VERNISSAGE: La maison Ghanty, révolution conceptuelle

Il ne s’agit pas du roman d’Allende « La Maison des Esprits ». Mais la Maison Ghanty, à Cascadelle, sait conserver son âme avec, d’un côté, Firoz Ghanty, qui poursuit sa « Rupture » au mordant beckettien, et de l’autre Ismet Ganti, posant un regard sur la mnésique avec Aizenma Theory. Deux univers, deux expositions. Un seul endroit où le travail artistique tient tantôt de la cassure dialectique, tantôt de la révolution conceptuelle. Le vernissage avait lieu vendredi.
FIROZ GHANTY: Un « rien » de rigueur
L’homme contemple son oeuvre. Cette rupture, exposée une première fois en décembre 2011, s’affine. De ce travail, Firoz Ghanty disait alors : une logique, une méthode du « casser » , une rigueur du « briser », « une inscription (durable ?) dans le non-sens et l’absurde », qu’il voudrait surtout écrire avec un A majuscule. Rupture– la suite ne vient pas bousculer ces canons du rejet des notions typiques de la beauté, des règles académiques, et du format – en un mot, moule social.
Il ne s’agit pas de cette bile à la Louis-Ferdinand Céline, d’une nausée sartrienne, pour la chose humaine. Mais plutôt ce brin de Samuel Beckett : un absurde serein, qui valse de la boutade au nihilisme. Même pas. « Rien ne sert à rien », affirme-t-il. Le tableau POEZI illustre bien l’essence du propos. Le vis-à-vis d’un être féminin et d’un crâne, la langue tirée… et de faire cette grimace à la vie. Au bas de La marée, Ghanty griffonne : « Laissez-moi mes défunts et mes deuils. Et je vous donnerai les vivants en offrande. » Le vivant, une dérision ? Une inconséquence probablement. Qu’on ne se laisse pas hanter par les vivants…
Car aux yeux de Firoz Ghanty, il ne peut qu’exister qu’un instinct de survie qui pousse à « l’extrême ». L’extrême d’une humanité qui se divertit afin d’oublier sa finitude ? L’artiste évoque le souci ridicule du paraître ou de l’explicatif. Alors que « tout n’est que processus mécanique de la matière ». « On a aucune raison d’être là. Les êtres humains croient qu’ils choisissent de faire des enfants mais, au final, on en fait pas ; d’autres en font. » Toujours la même chose ? Tout vous est égal, M. Ghanty ? « Il n’y a de raison à rien. » Sans équivoque.
Ce qui conduit l’artiste aux deux absolus. « Tout mon raisonnement est arrivé à deux certitudes, l’art et la mort », dit-il. « On vient du néant et on repart au néant. » Poussière allant vers  la poussière ? Le travail de Firoz Ghanty illustre le retour vers un réel placide. La texture, le chrome, l’aspect terreux – comme un appel du rien, d’une certitude rigoureuse exploitée, cette obligation de « faire, faire, faire ». Et d’y trouver son art… avant la mort.
ISMET GANTI: Révolution mnésique
Aizenma Theory – la théorie de l’amnésie… à l’envers. Ismet Ganti nous fera-t-il désapprendre, « désoublier » ? L’artiste s’exprime sur la base conceptuelle de ses sculptures. « L’amnésie, dit-il, c’est oublier ce qu’on l’on sait. Avec Aizenma Theory, c’est se rappeler de ce qu’on ne sait pas. » Et il s’agit bien d’un rappel. Pas d’un souvenir. On est loin du songe, de l’onirique…
Car l’artiste s’explique. Avec Aizenma, il vient proposer le visuel d’un travail théorique autour du vivant, en partant de la première cellule qui a existé : du pré-organique à la complexité de l’Être actuel. Voilà où aller repêcher ce que l’on ne sait pas. Serait-ce cryptique comme proposition ? L’artiste n’en dira pas plus.
Mais il est donc possible que la sculpture gantiesque s’apparente à ce rappel de ce que l’on ne sait pas et du vivant occulté. Architecturalement, on part toujours d’une « chose bien construite à l’intérieur vers un cocon à l’extérieur » – un cocon qui semble toujours plus fragmenté que son origine. Il s’ensuit que l’Ordre – la pureté des lignes – est dispersé, diffusé, du centre aux extrémités. Tel est le mouvement qui pourrait définir Aizenma Theory.
Pour ce qui est de la technique, « on est ici très limité en termes de couleurs », dit l’artiste. « J’ai choisi le monochrome pour que la lumière ne fasse pas mentir. On va vers ce que l’objet est. »  C’est un choix qui « ramène au plus près », « un travail de fidélité ». Ismet Ganti utilise du carton sur fond dur.
Avec Aizenma Theory, Ismet Ganti marque une révolution – au sens véritable du terme – dans son expression artistique. « À partir de maintenant, j’abandonne la peinture. Je m’éloigne de l’expression.  Mon travail a changé. »
Huit pièces d’Aizenma sont présentées. Au total, Aizenma comprendra 13 sculptures.
Le vernissage a eu lieu à la Maison Ghanty, à Cascadelle, le 1er juin. Les travaux des deux sculpteurs devraient être exposés pendant deux semaines.

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