TRAFIC DE DROGUE ET BLANCHIMENT : L’intrigue de l’axe Kistnah/Azaree

Le rapatriement de Navind Kistnah, aussi connu sous le nom de Kushal Ramchurn, alias Kun, 34 ans, directeur de Kun Management INT Co Ltd a débouché sur d’autres arrestations, que ce soit de la part de l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) ou de l’Independent Commission Against Corruption. Du côté des Casernes centrales, les limiers sous les ordres du Deputy Commissioner of Police Choolun Bhojoo sont suspendus aux révélations initiales du suspect avec interpellation après vérifications préliminaires des allégations. Au QG de l’ICAC, au Réduit Triangle, les hommes du directeur général Navin Beekarry misent sur le contenu d’un document accablant, présenté comme un « Karné Labutik », avec plus d’une soixantaine de noms, dont des hommes de loi, pour orchestrer une vaste opération de Money Trail, avec les premières inculpations provisoires en fin de semaine, dont le gérant de Gloria Fast Food, Shahedzada Azaree, aussi connu sous le nom de « Dade », âgé de 44 ans, habitant Terre-Rouge. A ce stade, les prête-noms en liberté d’une série de trafiquants de drogue, dont le notoire Peroumal Veeren, la bande à Chowrimootoo et les dénommés Nerf et Very Good, sans oublier le gang du Nord avec Toto Bhadoodeenkhan, actuellement en fuite, sont placés sous haute surveillance. En marge des développements à venir, l’ADSU et l’ICAC maintiennent la pression en vue d’élucider l’intrigue de l’axe Kistnah/Azaree, deux partenaires qui sont devenus inséparables et pas seulement sur l’hippodrome du Mauritius Turf Club.
Dans l’entourage des Kistnah à Petite-Rivière, l’on ne cache pas l’extrême proximité de ces deux protagonistes, propulsés au-devant de la scène suite à la série de saisies record d’héroïne, soit 135 kilos le 9 mars, 20,3 kilos du 24 mars et deux kilos du 25 mars, d’une valeur marchande de Rs 2,5 milliards. Ainsi, le Customs Broker et directeur de Kun Management INT Co Ltd, société incorporée le 5 février 2016 et se spécialisant dans l’import-export de même que la Non-Specialised Wholesale Trace (Supplier/Distributor of General Merchandise, Seafood, etc) est présenté comme étant très réservé en terme de fréquentations et d’amis.
Toutefois, depuis ces neuf derniers mois, Shahedzada Azaree s’est transformé, pour des raisons à être établies, comme un ami inséparable de Navind Kistnah. Et pas seulement au Champ-de-Mars pour les journées de courses du Mauritius Turf Club. Le Customs Clerk, connu aussi sous le nom de Kushal Ramchrun, était un intime de la famille, au point où il était considéré comme « ene zanfan lakaz » par les Azaree en raison de sa gentillesse et son côté réservé. Officiellement, Shahedzada Azaree et Navin Kistnah ont fait connaissance autour d’une table de jeu d’un casino du pays.
Les circonstances et les raisons de ce contact initial ne sont pas connues, sauf que l’un des proches de Navind Kistnah affirme que « Gloria tou so fami kontan Kun, li trankil ek gentil. Se pou sa rézon-là, ki nimport ki plas zotte allé, zotte ti pe amenne li ansam ». Tout comme Dade Azaree, qui a été inculpé provisoirement du délit de Money Laundering par l’ICAC au sujet d’une mise de Rs 225 000 au Casino du Grand Domaine le 31 août 2016. Kun Kistnah fréquente les casinos de manière assidue et ses mises sur les chevaux sont considérées comme étant substantielles. Ces proches ne prennent pas de gants pour concéder ce fait.
