ARAB TOWN—EN VOIE DE DISPARITION: Les marchands ambulants réclament un délai

Présente depuis plus d’une trentaine d’années au coeur de la ville de Rose-Hill, l’Arab Town disparaîtra dans quelques semaines. En sus d’être une foire très prisée, celle-ci est considérée comme un endroit historique, certains la qualifiant même de patrimoine. Quant aux marchands ambulants qui y opèrent, ils disent être « très attachés » à l’Arab Town, se disant « tristes » de devoir déménager. Une inquiétude d’autant plus grande qu’ils devront le faire en cette période de fin d’année, « très importante » pour les marchands ambulants à travers le pays. Rencontre…
L’Arab Town est une des foires les plus incontournables de notre île, sise au coeur de la ville de Rose-Hill. Créée en 1986, elle accommode aujourd’hui une soixantaine de marchands ambulants, dont certains qui y opèrent depuis le tout début. Vêtements, nourriture, rideaux, chaussures, accessoires pour maison et jardin… Il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. Mais plus pour longtemps, les jours du site étant désormais comptés. Dans quelques semaines, cet endroit historique ne sera en effet plus qu’un souvenir.
La soixantaine de marchands ambulants qui y travaillent ont été priés de plier bagage avant la fin de l’année pour que les ingénieurs du projet Metro Express puissent démarrer les travaux. Une structure a d’ailleurs été construite non loin de l’Arab Town, à proximité du Supermarché Way, pour reloger les marchands. Un exercice de tirage au sort a eu lieu mardi dernier pour qu’ils prennent connaissance de leur étal. « Nous avons jusqu’au 13 novembre pour quitter l’Arab Town. L’inauguration de la nouvelle structure est prévue pour le 14 novembre », souligne le président de la Distributive Trade Employers’ Union, Imtazally Jaumeer.
Selon lui, les marchands ambulants sont « bouleversés » depuis l’annonce du projet. « La majorité des marchands sont là depuis plus d’une vingtaine d’années. D’autres étaient là avant même que l’Arab Town ne soit créée et, par la suite, ce sont leurs enfants qui ont pris la relève. Les marchands ont du mal avec cette décision du gouvernement, quoi qu’ils n’aient pas vraiment le choix. Nous sommes très tristes d’être obligés de quitter cet endroit, qui renferme un aspect historique », confie Imtazally Jaumeer. Ce dernier avance que plusieurs réunions ont eu lieu avec le maire de Beau-Bassin/Rose-Hill en ce qui concerne les conditions sous lesquelles les marchands seront relogés. « Nous avons pu seulement comprendre que l’espace que nous obtiendrons dans la nouvelle structure est de 2m50 sur 2m50. Nous sommes certes satisfaits de cet espace mais aucune autre précision ne nous a été fournie. Nous vivons notre quotidien dans l’angoisse », déplore notre interlocuteur.
Imtazally Jaumeer déplore par ailleurs « la manière de faire » de la mairie ainsi que du gouvernement pour avoir « planifié » ce déplacement en cette période de fin d’année. « Ce n’est un secret pour personne que les marchands ambulants ne reçoivent pas de bonus et qu’ils profitent des ventes du mois de décembre pour recueillir leur propre bonus. Or, si nous bougeons à la mi-novembre, il nous faudra encore 15 à 20 jours pour nous installer dans la nouvelle structure. Ceci dit, nous perdrons beaucoup de temps alors que c’est la période où nous travaillons le plus », fait-il ressortir. « Nous lançons donc un appel de détresse au Premier ministre. Nous le supplions de nous laisser travailler jusqu’à fin janvier à l’Arab Town. Nous ne sommes pas contre le projet de métro ni contre notre déplacement. Nous demandons seulement de pouvoir travailler ces deux mois qui restent. Ensuite, nous bougerons où on nous dira de le faire », soutient-il encore.
