VIE PRIVÉE, VIE PUBLIQU : Parallèle entre les cas Navin Ramgoolam/Nandanee Soornack et Michael Douglas/Catherine Zeta-Jones selon Me Sonah Ruchpaul

Ancien homme politique — initialement, il était un militant marxiste engagé à Londres durant ses années d’études puis, en deux fois, il a été candidat du Parti travailliste mauricien lors des élections générales (1982 et 1983) — et avocat versé dans les lois de la presse, Me Prakash Ruchpaul a suivi avec une vive attention les débats, dans la presse et les radios privées, autour des photos publiées, le week-end dernier, par notre confrère L’Express montrant le Premier ministre, Navin Ramgoolam, s’amusant lors d’une fête privée organisée dans la résidence de Mme Nandanee Soornack. Il trouve que ces débats n’ont mené nulle pat et rappelle des jugements de tribunaux britanniques  dans des procès en réclamations pour intrusions alléguées de la presse dans la vie privée des citoyens. Mais, en guise de conclusion, l’homme de loi soutient “qu’aucune personne sensée ne peut prétendre que l’intérêt public ne peut pas être invoqué pour déterminer que la vie privée de Navin Ramgoolam et de Nandanee Soornack a été violée”.
Selon vous, que nous enseigne le fameux arrêt Boris Johnson publié par Week-End l’année dernière et remis au goût du jour ces jours-ci dans le sillage de la publication de nouvelles photos Ramgoolam/Soornack?
En l’absence jusqu’ici d’un jugement contraire des Lords, le raisonnement des trois juges d’appel  dans l’arrêt Johnson tient bon. À partir du prononcé, même les mioches nés de certaines aventures hors du mariage d’une figure publique pourraient ne plus être protégés des caméras de la presse…
D’abord, il faut rappeler qui est ce personnage haut en couleurs qu’est Boris Johnson. Il a 49 ans. Il a cinq enfants, nés de deux mariages, dont le deuxième subsiste. C’est un personnage hors du commun dans l’histoire de l’Angleterre. Physiquement il s’apparente à un prince du Moyen Age, mais sa personnalité ne fait frissonner personne. Paradoxalement pour un Tory (conservateur), sa présence dans les quartiers les plus pauvres de la capitale britannique rassure les plus démunis. Récemment il s’est fait applaudir par des damnés à Bombay et à New Delhi.Il est également brusque en politique et il se pose en opposant interne de l’Establishment conservateur britannique. David Cameron, l’actuel Premier ministre anglais, lui-même un ancien membre de Bullington, un club de soûlards à Oxford, le soupçonne de convoiter sa place. Les pîtreries nocturnes ou en plein jour de Boris Johnson sont connues des médias depuis des lustres. En 2006, il rencontre Helen Macintyre, une “professional art consultant”, qui vit en partenariat établi avec un homme. Il est alors question d’un enfant de trois ans censé être né des liens intimes de Johnson avec cette dame. Ce qui provoque un recours légal (d’abord au High Court),mais, à partir de la révélation de la presse de l’existence de cet enfant, c’est un siège médiatique qui a lieu en juin 2010 autour de la résidence de Helen au centre de Londres.
Il est intéressant de relever que dans le cas Boris Johnson, c’est l’enfant lui-même qui avait porté plainte. Naturellement représenté par un avoué, un genre de tuteur subrogé. Il avait réclamé :
i) des dommages “for breach of privacy against the defendant (le tabloid Daily Mail) who laid siege to the claimant’s family homes such as to interfere with her family life”;
ii) des dommages “for breach of privacy against the defendant in respect of the publication of her photographs and articles which contained speculation as to the identity of her father”, soit pour des fautes déjà commises.
iii) une injonction “to restrain the defendant from further publishing» la photo de l’enfant, son nom et son adresse et toute information pouvant révéler sa paternité.
L’enfant avait plaidé :
(i) L’Article 8 du Human Rights Act 1998 britannique, qui stipule ce qui suit: 
“1. Everyone has the right to respect for his private and family life, his home.
2. There shall be no interference with the exercise of this right except for the protection of the rights and freedoms of others.”
(ii) L’Article 10 de la Convention Européenne des Droits de L’Homme sur le droit à la libre expression, en mettant l’emphase sur les limites à ce droit:
“1. Everyone has the right to freedom of expression .
2. The exercise of [this] [freedom], may be subject to restrictions for the protection of the reputation or rights of others, for preventing the disclosure of information received in confidence “
(iii) Les Articles 3 et 16 de la  United Nations Convention on Rights of the Child 1989, qui expliquent les droits de l’enfant comme suit: “In all actions concerning children, the best interests of the child shall be a primary consideration. No child shall be subjected to arbitrary or unlawful interference with his or her privacy “
(iv) L’Article 24 de la Charter of Fundamental Rights of the European Union 2000, qui exige que  “in all actions relating to children, the child’s best interests must be a primary consideration.”
Que furent les décisions de la justice britanniques?
 La juge Davies n’accorda pas l’injonction réclamée par l’enfant, vu que certaines garanties avaient été données par le Daily Mail.
