(Tirs croisés) Rassemblements politiques : un mode de communication révolu ? 

Les meetings du 1er mai se sont depuis longtemps éloignés de leur but initial qui était de militer pour les droits des travailleurs. Davantage que des rassemblements de revendication, ces mobilisations ont intégré le folklore du pays.
Mais, jusqu’à quand encore? Qui y assistent en cette ère où tout est transmis illico sur les réseaux sociaux? La guerre des foules a-t-elle toujours lieu? Selon Dharam Gokhool, ancien ministre, « les meetings du 1er mai n’ont plus autant d’importance que dans le passé. Je pense même que c’est un gaspillage de ressources ». Il est d’avis qu’il faut revoir « la communication politique ».
Il se dit davantage pour des congrès « dans des salles où on peut entamer, non pas des monologues, mais un dialogue ». Ceux qui se déplacent encore, « sont les ‘die hard’. Il y a aussi des curieux et les indécis ». Pour lui, ces rassemblements « ne sont pas un baromètre pour déterminer les forces et faiblesses des partis politiques ». Combien de votants y-a-t-il dans ces meetings ? renchérit Haniff Peerun, président du Conseil des Syndicats.
Le syndicaliste estime que les Mauriciens « sont devenus des ‘roder bout’ ». Mais, dit-il, « le jour où le peuple comprendra que c’est davantage les politiciens qui ont besoin de nous et non vice-versa, à ce moment on verra les députés descendre sur le terrain… ». Il ajoute: « courir après les politiciens ne mène à rien ; il faut au contraire laisser les politiciens nous courir après ».

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Didier Michel : « Une indication des alliances possibles »

Quelle est la pertinence des rassemblements politiques du 1er mai ? A quoi servent-ils pour l’avancement du public ?

Les rassemblements politiques du 1er mai se situent dans le cadre d’éventuelles élections générales en fin d’année. Ils peuvent servir de balises pour éclairer les électeurs et électrices. On peut rappeler deux évènements. Le premier étant celui de 1983 après la cassure du premier gouvernement MMM/PSM. Cette année-là, il n’y avait pas que les élections générales qui allaient se tenir en août, mais surtout l’entrée sur la scène politique du MSM nouvellement mis sur pied. Le deuxième cas, en 2010, les rassemblements du 1er mai indiquaient clairement grâce aux grandes foules réunies que les élections générales allaient être remportées par l’alliance PMSD/MSM/PTr. Par rapport à 2016, l’alliance MSM-ML a été la seule à tenir un rassemblement public pour le 1er mai, alors les autres partis de l’opposition avaient décidé de faire profil bas. En clair, les rassemblements politiques du 1er mai sont utilisés par les partis politiques pour consolider leurs bases à l’approche des élections.

À la veille des élections générales, ces meetings ont-ils un intérêt particulier, permettant à la population de mieux connaître les intentions des partis ?

Bien sûr, en 2019, la conjoncture politique est toute autre. D’abord, la date précise des élections générales n’est pas encore connue, même si tout le monde sait qu’après le 14 décembre 2019, l’Assemblée nationale sera dissoute d’elle-même. Ensuite, la grande incertitude porte sur le fait que contrairement aux années précédentes les alliances ne sont pas encore réglées. Actuellement tous les partis politiques disent qu’ils iront seuls aux élections, alors que ce n’est pas vrai. Cependant les rassemblements de cette année vont indiquer à la population les alliances possibles. D’autant plus que les pronostics vont bon train jusqu’à même proclamer un rapprochement Navin-Pravind…

Force est de constater que chaque année, ces rassemblements sont déviés de leur but premier, qui est d’intervenir sur le thème du travail, de sensibiliser sur les droits du travail par exemple…

L’objectif premier du 1er mai est de célébrer la fête du travail. Depuis 1936 par le biais du Dr Maurice Curé, la fête du travail a été de revendiquer le droit des travailleurs. Pendant ces 83 ans de revendications des travailleurs, cet objectif a été dévié du fait de l’effritement de la force syndicale à Maurice. Le désaccord s’est installé entre les syndicats. Il y aurait, d’une part, plus de 500 000 employés syndiqués et d’autre part une centaine de syndicats. Un bon nombre n’a été mis sur pied que pour la forme réunissant 5 ou 7 personnes. Tandis que d’autres ont été institués pour affaiblir un autre syndicat. Le manque d’entente entre les syndicats est disproportionné, ce qui explique aussi la surenchère en cours parmi les syndicalistes pour faire des réclamations mirobolantes telles que 39% et 40% d’augmentation des salaires. Le problème de fond pour la classe ouvrière est relégué à des luttes intestines. Donc une réforme de l’Employment Relations Act est impérative.