« Notre gagne-pain »
Vimmi Arumugun, âgée de 37 ans, est marchande de gâteaux. Elle exerce à l’Arab Town depuis 13 ans maintenant. Inquiète de son déplacement, elle explique : « J’ai créé mon identité quand je suis venue travailler à l’Arab Town. Mes clients savent où venir quand ils ont besoin de gâteaux. J’ai peur de perdre une partie de ma clientèle quand nous bougerons dans la nouvelle structure. » Entourée de ses proches, qui disent dépendre de ce métier « pour faire bouillir la marmite », la jeune femme vit dans l’angoisse depuis cette annonce. « On nous force à bouger. On nous a même menacés de faire passer un bulldozer sur notre emplacement si nous refusons de partir. Est-ce une manière de traiter des gens ? Pourtant, nous ne faisons que travailler pour nourrir nos familles », déplore-t-elle.
Marco et Medgé Denis abondent dans le même sens. Le couple, parents de quatre enfants, s’est installé à l’Arab Town depuis plus de 20 ans. Spécialisés dans la vente de vêtements pour femmes, les Denis disent eux aussi dépendre de leur métier pour joindre les deux bouts. « A ce jour, nous n’avons aucune idée du projet Metro Express et de la raison pour laquelle nous devons quitter cet endroit. Ce n’est pas facile pour nous de partir car nous y sommes depuis de nombreuses années. Nous avons des engagements car nous avons des prêts à rembourser, sans compter que nous devons financer l’éducation  de nos quatre enfants, entre autres », martèle Marco.
Sayadin Imrit, âgé de 26 ans, exerce à l’Arab Town depuis qu’il a 15 ans. « Ce sont mes grands-parents qui étaient là en premier. Ensuite, mes parents ont pris la relève, puis moi », raconte le jeune marchand. Ce dernier souligne qu’il n’est pas contre le fait d’être relogé mais estime que ce n’est « pas le moment approprié » pour le faire. « Nous avons acheté beaucoup de marchandises pour cette période de fin d’année. La nouvelle structure est un endroit ouvert où nous ne pourrons garder nos marchandises pendant la nuit. Or, je n’ai aucun endroit où les entreposer. Je ne sais plus à quelle porte frapper », se plaint Sayadin.
Même son de cloche pour Sameer Boodhoo, 45 ans, et Shameemah Elahee, 44 ans. Ces deux marchands ambulants expliquent qu’ils ont installé des « shutters » à l’Arab Town, leur permettant de laisser leurs marchandises sur place pendant la nuit. Or, dans la nouvelle structure, les marchandises risquent d’être volées « car les stands sont ouverts », disent-ils. « Nous allons devoir investir à nouveau dans ce nouvel emplacement. Si au moins le gouvernement nous accordait un délai jusqu’à janvier pour nous relocaliser, nous pourrions travailler pleinement en décembre et rassembler plus d’argent pour investir dans le nouvel emplacement. Nous pourrons alors installer de nouveaux “shutters” », avancent ces deux marchands.
Saloni Chady, âgée de 43 ans et mère de deux enfants, exerce elle aussi à la foire de l’Arab Town depuis de nombreuses années. « Ma famille s’y est installée depuis plus d’une trentaine d’années. Par la suite, j’ai préservé la tradition en prenant la relève. Cette année, j’ai vécu dans l’angoisse en raison de deux gros projets du gouvernement. D’une part, il y a le Nine-Year Schooling, qui m’affecte indirectement, et d’autre part le métro. J’ai négligé mes enfants en raison du projet. Heureusement qu’ils arrivent à se débrouiller. Tout cela me fatigue beaucoup. Je vis une année très difficile », regrette cette mère de famille.  
La soixantaine de marchands ambulants disent ne pas être contre le projet Metro Express, mais ils espèrent néanmoins obtenir la compréhension du gouvernement pour ces deux derniers mois de l’année. « Nous n’avons qu’une seule requête, celle de nous laisser travailler jusqu’au moins la fin de l’année avant de nous relocaliser. Nous demandons au Premier ministre de prendre en considération notre situation familiale et financière ainsi que le fait que nous avons des enfants », soutiennent de nombreux marchands.

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