus rien, et on me dit que mon dossier a été référé à la FIU. Et en même temps, j’apprends qu’il a plus de 500 cas d’enrichissement illicites qui ont été référés à la FIU. Est-ce que je suis considéré comme faisant partie de ce nombre en dépit du fait que j’ai déjà répondu aux questions de la MRA ? Qui va répondre à cette question, m’expliquer quelle est ma situation et quand mes économies me seront-elles remboursées ?
 Qu’allez-vous faire maintenant ?
— Mais je ne peux rien faire. Tout mon argent est bloqué et je n’ai même pas de quoi payer un avocat pour s’occuper de mon dossier et défendre mes intérêts. Je suis un pot de terre même pas cuit contre de gros pots de fer, comme des milliers d’autres Mauriciens victimes de cette arnaque. Non seulement nous sommes totalement désarmés, mais nous sommes également insultés. On a dit à la télévision que nous étions des gourmands, des gloutons parce que nous demandons que l’on rende notre argent. Des gloutons ! Je tiens à dire que dans l’héritage que j’ai reçu il y a le travail et les économies de toute une vie ma mère. Cela fait mal de s’entendre traiter de cette manière. Surtout quand on sait qu’il y a des gens bien placés qui ont tiré leur argent de la Bramer Bank juste avant qu’on ne lui enlève sa licence !
 Finalement, qu’attendez-vous de tout ça ?
— D’être convoqué à la FIU pour montrer tous les documents que j’avais déjà soumis à la MRA pour justifier la provenance de mon héritage. En espérant, c’est tout ce que nous pouvons faire, en espérant qu’une fois ces documents soumis, nous serons enfin remboursés et que nous pourrons recommencer à vivre normalement. C’est tout ce que ma femme et moi souhaitons : oublier le cauchemar que nous vivons depuis avril de l’année dernière et recommencer à vivre normalement.
 

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