Alors qu’aujourd’hui tout est diffusé illico sur les réseaux sociaux, ces meetings ont-ils toujours un intérêt selon vous ? Le public a-t-il besoin de se déplacer comme autrefois pour écouter les leaders politiques ?

Le fait de se déplacer pour aller assister aux rassemblements politiques du 1er mai reste un choix personnel, quoi qu’il est clair que la majorité de la population restera chez elle. Parmi ceux et celles qui vont aller aux manifestations, il y a une partie qui va soutenir son parti coûte que coûte et aussi toute cette population qui va profiter du transport et du boire et à manger gratuits.

Avez-vous l’impression que les Mauriciens sont toujours intéressés par les meetings du 1er mai?

Pour moi les rassemblements du 1er mai sont surtout politiques et les Mauriciens experts en politique les suivent en y participant ou en restant chez eux pour discuter des partis qui attirent le plus de foule et des possibilités d’alliance.

La guerre des foules est-elle une indication des résultats pour les prochaines élections générales ?

Pour les rassemblements de cette année-ci il est difficile de faire des pronostics. Le MMM a choisi la Rue Edward VII, à Rose-Hill pour faire son rassemblement. Ce lieu ne peut contenir que quelques milliers de personnes. Idem pour le PMSD qui a choisi le terrain de l’Ecole Hôtelière Sir Gaétan Duval à Ébène pour son meeting public du 1er mai. La guerre des foules se fera entre l’alliance gouvernementale MSM-ML et le Parti-Travailliste. Le premier à Vacoas et le second à Port-Louis, deux endroits qui peuvent accueillir une grande foule. Bien sûr, il y aura la contestation dans l’évaluation des foules par l’un comme par l’autre en utilisant abusivement les données médiatiques. En dépit de tout, les deux partis auront besoin d’un ou plusieurs partenaires quand ils auront à se présenter devant l’électorat.


DHARAM GOKOOL : « Il faut un dialogue, non des monologues »

Quelle est la pertinence des rassemblements politiques du 1er mai ? À quoi servent-ils pour l’avancement du public ?

Pour les états-majors, c’est une démonstration de force qui a, selon eux, un impact psychologique sur l’électorat. C’est une bataille visant à conquérir le choix de l’électorat. Dans les années 60-70, avec le mouvement PTr, Maurice Curé, Anquetil et Rozemont et dans les années 80, 80% des discours étaient axés sur le sort et les revendications des travailleurs. Après l’indépendance, il y a eu une grosse déception. La même chose s’est reproduite avec le MMM, qui a vu sa naissance dans le monde syndical. Mais, après 82, le MMM ne pouvait répondre à toutes les revendications. On a donc vu la cassure et, par la suite, le divorce s’est installé entre le syndicat et les partis politiques à l’exception de Rezistans ek Alternativ.

Les rassemblements n’ont donc plus cet intérêt pour la classe des travailleurs…

Pas vraiment car les préoccupations de la classe ouvrière sont déjà prises en charge par la loi et les syndicats. Il n’y a pas grand-chose que les partis politiques peuvent proposer ou apporter aux syndicats. C’est davantage des manifestations politiques.

Mais à la veille des élections générales, ces meetings ont-ils un intérêt particulier, permettant à la population de mieux connaître les intentions des partis ?

50-60% de l’électorat savent que la situation dans le monde est assez difficile et qu’il n’y a pas lieu de faire des revendications extrêmes. D’ailleurs, des initiatives pour mobiliser les gens pour les meetings ne marchent pas. Tout cela explique qu’aujourd’hui il n’y a pas de grandes mobilisations. Pour moi, ces rassemblements ne sont pas un baromètre pour déterminer les forces et faiblesses des partis politiques. L’enjeu se trouve au-delà des rassemblements du 1er mai. C’est dans l’esprit et le cœur de chaque citoyen. Si un parti politique se fie à ces rassemblements pour peaufiner ses stratégies politiques, cela ne marchera pas car il y a beaucoup de choses qui changeront. On ne peut leurrer le citoyen très averti.

Ces rassemblements ont été déviés de leur but premier, qui est d’intervenir sur le thème du travail. Pensez-vous qu’il faut recentrer le thème de ces meetings du 1er mai ?

Je pense que dans l’application de leur politique, quand les partis sont au gouvernement, tout cela est pris en considération, c’est-à-dire comment améliorer le pouvoir d’achat, la qualité de vie et l’environnement, entre autres. Peut-être peut-on continuer à y mettre l’accent. Mais les méthodes traditionnelles, comme la grève, sont révolues. C’est un moyen de revendication qui est démodé. Il faut en trouver, comme le dialogue.

Alors qu’aujourd’hui tout est sur la toile immédiatement, le public a-t-il besoin de se déplacer comme autrefois pour écouter les leaders politiques ?