Toutefois, sur les droits de l’enfant, la juge avait dit notamment ceci en conclusion :« Even allowing for the margin of journalistic appreciation I do not regard the publication of any of the photographs as being reasonable nor do I accept that the defendant’s reasoning would constitute “exceptional public interest” sufficient to justify publication »
En conséquence, elle avait accordé des dommages-intérêts de £15,000 à l’enfant, estimant que: “ In publishing the photographs, the rights of the claimant have been breached”  et que “any award should reflect this fact “
Les Lord Justices en appel exprimèrent leur désaccord total avec la juge Davies sur la balance à être appliquée entre les droits de l’enfant et le droit à la libre expression. C’est ainsi qu’ils annulèrent les dommages-intérêts accordés, en se prononçant comme suit sur cette balance : “It is not in dispute that the legitimate public interest in the father’s character is an important factor to be weighed in the balance against the claimant’s expectation of privacy. The core information in this story, namely that the father had an adulterous affair with the mother, deceiving both his wife and the mother’s partner and that the claimant, born about nine months later, was likely to be the father’s child, was a public interest matter which the electorate was entitled to know when considering his fitness for high public office.”
Le mariage des Douglas
Cependant, pour Me Ruchpaul, dans la jurisprudence britannique récente, au lieu de la mésaventure de Boris Johnson avec Helen Macintrye,  c’est plutôt le mariage de l’acteur Michael Douglas avec Catherine Zeta-Jones en 2000 qui s’apparente plus à la fête du duo Ramgoolam-Soornack à Floréal.
Chez les Douglas, il était question de photos officielles commanditées par le couple, dont la prise et la sécurité avaient été confiées à OK, un magazine d’un certain tirage, qui devrait promouvoir l’image des deux acteurs auprès de leur public. Le contrat fut rédigé par des experts dans ce domaine du droit. Les photos à être finalement publiées, devaient être vérifiées à maintes reprises par les Douglas et leurs conseillers techniques avant toute publication dans OK. C’était une histoire de gros sous, qui, avec ces photos, devait permettre d’augmenter le tirage du magazine.
Un autre magazine, Hello, un compétiteur de OK qui avait fait en vain une offre aux Douglas pour le contrat, devait subrepticement, le soir même du mariage, « voler » plusieurs prises par des moyens hautement sophistiqués, qui furent transmises, en l’espace de quelques secondes, à des techniciens aux Etats-Unis. Aux petites heures du matin du mariage, le couple Douglas et OK requièrent et obtinrent d’un juge une injonction ex parte. De la High Court, les Douglas obtiennent des dommages de £14,500 pour violation de leurs « privacy rights »sur des images photographiques lors d’une célébration privée. Quant à OK, il obtint des dommages de £1 million. La Cour d’appel maintint les dommages aux Douglas, mais annula ceux à OK, car le contrat n’octroyait pas à ce magazine un droit de poursuite.
Pourquoi la comparaison avec les Douglas serait-elle plus appropriée ?
A la fête chez Mme Soornack, il n’était pas question de contrat signé, même avec un photographe individuel. Bien sûr que la question se pose sur le comment du transfert des photos prises au cours de la fête qui ont atterri aux bureaux de L’express. Je n’ai personnellement pas de réponse à cela. Mais, il y a dans ce type d’affaire un fil conducteur.
Un seul principe a guidé les juges de tous les niveaux dans toutes ces affaires, à commencer par d’autres qui ont précédé celle de Johnson, et ce principe n’est pas l’invasion de la vie privée, qui ne peut être un droitper sepour un procès à Maurice et en Grande-Bretagne, contrairement à la situation en France et aux États-Unis. Depuis la décision de la Cour européenne des Droits de l’homme (ECHR) en 2004 dans l’affaire Von Hannover de reconnaître le droit à l’individu de chaque État de l’Union Européenne de se protéger de l’intrusion dans sa vie privée par un autre individu, le gouvernement du Royaume-Uni avait exprimé sa réticence de créer dans la législation britannique un secteur séparé d’actions en droit se reposant uniquement sur l’invasion de la vie privée. À sa place, les cours britanniques ont préféré développer leurs lois sur la confiance (Law of Confidence) pour établir s’il y a eu intrusion dans la vie privée d’un individu.
Quelle est donc la qualité requise d’une information pour qu’elle soit protégée ? 
D’abord, l’information doit être confidentielle dans les faits. Par exemple, elle ne peut être déjà du domaine public. Ensuite, cette information doit être d’une certaine utilité à autrui, et non triviale ou banale. Puis, l’intérêt public la protégeant d’une divulgation doit peser plus qu’un autre intérêt public qui dicte cette divulgation. Donc, l’absence d’un intérêt public quelconque peut entraîner un procès malgré la présence d’une breach of confidence.
L’Article 22 de notre Code Civil stipule que : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juridictions compétentes peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes les mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée. Ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées par le juge en chambre. »
D’abord, on parle ici de l’intimité de la vie privée, qui exclut probablement l’information obtenue hors du demeure du plaignant. L’article 22 de notre Code Civil, vieux de deux cent ans, n’a jamais été revu, surtout après l’Indépendance, lorsqu’il a été surplombé par des entrenched clauses de notre Constitution (1-16) englobant le droit à la libre expression et ses exceptions et limitations, qui nous rapportent aux stipulations basiques de la Convention Européenne. Dans le cas du tandem Soornack/Ramgoolam, aucune personne sensée ne peut prétendre que l’intérêt public ne peut être évoqué pour déterminer si leur vie privée a été violée. Ramgoolam est politicien, Premier ministre et donc un homme public. Mme Soornack est suspectée d’obtenir de tout avec sa complicité pour son enrichissement personnel.
Henri Marimootoo

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