Travailleurs bangladais à Maurice : Un contrat de “sacrifices”

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Trois de leurs compatriotes bangladais ont fait parler d’eux après avoir échappé à la surveillance policière, alors qu’ils étaient en attente d’être déportés. Un acte qui n’étonne guère celui que nous appellerons Rashid, que nous avons rencontré la semaine dernière dans un dortoir à Coromandel. En dépit de leurs conditions de vie laissant à désirer, ils sont nombreux à prolonger leur contrat de travail. D’autres prennent le risque de vivre dans la clandestinité et de travailler au noir afin de pourvoir aux besoins de leurs proches, qui dépendent de leurs salaires.

Maurice est loin d’être cet eldorado que les agents leur ont vendu. Les rêves de sortir de la pauvreté en travaillant dans les usines textiles ont subi un sacré revers. Mais ces travailleurs étrangers préfèrent “subir”. Car derrière ses longs mois, voire années de “sacrifices” se trouvent leurs familles, qui attendent et dépendent de leurs salaires pour se nourrir, se loger, s’éduquer et payer leurs dettes.

“Encore un an et quatre mois à tirer !”

20h30. Ce mardi soir à Coromandel, Rashid et sa soixantaine de colocataires se relayent dans la cuisine pour se servir à dîner. Nous avons droit à une rapide poignée de main et un sourire en guise de bienvenue. Notre présence ne les interrompt pas dans leurs tâches. Même si le lendemain est férié, ces travailleurs étrangers ne s’accordent aucun moment de répit. Comme chaque soir, ils s’activent à tout faire afin d’aller vite se coucher et être sur pied très tôt le matin.Après être rassuré que son témoignage ne risque pas de l’attirer les foudres de ses employeurs ou des autorités, le jeune homme de 29 ans, originaire de Noakhali au Bangladesh, nous invite dans l’espace qu’il partage avec cinq autres compagnons de chambrée. Avant même de nous raconter son histoire, il s’empresse de sortir une sacoche où se trouvent son passeport, ses fiches de paie et autres papiers accumulés au cours des cinq ans et huit mois passés à Maurice. Il est venu chez nous de son propre gré, mais il nous lâche amèrement, un peu comme un prisonnier : “Il me reste encore un an et quatre mois à tirer !”. Avant de pouvoir retrouver son père, sa mère, sa sœur et ses quatre frères.

“Ce n’est pas ce qu’on nous avait promis”.

C’est en février 2013 que Rashid a quitté son village pour monter à bord d’un avion à destination de Maurice. Avant lui, un membre de sa famille avait tenté la même aventure. “On avait entendu dire qu’il avait réussi à s’installer ici et qu’il gagnait très bien sa vie.” Sans aucune preuve de “cette réussite financière”, Rashid entreprend des démarches auprès d’un agent pour décrocher un permis de travail et un emploi. “Ce travail dans une grande usine de fabrication de prêt-à-porter à Maurice était le seul moyen de sortir de la pauvreté rurale.” Il s’est endetté pour un montant d’environ Rs 200,000.

Depuis son arrivée, le jeune homme travaille de 7h30 à 17h30 du lundi au vendredi, et jusqu’à 13h30 les samedis, excluant les heures supplémentaires. Il n’est toujours pas en mesure de dire qu’il gagne bien sa vie ici à Maurice. “Ce n’est certes pas comparable avec ce qu’un travailleur d’usine touche au Bangladesh, mais ce n’est pas ce qu’on nous avait promis. En sus de la séparation avec la famille, nous devons accepter certaines choses. Même si ma vie ici est très dure, j’essaie de me réconforter et de m’encourager à ne pas baisser les bras, en me disant que ce n’est pas insurmontable et que j’aurais pu être sans emploi au Bangladesh.”

“Nous ne sommes que des machines”.

Après quelques minutes d’hésitation, il finit par ajouter, dans un créole approximatif, sous les regards et les approbations de plusieurs de ses colocataires : “Nou finn inpe tro bet ek zot pe bien gagne lor nou latet. Pour les autorités et les patrons, nous ne sommes que des machines.” Tout en sachant pertinemment que “nous sommes exploités et qu’on ne fera jamais fortune”, ces travailleurs bangladais préfèrent rester, et aussi longtemps que possible, “malgré toutes les misères et injustices à notre égard”.