Ceux qui se déplacent sont les “die hard”. Il y a aussi des curieux et les indécis qui viennent écouter ce que ces leaders politiques ont à dire. D’ailleurs, même les syndicats ont du mal à mobiliser des gens. Ils arrivent à rassembler une centaine de personnes. Quand vous prenez ce que les syndicats et les partis peuvent mobiliser, cela ne représente même pas 2-3% de l’électorat. Nous avons un électorat de 950 000 environ, et là, qu’aura-t-on ? 25 000 ?

Donc, pour vous, ces meetings n’ont plus autant d’importance ?

Non, ils n’ont plus autant d’importance que dans le passé. Je pense même que c’est un gaspillage de ressources car cela nécessite beaucoup d’argent. Cela peut décourager des personnes intègres, qui voudraient se lancer dans la politique car elles ont ainsi une idée du montant que cela nécessite pour un événement pareil. Et donc, pour les élections, comment feront-ils ? Où trouver de l’argent ? C’est une perversion de la démocratie.

Avez-vous l’impression que les Mauriciens sont toujours intéressés, de près ou de loin, par les meetings du 1er mai ?

Il faut trouver d’autres formules comme on fait en Europe, en Amérique et ailleurs. Il faut des congrès dans des salles, où on peut entamer non pas des monologues, mais un dialogue. La plupart du temps, les politiciens parlent et s’en vont et ne reçoivent pas de questions. Je pense qu’il faut revoir la communication politique parce que les meetings ne rapporteront pas. Ce que je vois, c’est que les meetings répètent ce que publient les journaux… Ce n’est pas un mode moderne de communication politique. Il faut miser plus sur le dialogue et la concertation. L’écoute est une chose que les politiciens doivent apprendre. Ils ont perdu cette habitude d’écouter les gens. Ils vocifèrent, répètent ce que les autres savent, ils ennuient les gens…

Cherchez-vous un ticket pour les prochaines législatives ?

Je n’ai jamais cherché de ticket. Même quand j’étais au MMM, on m’a appelé pour donner un coup de main. La même chose s’est renouvelée en 2003 avec le PTr. Je n’étais pas actif en politique pendant neuf ans. Entre 1995 et 2003, j’étais à l’université et on a fait appel à mon expérience. Je me suis donc joint au PTr. J’ai de très bons amis au MMM, au PTr et au PMSD. J’ai cultivé de bonnes relations. Mais disons que, par le fait que j’ai été membre, secrétaire général et ministre du PTr, si éventuellement, j’ai à prendre une décision, je tiendrai compte de cela.

Vous a-t-on proposé un ticket ?

On ne m’en a pas proposé mais on me demande ce que je compte faire. Il y a des conversations en ce sens. Je suis en train de l’étudier attentivement. Il faut que je voie de près certaines dispositions que les partis politiques prendront pour répondre aux aspirations de la population. Si je vois qu’on peut travailler d’après un agenda, qui répondra aux problèmes de la population, je verrai. Mais, pour moi, la politique, ce n’est pas nécessairement être candidat. Il faut concevoir un moyen plus large de la pratiquer.


HANIFF PEERUN : « Combien de votants dans ces meetings ? »

Quelle est la pertinence des rassemblements politiques du 1er mai ? À quoi servent-ils pour l’avancement du public ?

Tous les rassemblements organisés par les partis politiques sont là pour montrer qui réunit le plus de monde, particulièrement, cette année où les élections sont très proches. Même les partis, qui n’organisaient pas de meetings les années précédentes, le feront ce 1er mai pour montrer qu’ils existent encore. Le parti, lui, est là pour donner à manger et à boire, le transport gratuit et inviter à faire la fête à la mer. C’est un fait qu’il manque des loisirs à Maurice. C’est donc une occasion pour beaucoup d’aller se détendre. Les gens n’y vont pas pour écouter les politiciens mais pour savourer un bon biryani. Nous constatons par ailleurs, ces derniers temps, qu’il y a parmi, des personnes qui ne votent pas dont des travailleurs étrangers. Ces pauvres gens, qui sont exploités à Maurice, voient dans ces meetings un divertissement. Pour certains Mauriciens, un bon biryani est un luxe. De l’autre côté, l’on ne peut éviter de se demander comment ces partis politiques parviennent à investir autant de millions dans ces rassemblements alors que tant de travailleurs n’obtiennent pas leur dû. Cela montre donc d’une part que le gouvernement a de l’argent, et de l’autre, que le secteur privé a aussi de l’argent car ces partis font appel à ce dernier pour le 1er mai et pour les élections. Je pense que l’ICAC a un rôle à jouer en enquêtant sur le financement de ces partis par le secteur privé. Quand ces partis qu’ils ont financés arrivent au pouvoir, qu’obtiennent-ils en retour ? C’est la classe des travailleurs qui sort perdante.

