Tourisme — Mahébourg : entre attentes et appréhensions

  • Les résidents souhaitent un développement durable et intégré
  • Interrogations sur le financement du projet de village touristique

Le Budget 2018-19 a annoncé un grand projet de développement visant à faire de Mahébourg un village touristique. Ce projet sera réalisé « en partenariat avec le secteur privé », précise le budget. Vendredi dernier, le ministère du Tourisme a organisé une première réunion consultative en vue de recueillir l’opinion des Mahébourgeois sur la question. Si certains y voient là une opportunité de revaloriser ce village chargé de richesses historiques, d’autres craignent l’envahissement et la détérioration de l’environnement.

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Mahébourg, son front de mer, ses sites historiques, ses régates… Ce village de pêcheurs, qui a abrité le premier port de l’île, fait l’objet d’un projet de développement touristique. Le Premier ministre l’a annoncé lors de la présentation du Budget 2018-19. Ce développement devrait se faire avec la collaboration des Mahébourgeois, a annoncé le ministre du Tourisme, Anil Gayan, lors d’un exercice de consultation vendredi dernier. Étaient également présents à cette rencontre les ministres Roopun et Seeruttun, le Chief Whip Bobby Hurreeram, le président de l’AHRIM, Jean-Michel Pitot, ainsi que les conseillers de Mahébourg.

D’emblée, le ministre des Arts et de la Culture a mis en avant les sites historiques de la région. Du pont Cavendish, centenaire, au Fort Frederik Henrick à Vieux-Grand-Port, en passant par le monument aux Esclaves de Pointe-Canon, la région est riche en histoire. « Il y a dans les environs de Mahébourg huit sites répertoriés au patrimoine national, de même qu’une douzaine de sites potentiels. Avec la Vallée de Ferney, Pointe-d’Esny, Blue-Bay et les îlots environnants, Mahébourg est une référence, un endroit touristique incontournable. Il y a tant de sites à restaurer pour les sauver du délabrement et du vol. » Pradeep Roopun a également annoncé la rénovation de l’amphithéâtre de Pointe-Canon, qui a déjà démarré. Et de préciser : « La révolution de l’industrie créative va se passer ici. » Il a cité en exemple le tournage de films.

Les ministres Mahen Seeruttun et Gayan ont eux aussi mis l’accent sur les attraits touristiques de la région, précisant qu’il s’agit là d’un nouveau produit touristique, basé sur l’histoire, que le pays veut offrir. Anil Gayan a émis le souhait que les touristes sortent des hôtels pour découvrir cette région, ses coutumes, sa population et sa gastronomie. Il a émis l’idée de spectacles sur la mer et la mise sur pied de tables d’hôtes. « Mais ce développement se fera avec les Mahébourgeois. C’est pour cela que nous sommes là aujourd’hui. »

Du côté des villageois, les sentiments sont partagés. Il y a ceux qui sont convaincus et ceux qui sont sceptiques. Marco Alphonse, figure connue du monde sportif et social, attendait ce moment avec impatience. « J’ai eu un choc quand j’ai entendu la nouvelle lors de la présentation du budget. Cela fait tellement longtemps que nous l’attendions. » Il estime que c’est une occasion à saisir pour les entrepreneurs de la région. Lui-même prévoit de lancer un coin nautique sur le front de mer. Il souhaite que ce développement vienne booster ses activités.

D’autres ont émis des propositions, à l’instar de Kamlesh Soomaroo, président du Rotary Club de Mahébourg, qui est d’avis qu’un restaurant peut être aménagé sous le pont de Ville-Noire et des activités de kayaking organisées dans la rivière. Un autre intervenant a suggéré qu’une carte de Mahébourg soit mise à la disponibilité des voyageurs car la région est surtout fréquentée par des touristes sac à dos.

Mais les Mahébourgeois ont aussi de nombreuses interrogations. Un jeune du village se demande ainsi si le modèle de développement proposé est durable. « Est-ce que Mahébourg a la capacité d’accueillir toutes ces personnes ? Qui vont opérer les lieux d’hébergement ? Des Mahébourgeois ou des étrangers ? Quel respect pour l’environnement et la culture ? Est-ce que les Mahébourgeois seront remplacés par des étrangers ? » Des questions auxquelles Anil Gayan s’est contenté de répondre que le Budget 2018-19 fait provision de Rs 2 Mds pour le développement durable et qu’il n’était pas question de nuire à l’environnement.

