TOBIE NATHAN : Le pape de l’ethnopsychiatrie

Qu’est-ce que l’ethnopsychiatrie, dont Tobie Nathan est supposé être le « pape » ? « C’est d’abord une discipline très ancienne, apparue dans les années 40-50 du siècle dernier, reposant sur l’idée que des peuples, qui n’ont pas nécessairement une tradition académique, parfois même pas d’écriture, ont des connaissances des plantes, par exemple, qui valent le coup d’être apprises. C’est ça, l’origine de l’ethnopsychiatrie, qui est en fait le recueil des connaissances psychiatriques des populations qui n’ont pas une tradition académique. Depuis, on utilise ces connaissances pour soigner les migrants en France, on leur parle dans leur langue, on essaie de comprendre leurs problèmes en référence avec leur univers. Il s’agit donc de prises en charge adaptées des personnes, en tenant compte de leur culture et de leur langue. »
Pourrait-on dire que cette discipline est une branche de la psychiatrie ? « Ce serait une branche « pirate », dans la mesure où elle est mal acceptée, et que la psychiatrie a tendance à offrir le même traitement pour tout le monde, alors que cette branche propose une traitement particulier pour chacun. » D’où vient ce surnom de « pape » que l’on lui donne ? « C’est un faux surnom, mais on me l’a donné, sans doute avec beaucoup d’ironie, parce que je parle à la radio, à la télé et dans les journaux. Mais un pape, ça a une église, des cardinaux. Moi, je n’ai ni disciples, ni croyants, ni fidèles. Je suis un pape sans sujets et sans pouvoir. J’ai été, avec d’autres, à l’origine d’une façon de faire en psychiatrie, l’ethnopsychiatrie, c’est vrai. J’étais un peu plus extrême que les autres, et ça a marqué les idées. »
Un peu « extrême », pour celui qui a osé contredire Sigmund Freud, le dieu de la psychiatrie, et remettre en cause ses théories, plus particulièrement celle sur l’interprétation des rêves ! « J’ai été formé à la psychanalyse, mais je n’ai jamais reconnu Freud ni comme un dieu, ni comme un maître. Pour ce qui concerne l’interprétation des rêves, le livre de Freud a été écrit en 1899 ; cela fait presque 115 ans et il est obsolète. » Pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps pour dépoussiérer les théories de Freud ? « Parce que ceux qui auraient pu le faire ont eu peur. Parce qu’ils appartiennent à la société psychanalytique de Paris, au groupe lacanien (du psychanalyste français Jacques Lacan, 1901-1981, ndlr), et que s’ils remettent en question ou qu’ils osent seulement « dépoussiérer », ils vont se faire virer, n’auront plus de cercle pour s’exprimer. Moi, comme je suis libre et qu’on ne peut me virer de nulle part, je peux dire ce que je veux. »
On pouvait néanmoins penser que les psychanalystes étaient intellectuellement libres et pouvaient aider leurs patients à cause de cette liberté. « La psychanalyse c’est beaucoup d’écoles, de sociétés, d’instituts à l’intérieur desquels il est difficile d’entrer et, pour le faire, il faut montrer patte blanche. On attend des années. C’est très, très long, et quand vous êtes dedans vous n’avez pas envie vous faire sortir. Et comme vous dépendez de cette appartenance pour avoir pignon sur rue, pour qu’on vous envoie des patients, vous êtes dépendant du système, vous devenez une espèce de fonctionnaire qui s’agrippe à ses acquis. » Comment a-t-il fait dans ce cas pour être dans le système, tout en étant résolument à côté ? « J’étais universitaire, donc je ne dépendais pas de la clientèle pour vivre. Au bout d’un certain temps, j’ai abandonné la pratique de la psychanalyse pour le faire d’une autre manière, avec des groupes de travail, et j’en suis sorti tranquillement. J’ai eu d’autres intérêts, j’ai été diplomate, j’ai écrit des romans policiers, ce qui a choqué les mandarins de la profession, d’autant que tous les policiers du premier roman portaient les noms des responsables des sociétés psychanalytique de Paris. »
Que reproche-t-il concrètement aux mandarins et autres demi-dieux de la psy ? « De se prendre trop au sérieux, et de trop prendre les gens de haut. J’ai travaillé avec des patients africains, maghrébins et asiatiques faisant partie des migrants français. Je suis à l’école de mes patients, et pas le contraire. En ce faisant, je fais l’inversion de l’expertise, c’est-à-dire que ce n’est pas le psy qui est l’expert, mais l’univers. Notre travail consiste à faire sortir des vérités, mais nous ne les possédons pas, ces vérités. »
Si Tobie Nathan a attaqué le pouvoir, la représentation et les symboles de la psychiatrie, ses défenseurs ne l’ont-ils pas viré ? « Non. Je n’a pas été viré parce qu’on m’a classé dans la catégorie des originaux, des singuliers qui amusent la galerie, mais qui font venir les gens dans les conférences. »

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