À la veille des élections générales, ces meetings ont-ils un intérêt particulier, permettant à la population de mieux connaître les intentions des partis ?

Ce qu’on constate, c’est que tous les principaux partis politiques ont organisé des rassemblements contrairement à l’an dernier. Pour ces partis, ces meetings ont une influence sur l’électorat. C’est pourquoi ils y tiennent. C’est à qui essaie de faire de son mieux pour rassembler plus de personnes estimant qu’ils soient gagnants. Mais combien de votants y a-t-il dans ces meetings ? L’année dernière, on a vu qu’en l’absence de meeting d’un parti politique, des partisans sont allés dans d’autres . C’est un folklore pour eux qui, de surcroît, reçoivent bus et repas gratuits.

Force est de constater que, chaque année, ces rassemblements ont été déviés de leur but premier, qui est d’intervenir sur le thème du travail, de sensibiliser sur les droits du travail par exemple…

La fête du travail a été “hijacked” par les politiciens. Ils auraient pu trouver une autre formule pour fêter les travailleurs. Moi, je ne suis pas d’accord avec le nom “fête du travail” car cela sous-entend qu’on fête le patronat. On aurait dû plutôt parler de fête des travailleurs. Il existe plusieurs manières d’honorer ces derniers. Certains ont perdu la vie au travail, d’autres se sont grièvement blessés, sont devenus handicapés et ne reçoivent qu’une pension dérisoire. Il aurait fallu honorer ces personnes, leur donner une compensation pour leur permettre de vivre une vie décente. Il aurait fallu aller dans leur endroit voir quels sont les problèmes qu’ils vivent et non pas se rendre chez eux en période d’inondations seulement. C’est à la veille des élections que vous voyez les députés apparaître dans leur circonscription. Quelles sont les contributions apportées par les députés pour améliorer les conditions de travail de leurs mandants ? Il y a eu le salaire minimum, l’augmentation du seuil de la taxe mais il reste beaucoup encore à faire.

Alors qu’aujourd’hui tout est sur la toile immédiatement, ces meetings ont-ils toujours un intérêt ? Le public a-t-il besoin de se déplacer comme autrefois pour écouter les leaders politiques ?

Pour commencer, ce sont ces personnes qui assistent à ces meetings qui se plaignent de l’augmentation du coût de la vie. S’agissant des réseaux sociaux, il faut se poser la question. Qui y a accès ? Ce sont surtout les intellectuels. Quant à la masse laborieuse, ils ne les utilisent pas. Par ailleurs, même parmi la classe aisée, certains vont à ces rassemblements pour marquer leur présence. Il faut absolument que les leaders les voient. Les Mauriciens sont devenus des “roder bout”. Il est malheureux de voir qu’ils se laissent exploiter par les politiciens de tous bords. Nous constatons que le taux de chômage a augmenté. Il y a beaucoup de jeunes diplômés qui sont chômeurs alors que leurs parents se sont beaucoup sacrifiés pour financer leurs études. Il y a même dans l’est du pays, des “cleaners” qui sont gradués. Les parents se résolvent donc à s’afficher devant les politiciens et aller graisser leurs pattes pour qu’en retour leurs enfants puissent obtenir un travail. On ne peut les blâmer. Mais le jour où le peuple comprendra que c’est davantage les politiciens qui ont besoin de nous, et non vice-versa, à ce moment on verra les députés descendre sur le terrain…

Avez-vous l’impression que les Mauriciens sont toujours intéressés par les meetings du 1er mai ?

Le 1er mai est férié. Beaucoup n’ont rien à faire faute de loisirs. Il faut refaire l’éducation des Mauriciens. Leur montrer que courir après les politiciens ne mène à rien. Il faut au contraire les laisser nous courir après. Nous, Mauriciens, devons réaliser que nous peinons à joindre les deux bouts alors que les politiciens, eux, cumulent deux emplois : député et avocat, député et médecin, etc. Ils reçoivent une double paye. Pour ouvrir les yeux des politiciens, il faut d’abord que les Mauriciens ouvrent leurs propres yeux en premier.

La guerre des foules est-elle une indication des résultats des élections générales ?

Pas du tout ! Le parti au pouvoir aura toujours plus de personnes car le public sait qu’il peut en tirer quelque chose vu que le parti est actuellement au pouvoir. Même sir Anerood Jugnauth était le premier étonné quand il avait remporté les élections la dernière fois. De plus, les médias ne sont souvent pas objectifs à l’instar de la MBC, qui accorde plus de couverture au parti au pouvoir, et ce dans le but d’influencer la population. Mais la foule ne traduit pas les intentions de la population.

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