Un restaurateur est revenu à la charge, se demandant comment les opérateurs de la région profiteront des arrivées touristiques quand les hôtels proposent du « all-inclusive » ? Une fois de plus, Anil Gayan a coupé court à ce débat. Tout comme celui de ce skipper, visiblement irrité, qui s’inquiétait de la réduction du nombre de passagers à bord d’un bateau. Il s’est demandé pourquoi on ne réduisait pas le nombre de passagers dans un autobus ou un van quand il y a un accident.
Mamade Bundhoo, de la Central Water Authority, a invité à s’intéresser de la capacité à desservir la région en eau. « Tout projet demande une bonne planification. Dans la région, il n’y a que le réservoir de Mon Désert et les tuyaux sont toujours bouchés. Il faut changer les tuyaux et augmenter la capacité. » Anil Gayan a répondu que la question sera abordée « en temps et lieu ».

Martine, habitante de Mahébourg et travaillant pour le compte de la Mauritian Wildlife Foundation, a, elle, plaidé pour que les constructions se fassent en harmonie avec les infrastructures du village, qui a conservé notamment ses cases créoles. Elle met également en exergue la nécessité de protéger les îlots autour, qui abritent des espèces protégées. Kevin, un autre jeune, émet pour sa part des doutes sur l’aspect durable de ce projet. Il souligne que le pays compte un National Tourism Development Plan datant de 2003 et qui fait provision notamment de développements touristiques intégrés et écologiques. « Mais vous n’avez rien fait dans ce sens à ce jour. »

George Ah-Yan, figure incontournable du village, a préféré, lui, ne pas prendre la parole au cours de la consultation. Sollicité par Le Mauricien, il dira toutefois saluer cette initiative car Mahébourg est un village historique depuis trop longtemps laissé à l’abandon. Il dit tout de même ses réserves : « Il faut considérer le patrimoine avant la construction des hôtels. De même, les entrepreneurs et les artistes du village doivent profiter de ce développement et non pas qu’on vienne nous imposer des projets venus d’ailleurs. Et comme l’ont dit d’autres, tout doit se faire en respectant les paramètres du développement durable. »
La réunion consultative s’est terminée avec la projection d’une vidéo « futuriste » montrant ce que pourrait être Mahébourg à l’avenir. Le seul hic, c’est que pour cela, le ministère du Tourisme avait opté pour des images de Singapour, montrant les Gardens by the Bay, le Merlion, le Singapore Flyer et la Marina Bay, entre autres…

Quels financements?

La question a été posée par le député de la circonscription, Ritesh Ramful, à l’Assemblée nationale. Il est revenu à la charge lors de la réunion consultative. « Je constate que le budget parle d’un projet de développement touristique à Mahébourg, mais ne prévoit rien en termes de financement. Quel sera le montant de ce projet et qui le financera ?», a demandé le député rouge.

Le ministre Gayan a répondu tout simplement qu’il « s’agit d’un partenariat public-privé et que cela prendra du temps avant de finaliser la somme nécessaire. »

Ce « partenariat avec le privé » soulève également un certain nombre de questions pour d’autres résidents. Un jeune homme n’a pas manqué d’ailleurs, d’exprimer, son « inquiétude » sur la présence du président de l’AHRIM, Jean-Michel Pitot, à la réunion car, selon lui, il représente « les intérêts des capitalistes. »

D’autres encore font remarquer que des développements fonciers importants ont lieu dans la région, notamment le village intégré de la Compagnie de Beau-Vallon Ltée à Pointe d’Esny ou encore, la Smart City d’Omnicane, à quelques kilomètres. « Mahébourg doit-il tout simplement être rehaussé pour accueillir les personnes qui vivront dans ces “gated communities” ?», se demandent-ils.

L’exemple de Chamarel

Le village de Chamarel est un des premiers lieux où le développement touristique intégré a été lancé au début des années 2000, sous le gouvernement MMM-MSM. Plus de 15 ans après, si le village est sorti de son isolement, avec des développements touristiques divers, attirant de nombreux visiteurs, la part réservée aux résidents de Chamarel reste minime. À part quelques tables d’hôte qui ont pu se démarquer, comme Le Barbizon de Rico L’Intelligent ou Chez Pierre Paul, le gros du développement reste entre les mains du secteur privé. Quant aux rastas, figures emblématiques de Chamarel, ils ont tout simplement été sommés de vider les lieux pour faire de la place à une aire de stationnement.

Dans un récent reportage du Mauricien, Rico L’Intelligent se plaignait d’ailleurs que le projet initial de développement intégré ait été dévié. « Au départ, il était question d’ouvrir des tables d’hôte, avec les gens du village. Mais par la suite, des gens sont venus d’ailleurs ouvrir des restaurants. Ce développement était pour les gens de Chamarel. Comment pouvons-nous faire face à ces personnes qui viennent d’ailleurs avec leur argent ? », déplorait-il.

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