« TRANSCULTURAL PHILOSOPHER » – Déconfiner les esprits avec Paulin Hountondji…

DR JIMMY HARMON

J’ai grand plaisir de faire le portrait ici d’un des grands penseurs contemporains africains. Paulin Hountondji est qualifié de « global thinker » ou de  « transcultural philosopher ». Son parcours est atypique : universitaire, un temps ministre et retour depuis à l’académie.

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Les influences

Paulin Hountondji est né en 1942 à Treichville en Côte d’Ivoire. Son père était pasteur à l’Église méthodiste. Il dit que c’est la prière quotidienne à la maison qui va l’attirer plus tard vers la philosophie.  Sa famille regagna le Dahomey (aujourd’hui le Bénin) alors qu’il avait à peine quatre ans. Rallié à la France libre durant la Seconde Guerre mondiale, le Bénin devint en 1958 un État autonome au sein de la Communauté française. Le pays accéda à l’indépendance le 1er août 1960 et entra, le mois suivant, aux Nations unies, sous le nom de République du Dahomey. Durant la même année, Hountondji compléta ses études en classe terminale au lycée de Porto-Novo. Par la suite il se rendit en France pour entreprendre des études universitaires préparatoires au lycée Henri IV à Paris. Puis il décida d’étudier la philosophie dans la prestigieuse École Normale Supérieure. Il eut le bonheur d’avoir comme professeurs Paul Ricoeur (1913-2005), Jacques Derrida (1930-2004), Georges Canguilhem (1904-1995) et Louis Althusser (1918-1990). Hountondji est exposé aux différents courants intellectuels de l’époque débouchant sur des mouvements de contestation de l’ordre établi : ce fut la relecture de Karl Marx, la naissance du post-structuralisme, la déconstruction aussi bien la phénoménologie que l’épistémologie. Derrida et Ricoeur l’introduisirent aux travaux d’Edmund Husserl, fondateur de la phénoménologie, qui défendit une conception de la philosophie comme science, une discipline marquée par la rigidité, la clarté et la logique. Ce fut Althusser qui eut la plus grande influence sur lui. Il inspira Hountondji à développer un marxisme non-dogmatique et l’initia aux idées des penseurs contemporains comme Jacques Lacan, Claude Lévi-Strauss et Michel Foucault. Finalement, Hountondji décida d’écrire sa thèse de doctorat sur Husserl, se focalisant sur l’épistémologie, et il choisit Paul Ricoeur comme son directeur de thèse qu’il termina brillamment en 1970. Il devint prof d’université en France et aux États-Unis. Dans les années 90, le processus démocratique dans son pays, devenu entre-temps la nouvelle République du Bénin, le poussa à s’engager en politique. Il devint ministre de l’Éducation (1990-1991) et aussi ministre de la Culture et de la Communication (1991-1993). En 1994, il se retira de la politique active et retourne à sa carrière universitaire. Il obtint un doctorat d’État (habilitation) de l’Université Cheik Anta Diop de Dakar pour ses travaux en philosophie et anthropologie africaines.

Un penseur qui se démarque

En 1967, il publie « Charabia et mauvaise conscience: psychologie du langage chez les intellectuels colonisés » dans Présence Africaine. En 1996, il s’en prend à ce qu’on appelle couramment « philosophie africaine » dans African Philosophy: Myth and Reality. Il qualifie cela « d’ethno-philosophie », rien à voir avec la « philosophie scientifique ou professionnelle » qui exige l’esprit critique de la part de l’individu. Il trouve que des penseurs africains confondent philosmuthos (l’amour des mythes) et philosophos (l’amour des sciences). Et là il se dissocie de la négritude de Senghor qu’il considère comme la pensée de la bourgeoisie africaine qui s’est désavouée en tant que classe politique dirigeante. En 2017, il défend une philosophie universelle dans « Construire l’universel, un défi transculture », publié dans African review of Social Science Methodology. Il plaide cependant pour un savoir « endogène », c’est-à-dire l’appropriation réflexive des savoirs marginalisés et exclus sur des questions humaines et planétaires. À propos de son retrait de la politique, il a ceci à dire: « Les convictions ne font pas un homme politique, hélas ! Elles restent nécessaires pour définir une vision, fonder un projet de société. Mais une fois ce projet esquissé, il faut en discuter, il faut le partager, descendre sur le terrain rugueux et semé d’embûches, ruser avec l’imprévu, avoir le coup de pied tranchant, le coup de coude efficace et surtout, et d’abord, savoir dissimuler…. Le philosophe, pour cette raison, sera toujours insupportable ». (La Pensée Noire, Hors-Série Le Point, avril-mai 2009). Bien dit, n’est-ce pas ?

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