Actuellement, le salaire de Rashid dépasse à peine Rs 6,000. Chaque trois à quatre mois, il parvient à envoyer entre Rs 25,000 à Rs 30,000 à sa famille. Avant d’arriver à ce montant, le Bangladais ne doit surtout pas s’absenter, car “cela est déduit de notre salaire à la fin du mois, même si nous produisons un certificat médical”. Au fil des années, le jeune homme a appris à se priver et à réduire ses moindres dépenses. Avec Rs 1,000 de food allowance mensuellement, aucune folie ne lui est permise. “Une à deux sorties à la plage par an. Je ne me rends jamais dans les centres commerciaux, même si c’est très attirant.

Comme nous le répètent nos employeurs, nous sommes ici pour travailler. Point barre.” Malgré de longues journées derrière les machines à coudre, il ne refuse jamais de faire des heures supplémentaires. Comme la plupart de ses compatriotes, il parvient à décrocher des petits boulots, pour “Rs 200 à Rs 500”, comme homme à tout faire, jardinier, peintre, maçon… dans les parages de son dortoir situé à Coromandel.

“Pena mwa res isi”.

Pour les trois premières années passées à Maurice, les revenus de Rashid ont servi principalement à payer les dettes. Il a prolongé son contrat de deux ans. Ceci a permis à deux des frères du jeune homme de poursuivre leurs études; sa sœur a réuni sa dot de mariage. S’il a encore signé pour vingt-quatre mois, c’est pour “pouvoir me payer mon billet d’avion pour rentrer. Même si la loi stipule que c’est aux employeurs de payer notre ticket aller-retour, ce n’est guère le cas. Le plus important est de pouvoir enfin mettre un peu d’économie de côté pour assurer mon retour au Bangladesh”.

Certains de ses compatriotes ne souhaitent pas regagner leur pays natal, “où les choses ne sont jamais au beau fixe” et choisissent de s’installer ou de vivre dans la clandestinité. Pour sa part, Rashid est catégorique : “Pena mwa res isi. Je suis décidé à repartir pour ne jamais revenir. Pas à cause des Mauriciens, qui m’ont toujours bien accueilli, mais à cause de la manière de faire des patrons et des autorités mauriciennes, qui n’ont aucun respect pour nous. Ils nous menacent de déportation si nous osons faire valoir nos droits en tant que travailleurs. Mais le bouche à oreille et la technologie commencent à changer la donne. Ceux qui souhaitent venir ici sont déjà au courant de la dure réalité et des conditions de vie qui les attendent à Maurice.”


Fayzal Ally Beegun (syndicaliste et président de la Textile Manufacturing & Allied Workers Union) : “Une mafia d’agents recruteurs”

Quelle est la situation des travailleurs bangladais à Maurice ?

La situation ne s’améliore guère. Les agents recruteurs continuent à leur vendre le rêve qu’ils toucheront entre Rs 15,000 à Rs 20,000 (zone franche) ou Rs 25,000 à Rs 40,000 (construction), alors que le salaire ne dépasse pas Rs 8,500. Je ne cesserai jamais de dénoncer la mafia d’agents recruteurs qui opèrent frauduleusement sans que les autorités ne prennent des actions. Du côté des dortoirs, les conditions de vie laissent à désirer. Rares sont les employeurs qui proposent un lieu de vie convenable.
La seule petite chose positive est que certaines compagnies acceptent la présence du syndicat des travailleurs et que le National Pension Fund leur est dorénavant remboursé avec intérêt lorsque ces travailleurs repartent dans leur pays.

Les droits des travailleurs étrangers sont-ils respectés ?

En 25 ans de combat à militer et à défendre les travailleurs étrangers, je peux dire que ce n’est malheureusement pas le cas à 100%. Je vous donne un exemple : si un employé ose faire entendre sa voix contre les injustices subies ou qu’il se rend à la Special Migrant Unit, il se retrouve souvent en très mauvaise situation, pouvant aller jusqu’à la déportation. Je dénonce aussi le fait que certaines compagnies confisquent toujours les passeports des travailleurs étrangers. D’autres se permettent même de ne pas payer les salaires pendant trois à quatre mois.

Que faut-il faire selon vous ?

La seule chose à faire est d’amender la loi afin que les droits des travailleurs étrangers soient respectés.