La cible privilégiée
« Mo konfirmé ki avek Rs 100 000, li ti déjà gagn Rs 1,2 M lor ene souval lekurs. Mo rappelle bien parksi sa ti dernye zurné en 2015 », ajoute ce même proche qui fait comprendre que Navind Kistnah avait gagné de l’argent lors de la victoire de Jambaman. « Li ti met buku kas lor Rs 600, parski li ti konfyan souval la, Jambaman, ape gagné », dit-il révélant que le Customs Clerk, opérant sous un prête-nom, était également un Punter reconnu et désigné au Champ-de-Mars, jouant d’importantes sommes d’argent, sur des chevaux au nom des propriétaires d’écurie.
A ce stade, il ne fait aucun doute que la connexion Azaree/Kistnah, sous toutes ses coutures, constituera un chapitre majeur dans l’enquête enclenchée avec les saisies d’héroïne à bord du MSC Ivana et du MSC Filomena. Aucune confirmation officielle si, dans des premières confessions sous forme de Statements consignés par des officiers de l’ADSU, et ayant permis au moins trois arrestations en fin de semaine, dont celle d’Imteeaz Baccus, habitant Coromandel, Navind Kistnah aurait fait mention de ses relations avec le propriétaire de Gloria Fast Food.
Par contre, dans les documents d’au moins cinq pages en possession de l’ICAC et contenant une liste de plus d’une soixantaine de noms, figurent des coordonnées de Navin Kistnah en bonne position. Ce même Karné Labutik de l’ICAC reconstitue en majeure partie les différents réseaux de drogue opérant à Maurice et avec les principaux caïds, en l’occurrence Peroumal Veeren, les Chowrimootoo, ou encore Nerf et Very Good, dirigeants les opérations à partir de la prison. Il y a aussi le gang du Nord avec le dénommé Toto Bhadoodeenkhan, actuellement recherché suite à une importante saisie de subutex (Rs 31 millions) à Port-Louis le 24 février et un autre trafiquant présumé. Ce carnet comporte également des contacts à l’étranger, comme à Madagascar, en Afrique du Sud et même dans des pays d’Europe de l’Est sans compter l’Inde, le Sri Lanka et le Pakistan. Les détails au sujet de l’identité des prête-noms de ces parrains sont décryptés par l’ICAC dans le cadre d’une vaste opération de Money Trail pour soutenir des délits de Money Laundering sous la section 3 (1) (b) de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act.
Dans la conjoncture, la cible privilégiée de l’ICAC n’est nulle autre que le prisonnier Peroumal Veeren, purgeant une peine de prison de plus d’une trentaine d’années, mais qui a sous son contrôle une armée de détenus au sein de l’univers carcéral, ou encore des « Operatives » à l’extérieur de la prison. En dépit des contrôles des autorités pénitentiaires, il dispose d’un nombre incalculable de téléphones cellulaires depuis sa cellule d’incarcération. Et ce n’est nullement le fruit d’un hasard que l’ICAC s’est attaquée frontalement à deux premiers éléments du réseau Veeren.
Trou de mémoire
En marge de l’interrogatoire Under Warning échelonné sur trois jours et devant reprendre en début de semaine de Dade Azaree, membre associé au MTC, l’ICAC a procédé à l’arrestation de Marie Christelle Isabelle Bibi, née Labonne, et de sa cousine, Marie Annette Gooljaury. Ces dernières sont considérées comme étant des maillons forts du réseau de Peroumal Veeren. La première nommée, qui se présente comme étant la belle-soeur de Peroumal Veeren, rendait visite au prisonnier chaque quinzaine depuis 2016.
