Tainted Island ou de la Cooptation à la mode mauricienne

« Tainted » : Polluée, contaminée, souillée, corrompue.
A tous les niveaux, le corps social, politique, économique et institutionnel est aujourd’hui de plus en plus « tainted ». Nous serons bientôt une île fameuse pour ce qualificatif, un peu comme les îles de la quarantaine ou les îles des repris de justice. A force de manquer d’imagination et de se donner de vrais moyens pour sortir du marasme, nous avons forgé des slogans creux qui ne reflètent pas du tout ce que nous sommes en train de devenir. Merci donc à l’Université de Delhi au sujet de la récente nomination du responsable de notre TEC de nous offrir sans le vouloir, sans le savoir cet adjectif qui résume bien ce qui est en train de devenir la norme mauricienne.
Nous allons évoquer ici, pour ne pas rester dans les généralités, un aspect de la bonne gouvernance, à savoir le recrutement et/ou nominations dans les institutions.
N’en déplaise à beaucoup, l’administration coloniale a eu au moins le mérite de mettre en place des institutions dont le fonctionnement et les rouages  dépassaient le cadre des individus. Le bon vouloir ou le non-vouloir de ces derniers n’avait aucune  prise sur la bonne marche des institutions. Les exigences de service, les attentes quant aux responsables, leur « accountability » clairement définis permettaient à la fois une montée en compétences, des sanctions et des récompenses reconnues par tous, acceptées comme hiérarchies de valeurs professionnelles et par conséquent, une échelle de positionnement au sein des pairs.
Il y a eu et il y a une forte régression depuis.
Généralement parlant, en Asie comme en Afrique l’introduction et l’appartenance à des corps de métiers, l’affiliation à des réseaux sociaux et économiques sont des facteurs déterminants de réussite. Il faut être introduit,  reconnu et accepté comme faisant partie d’un cercle d’initiés et donner des preuves de loyauté, de solidarité. En Occident, ces mêmes atouts sont également présents à travers des clubs sélectifs, adhésion à des réseaux influents. Mais, cette influence est tempérée, pondérée par des moyens institutionnels et des individus choisis pour leur rigueur et intégrité, garants d’une certaine transparence et d’une certaine justice sociale.
Aujourd’hui, de par le monde ce principe de réseautage se traduit au niveau du recrutement et des nominations,parla cooptation.
C’est quoi, la cooptation?
La cooptation est un mode de recrutement basé sur la recommandation des connaissances de son réseau. Apparu il y a déjà plus de vingt ans, le principe est très développé aux Etats-Unis.
Moins onéreux, puisqu’il diminue le travail de recherche de l’entreprise et permet d’éviter de faire appel à des cabinets de recrutement, le tri effectué est largement qualitatif parce que le coopteur aura pour ambition motrice de ne pas décevoir par sa recommandation. Un filtre naturel  s’opère ainsi selon le principe : « Les meilleurs recommandent les meilleurs ». Cette première sélection rend la cooptation particulièrement efficace.
Ciblée et bien informée, la cooptation  à travers les réseaux sociaux s’assimile au parrainage et favorise la réussite du processus de recrutement/nomination.  Cependant, elle suppose en amont une éthique solide dans les définitions de profils de recrutement/nomination et les critères de sélection, des constitutions  de  « panel » choisis sur des critères objectivables, des « irréprochables » ou honorables dans le vrai sens du terme.
Depuis quelques décennies, sur notre île pas encore «  tainted », nous avons adopté à bras ouverts la cooptation. Nous l’avons fait comme si c’était un élément de notre ADN social. Nous sommes grégaires et il n’y a pas de mal à ça, nous aimons être utiles, recommander nos amis, nos proches, montrer que nous sommes influents, des «  gran dimounn » en somme. Que nous fréquentons «  la haute » ; et nous sommes ravis que ces autres que nous dépannons à l’occasion nous soient redevables. Notre narcissisme est comblé et nous en retirons gratification. Jusqu’à un certain point, notre fonctionnement social et notre économie interne sont tels que nous pouvons accepter un certain degré de ce type de parrainage.
Mais, à Maurice, nous aimons foncer dans la caricature sous des dehors élégants, respectables. Fi de l’éthique. Comme par mégarde, de petites en grandes touches, nous apprenons les phénomènes du népotisme (famille, clan, caste). Nous cooptons des voyous, des repris de justice. Du bon parrainage, nous apprenons vite à verser dans des connexions inavouables, toujours en se cherchant les bons protecteurs. Et personne comme dans l’autre île «  untainted » nous regarde de travers.  Nous faisons conférence sur conférence sur la non-corruption et nous discourons à longueur d’année sur les bonnes mesures que nous prenons dans le secteur de l’Education. Personne n’y croit mais peu importe. Nous aimons nos enfants, nous aimons nos jeunes…
Eux, en passant chantent Marilyn Manson «  Tainted Love » :
“I’ve lost my lights
I toss and turn
I can’t sleep at night”

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