VENDEURS DE GRILLADE A L’ÎLE-AUX-CERFS : La délocalisation, entre consensus et appréhensions

L’île-aux-Cerfs est une fois de plus au coeur de l’actualité. Entre concurrence déloyale, non-respect des normes d’hygiène et absence d’infrastructures, les sujets de discorde ne manquent pas concernant l’activité de vente de grillade. Au terme d’une rencontre, jeudi, entre le ministre du Tourisme, Anil Gayan, la Tourism Authority, la direction de Sun Resorts et les opérateurs de BBQ à l’île-aux-Cerfs, un consensus semble avoir été trouvé, pour le moment mais l’appréhension est encore bien présente chez les opérateurs..
« Ce n’est pas un problème nouveau. Il faut qu’il y ait un tourisme durable et pour ce faire, il nous faut le consensus de tous », a avancé le ministre de tutelle, jeudi. En effet, ce n’est pas la première fois qu’Anil Gayan s’attaque à ce dossier pour le moins brûlant.  « J’étais venu en 2005 pour les mêmes raisons, mais je suis là aujourd’hui pour trouver une solution », a-t-il martelé.  « Nous devons trouver une solution dans l’intérêt des opérateurs avant tout. Il faut démarquer une zone pour cette activité qui ne doit pas cesser. »
Malgré une forte présence policière, pour éviter toute altercation, les choses se sont déroulées dans le calme.  «Nou’nn fatige, nou anvi trouv enn solisyon », affirme un des opérateurs présents. Ces derniers ont en effet discuté des projets de délocalisation vers l’îlot Mangénie, l’île-Trou-Viré ou l’îlot Couba.
Une rencontre qui s’est soldée par l’inscription des opérateurs présents sur la liste officielle des vendeurs de grillade qui pourront opérer légalement sur l’emplacement qui sera aménagé par Sun Resorts. Si le lieu n’a pas encore choisi, Marc Amelot, General Manager at Ile aux Cerfs Experience, Sun Resorts Mauritius, avance dans une déclaration à Week-End, que  « ce sera probablement à l’îlot Couba. Cela est logique parce que la plupart des opérateurs historiques y sont installés depuis longtemps. On ne veut pas déranger le cours des choses. Ils seront environ huit opérateurs à pouvoir y travailler, une fois la liste finalisée. »
En effet, le BBQ est une activité florissante qui fait vivre de nombreuses familles des régions avoisinantes depuis bien des années. Une tradition entrepreneuriale qui se transmet de père en fils.  « Nou ti gagn enn ti bato, apre nou’nn komans fer enn ti griyad lor lil pou bann touris. De bouche à oreille, bann klian finn komans vini », nous explique un opérateur  “historique” qui opère sur l’île depuis plus de 20 ans.
Toutefois, depuis plus de 10 ans, la petite poignée d’opérateurs de barbecue sur l’île-aux-Cerfs et ses îles avoisinantes s’est engagée dans un véritable bras de fer, avec, d’un côté, les autorités et de l’autre, la direction de Sun Resorts. Pourquoi ? Absence d’infrastructures stables, le non-respect des normes d’hygiène, le manque de point d’eau et surtout la compétition déloyale entre nouveaux et anciens opérateurs.
Une Task Force instaurée en 2001
Pour cause, ces dernières années, le nombre de vendeurs de grillades a augmenté, au détriment des clients qui se voient proposer des BBQ pour Rs 300 seulement.  « Une dizaine d’années de cela, je proposais un plat  BBQ pour Rs 1 500. Cela est inadmissible de baisser ainsi le prix. Que proposons-nous aux clients ? Est-ce que ce sont des produits frais ? Cela est très dangereux, il ne faut pas jouer avec la santé des clients », affirme une source très proche du dossier.
Le ministère du Tourisme a toujours misé gros sur l’île-aux-Cerfs, placée 6e destination la plus visitée par les touristes venant à Maurice, qui s’est malgré elle attiré les foudres de tous. Fort des commentaires négatifs sur le site de voyage TripAdvisor quant aux conditions déplorables dans lesquelles opèrent les travailleurs — souvent au noir —, le groupe Sun Resorts a décidé d’aller de l’avant avec ce projet de délocalisation, évoquée pour la première fois en 2001 par le ministre Nando Bodha. Une Task Force avait alors été mise sur pied sous la présidence d’Ananda Rajoo, avec pour but de fermer l’île pendant 48 heures (les 5 et 6 février 2001) pour une opération de nettoyage et de dératisation. Durant cette même année, un véritable tollé avait été soulevé, avec notamment l’évacuation des vendeurs de grillade désemparés.
Mais ce n’était que le début d’un long périple pour la réglementation et la délocalisation de ces opérateurs. En 2011, le ministre Nando Bodha répondait ainsi à une question du député mauve Rajesh Bhagwan. « Sun Resorts Hotel has agreed to put at our disposal Ile-Trou-Viré for that purpose. We propose to transform it into a Five-Star-BBQ Venue. In addition to the provision of basic facilities, it is even proposed to put up beautifully designed kiosks which can accommodate 250 guests. »
Cependant, les bisbilles entre deux groupes d’opérateurs fera capoter l’opération, d’autant que les enjeux environnementaux représentaient un énorme risque à la tranquillité de la faune et de la flore de l’île-Trou-Viré. Deux années plus tard, la question de la privatisation des plages de l’île était cette fois-ci remise en question. Une rixe violente entre plaisanciers et agents de sécurité devait à l’époque éclater, éveillant d’anciens souvenirs de lutte autour d’une Barbecue Island maintes fois évoquée.
Début de travaux en 2018 ?
Cependant, cette année, la volonté du gouvernement et l’apparente cohésion entre opérateurs devraient aboutir  «d’ici octobre à la concrétisation du projet, avec le souhait de commencer les travaux l’an prochain », confie Marc Amelot. En effet, ce dernier se dit confiant et content de la fermeté du ministre Gayan lors de la rencontre de jeudi.  « Il a eu raison de dire qu’un choix devra se faire et que certains seront obligés de se trouver un autre emploi, puisqu’ils opèrent illégalement », dit-il.
Essuyant de pertes de plus de Rs 500 millions sur ces 10 dernières années, le groupe Sun Resorts, qui est légalement le propriétaire de l’île — par le biais du bail commercial et d’un droit à la propriété —, se dit prêt à aider les opérateurs historiques qui y gagnent leur vie en leur offrant un cadre propre et légal. Satisfait de cette première étape vers la résolution du problème, il espère que  « les choses vont aller vite ». 
« La liste est actuellement en construction et est en train d’être finalisée. Le problème c’est, d’un côté, les opérateurs historiques qui sont légitimés par leur ancienneté et qui doivent être valorisés, et, de l’autre, des opportunistes qui viennent d’arriver. Cela n’est pas correct. Le travail important est le processus d’identifier et d’enregistrer les opérateurs historiques. C’est désormais au gouvernement de déterminer cela. Nous, chez Sun Resorts, nous ne sommes pas juges », dit-il.
Cette première étape complétée, le groupe Sun procédera ensuite à la seconde étape qui est l’installation de structures sur l’île pour légitimer ce travail avec des toilettes convenables, entre autres.  « Il faut, comme l’a dit le ministre, donner une meilleure reconnaissance à l’île-aux-Cerfs. Moi qui suis là depuis 2013, on a des retours très négatifs des touristes. D’ailleurs, même les opérateurs ne veulent plus vendre l’île-aux-Cerfs, qui est le joyau du pays. Il s’agit là d’une responsabilité nationale », soutient Marc Amelot.

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