La dénommée Christelle Bibi est la propriétaire d’un magasin à Curepipe, Christelle Boutique, qui n’est ouverte qu’une fois la semaine, soit le lundi. De ce fait, l’ICAC conteste la légitimité du chiffre d’affaires de Rs 1,6 million et soupçonne que les revenus de cette suspecte représenteraient des recettes du trafic de drogue. Elle a tenté de convaincre les limiers de l’ICAC que pour les besoins de son business, elle avait emprunté des fonds de tierces parties. Mais ces dernières devaient nier catégoriquement toute transaction alléguée, confirmant les soupçons de blanchiment de fonds de l’ICAC. Avec son inculpation provisoire, vendredi, devant le tribunal de Curepipe, Christelle Bibi fera l’objet de Attachment Orders sur ses comptes bancaires de même que les propriétés immobilières qui lui sont attribuées en guise de prête-nom pour Peroumal Veeren.
Toutefois, le cas de Marie Annette Gooljaury, âgée de 54 ans, habitant Floréal, présente d’autres caractéristiques accablantes de Unexplained Wealth. En principe, elle est gérante d’un snack à Mahébourg. Une somme de Rs 63 750 avait été saisie lors d’une perquisition des lieux dans la matinée de jeudi. Puis l’habitante de Floréal a voulu jouer à la plus futée quand il fallait exécuter une descente des lieux en sa résidence.
De 14h à 23h, ce jeudi, Marie Anette Gooljaury a eu recours à des subterfuges, en faisant croire qu’elle avait eu un trou de mémoire pour identifier sa maison à Floréal ou qu’elle n’avait pas ses clés. Ensuite, ce sera la thèse des problèmes de santé, au point de se faire admettre à la Cardiac Unit du Princess Margaret Orthopaedic Centre. Le but ultime de ces manoeuvres est de garder l’ICAC à distance le temps de se débarrasser d’éléments compromettants, qui avaient été dissimulés dans un faux système d’égout.
Néanmoins, l’inventaire des articles lors de la descente des lieux, qui a duré jusqu’à 4h vendredi matin, comprend des bijoux évalués à quelque Rs 800 000, dont 16 bracelets en or, une pièce en or valant environ Rs 90 000, trois laptops, dont les secrets des disques durs pourraient réorienter davantage l’enquête, 13 téléphones cellulaires et d’innombrables Sim Cards, un bordereau d’une valeur de Rs 3,5 millions pour un appartement à Flic-en-Flac, aussi bien que des grosses cylindrées, soit des SUV. Le luxe de l’intérieur de la résidence de Annette Gooljaury a étonné plus d’un membre de l’ICAC.
Le Pattern de Money Laundering, dévoilé dans le Karné Labutik, devra être exploité par l’ICAC pour tenter d’acculer la mafia de la drogue dans ses derniers retranchements. Dans un premier temps, l’offensive sera axée contre des Bookmakers aussi bien des Tellers et employés de casinos et de maisons de jeu, complices avec de « faux reçus de gains » au jeu pour blanchir sur une grande échelle les recettes de la drogue.
Des investissements dans l’immobilier de luxe, notamment dans des zones côtières, des placements dans l’offshore, l’acquisition de Speedboats et de bateaux de plaisance et la location de grosses cylindrées, que ce soit voitures ou motocyclettes, sont privilégiés pour assurer le processus de Money Laundering. Pour ce qui est du système de location-bail des voitures, les gérants de ces sociétés devront également être entendus pour la confirmation de l’identité des clients.
L’aspect le plus délicat de l’opération Karne Labutik concerne la présence des noms d’une quinzaine d’avocats dans cette liste. Les noms ne constituent en aucune manière une surprise, car ils ont sensiblement les mêmes que ceux qui sont devant la Commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ancien juge de la Cour suprême, Paul Lam Shang Leen, depuis la fin de l’année dernière. L’ICAC pourrait envisager de prendre un Back Seat à ce chapitre, accordant un droit de passage prioritaire à la Commission Lang Shang Leen pour l’audition de ces membres du barreau au sujet de leur connexion avec ces barons de la drogue.
Avec le suspense de ces convocations entretenu depuis le début de cette année, tout semble indiquer que cette étape devra être franchie après l’audition d’une série de Prison Officers, qui a été entamée depuis la semaine écoulée.

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