VarmaGate : En 2013, un ministre démissionne

Le 18 juin, Yatin Varma soumet sa démission en tant que ministre de la Justice. En pleine tourmente dans la VarmaGate, l’Attorney General n’avait plus le choix. Confronté à une opinion publique hostile, lâché par le gouvernement, Yatin Varma a été contraint de quitter son fauteuil. Sixième ministre à démissionner depuis 1979. Pourtant, l’homme était promis à un brillant avenir politique.
Coup d’arrêt brusque avec des allégations de coups et blessures portées contre lui par Florent Jeannot suite à un banal accident de la route à Sodnac le samedi 4 mai dernier. Rebondissements et allégations marqueront le premier volet de la VarmaGate. Initialement, l’Attorney General nie les faits, puis s’est embourbé jusqu’à perdre tout crédit alors qu’une simple reconnaissance des faits lui auraient sans doute valu une issue moins dramatique.
Les rebondissements successifs dans la VarmaGate ont quelque peu dévié l’attention générale d’un fait essentiel et historique : en 2013, c’est un ministre de la République de Maurice qui a soumis sa démission. Un événement rarissime dans le paysage politique de Maurice. La dernière fois, c’était il y a 13 ans, à quelques mois des élections générales de 2000. Certes, il y a eu des démissions de ministres suite à des ruptures d’alliance politique. Suspectés dans des affaires de corruption par l’Economic Crime Office d’Indira Manrakhan, les ministres travaillistes Deerpalsingh et Bundhun avaient pris la porte de sortie. Après un premier mandat secoué par de gros bouleversements et des scandales, Navin Ramgoolam avait decidé de les écarter pour se prémunir d’une défaite électorale.
En 1994, le ministre Jean-Claude de L’Estrac démissionnait pour relever le défi, lancé au Parlement par Paul Bérenger, d’un duel électoral à Stanley/Rose-Hill, précipitant la chute politique de la maison Jugnauth au pouvoir. Mais les observateurs se souviennent surtout de 1979 quand Giandeo Badry, ministre des Coopératives, et Lutchmeeparsad Badry, ministre de la Sécurité sociale, soumettaient leurs démissions à la demande du gouvernement de sir Seewoosagur Ramgoolam après la publication du rapport Glover sur les allégations de corruptions formulées contre les deux ministres.
De poulain à paria
 Les circonstances de la démission du ministre Yatin Varma retiennent l’attention. Jusqu’au 4 mai, d’aucuns prédisaient un brillant avenir politique au jeune avocat de Quatre-Bornes dont la famille a toujours été proche des travaillistes. S’il n’avait pas eu de ticket lors des élections de 2010 — après avoir été le colistier de Vasant Bunwaree en 2005 — il bénéficiait du plein soutien de Navin Ramgoolam qui en avait fait son campaign manager lors des dernières élections générales.
Une confiance pleinement réitérée par sa nomination au poste d’Attorney General après ces mêmes élections. Ce qui pouvait alors faire oublier ses relations tendues avec Bunwaree dont il avait réclamé la démission ou encore cette délicate affaire de lettres aux corps para-publics, proposant ses services en tant que conseil légal alors qu’il assumait la présidencve du comité parlementaire de l’ICAC.
“The law is above you”
“Ever so high you may be, the law is above you”, dit un NavinRamgoolam furieux à l’égard de ceux qui se croient au-dessus de la loi au Parlement au lendemain de la démission de Yatin Varma. Le Premier ministre confirme qu’il a demandé à son ministre de soumettre sa lettre. Le scandale touchant le ministre de la Justice avait pris des proportions trop grandes et susceptibles d’éclabousser l’image du gouvernement. La chute a été brutale pour Yatin Varma qui, au lendemain de la soumission de sa lettre, entrait d’urgence en clinique. Il avoua par la suite une tentative de suicide.
La déchéance a été fulgurante, mais depuis ce fameux samedi 4 mai, Yatin Varma a été aspiré dans une spirale de laquelle il n’a jamais su s’extirper. Là où d’autres auraient opté pour un constat à l’amiable, l’affaire est portée à la police à travers une déposition de Florent Jeannot alléguant avoir été agressé, insulté et menacé par le ministre.
Le visage tuméfié par les coups, le jeune homme devra recevoir des soins à l’hôpital. Il en sera de même pour Yatin Varma qui s’en sort avec un plâtre. Il attribue au choc de l’accident la fracture du Neck of Metacarpal décelée dans sa main droite. Des témoins affirment que cette blessure est la conséquence du passage à tabac du jeune conducteur-étudiant.
Ingérences, menaces et négociations
Tel un poing assené avec rage, le coup est déjà parti. Si Varma tente de se défendre, l’opinion se fait vite une idée puisque Jeannot, en sus des blessures, a aussi un témoin. Dans les colonnes du Mauricien, d’autres personnes affirment avoir assisté à la même scène précisant ne pas vouloir aller de l’avant par crainte de représailles. Elles ne se manifesteront à la police que quand le Premier ministre affirmera que nul tort ne sera causé aux témoins. Quelques jours auparavant, les parents de Florent Jeannot avaient demandé au Premier ministre de veiller à ce qu’il n’y ait aucune ingérence dans cette affaire.
Face à ces rebondissements dans un premier temps, peu sont-ils à prendre en considération les affirmations de Mario Jeannot, père de Florent, selon lesquelles il y aurait des tentatives de négociations et des pressions pour que son fils abandonne sa plainte. L’un des témoins parle aussi de menaces et de tentative d’agression. Après avoir attendu deux semaines pour donner sa déposition, Varma joue la carte de la discrétion tout en restant à son poste, tandis que des voix réclament son départ.
Le 17 juin, Le Mauricien révèle avec détails les conditions dans lesquelles les négociations ont eu lieu entre le camp Varma et la famille Jeannot. Maurice Allet et Reza Issack ont aussi pris part aux discussions. Ce dernier était présent à Flic-en-Flac chez les Jeannot les deux fois où Yatin Varma s’y est rendu pour des pourparlers lors desquelles des sommes allant jusqu’à Rs 1. 5 M ont été évoquées. Le bailleur de fonds du ministre serait un certain Raj auprès de qui l’argent pourrait être récupéré en Afrique du Sud.
Un silence de Rs 1. 5 M
Reza Issack joue aux pompiers en confirmant les contacts tout en niant la proposition d’argent. L’existence de bandes sonores avec des enregistrements de ces contacts de même qu’une bouteille de champagne et un livre sur le pardon offerts par le ministre à la mère de l’étudiant remettent en perspective ces tractations.
“Pou fane lifinn fane”, laisse comprendre Maurice Allet lors d’une des rencontres avec le père de Florent. Et tout comme Reza Issack, il explique être intervenu en faveur du ministre sur une base humanitaire. Un argument qui ne leur offrira aucune protection face à la colère de Navin Ramgoolam, puisqu’il sera lui aussi contraint à la démission. La seule autre personnalité citée dans cette affaire, le conseiller auprès du Premier ministre, Subash Gobin, n’a lui pas été inquiété par les enquêteurs de la police pour sa version des faits.
L’enquête policière dans cette affaire suit son cours avec le dossier présenté comme étant un des premiers High Profile Cases à être transmis à l’Office of the Director of Public Prosecutions à la rentrée 2014 en vue de décider de la marche à suivre par rapport aux inculpations provisoires distribuées à gauche et à droite avec des témoins transformés en suspects…

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