VISHNU LUTCHMEENARAIDOO, ex-membre du BP du MMM : “Si je reviens en politique… ”

Notre invité de ce dimanche est Vishnu Lutchmeenaraidoo, membre du BP du MMM, qui vient de démissionner en signe de protestation contre l’alliance rouge/mauve. Dans l’interview qu’il nous a accordée, jeudi dernier à son domicile, il explique les raisons de son opposition à l’alliance PTr/MMM. Il annonce également que suite à la proposition de sir Anerood Jugnauth, il est possible qu’il fasse son retour dans la politique active. Contre l’alliance PTr/MMM et pour une nouvelle manière de faire la politique.
Commençons par un rappel de votre parcours politique, Vishnu Lutchmeenaraidoo. Vous avez fait partie du MMM depuis le milieu des années ‘70, puis en 1983 lors de la cassure entre le MMM et ce qui allait devenir le MSM, vous avez choisi Anerood Jugnauth dont vous êtes devenu le ministre des Finances. On a même dit que vous seriez, avec SAJ, le père du miracle économique mauricien. Après votre rupture avec le MSM, au début des années ‘90, vous avez prisvos distances avec la politique avant de faire un come-back au MMM dont vous êtes devenu un des membres du PB à la fin des années ‘90. Cela a été facile de retourner au MMM dont vous avez été la bête noire et l’ennemi principal pendant des années?
— Je suis revenu au MMM dans les années ‘90 pour Paul Bérenger, pas pour le parti. Je suis revenu au MMM pour refaire notre vieille amitié qui date des années ‘70. Je peux vous dire une chose: la réconcialiation a eu lieu; avec le temps, nous avons appris l’un etl’autre à pardonner et à demander pardon et c’est très bien.
Il n’y avait aucun désir politique de votre part dans ce retour au MMM!?
— Bien sûr que le désir politique avait sa place dans ce retour au MMM, mais il était à l’arrière-plan.
Vous avez été l’unique membre du Bureau Politique du MMM à avoir voté contre l’alliance PTr/MMM, le mois dernier. Pour quelle raison?
— Il faudrait vous rappeler que déjà en 2010, j’étais contre l’alliance travailliste MMM qui était en train de se négocier quelques mois avant les élections générales. Je l’avais dit à Paul Bérenger et j’avais également précisé que si cette alliance était conclue, je ne serais pas candidat. Par conséquent, je suis cohérent dans ma démarche.
Pour quelles raisons étiez-vous contre l’alliance PTr/MMM en 2010? Parce que vous êtes anti-travailliste?
— Nullement, d’autant plus que Navin Ramgoolam est un vieil ami. Mon opposition à l’alliance PTr/MMM, hier et aujourd’hui, n’est pas une question de personne, mais une de priorité nationale, de vision de l’avenir. La première et la principale raison de ma prise de position repose sur le fait qu’une alliance électorale entre les deux plus grands partis politiques du pays fausse le jeu démocratique. Dans ce type d’alliance, on donne le sentiment au pays que les deux chefs de partis ont décidé d’avance du résultat des élections. Il y a quelque chose  de malsain dans cette démarche.
Mais ce cas de figure politique a déjà existé et a été plébiscité par l’électorat aux élections de 1995.
— Vous avez raison, mais si en 1995, cette alliance a pu passer la rampe, en 2014, les choses ne sont plus les mêmes. Les Mauriciens sont beaucoup plus exigeants, ont l’esprit plus ouverts sur leur pays et le monde. Les réseaux sociaux et les radios libres font que maintenant les Mauriciens posent des questions, n’acceptent plus tout ce qu’on leur dit. Il faut le redire: on ne peut pas fausser le jeu démocratique en imposant une alliance entre les deux principaux partis. Peut-on imaginer une  alliance entre Conservateurset Travaillistes en Grande Bretagne?
La Grande Bretagne est actuellement gouvernée par une coalition…
— Pas entre les deux gros blocs politiques. En ce qui concerne la situation à Maurice avec l’alliance PTr/MMM, certains ont parlé d’un coup d’État constitutionnel. La formule est un peu forte, sans doute, mais c’est vrai que quand  deux leaders politiques représentant 80% de l’électorat s’allient, cela peut susciter des craintes. Dans ce qui est en train de se passer, l’électorat se sent un peu cocufié.
Mais vous étiez pour le RemakeMMM/MSM qui, selon les observateurs, allait remporter une très large victoire aux élections.  Dans ce cas aussi, il s’agissait d’une alliance entre deux partis…
— Pas les deux principaux du pays, les statistiques le démontrent. L’alliance entre le MSM et le MMM laissait une plage large au PTr. C’était une alliance beaucoup plus équilibrée que je soutenais à 1000%. Parce que je trouve quele duo Jugnauth/Bérenger est idéal pour les temps qui viennent. Malheureusement, les choses n’ont pas évolué dans la direction que je souhaitais et je suis à 1000% contre l’alliance PTr/MMM.
Est-ce que la priorité d’un membre du bureau politique d’un parti n’est pas de travailler pour faire des alliances dites imbattables permettant à sa formation d’arriver au pouvoir?
— Il existe plusieurs pays dont la constitution stipule qu’il ne peut y avoir d’arrangement pré-électoral. Tout est là. Si nous ne voulons pas tuer la démocratie à Maurice, il faut changer la constitution pour que les arrangements électoraux ne soient plus autorisés. Parce que ces arrangements faussent le jeu démocratique à Maurice depuis 1982. Par contre, si des arrangements sont faits entre partis après les élections, c’est tout à fait autre chose. Dans ce même ordre d’idée, je suis pour une proposition faite par mon ami Ivan Collendavelloo sur la limitation du nombre de mandat auquel a droit un Premier ministre.
Comment expliquez-vous le fait que vous ayiez été l’unique membre du BP et des instances du MMM à voter contre l’alliance PTr/MMM?
— Comme dirait l’autre, je suis preplexe face à cette situation.
Vous riez mais nous sommes en train de parler d’une instance de décision qui regroupe plusieurs dizaines de personnes. C’est le règne de la pensée unique au MMM?
—Je continue à rire en vous disant que le fait que j’ai voté contre l’alliance prouve que la démocratie existe au sein du MMM. Mais beaucoup plus sérieusement, je vous rappelle que j’ai été contre cette alliance depuis 2010 et que je tiens à être cohérent avec ce que je fais. Vote secret ou non, tout le monde au MMM savait que j’étais contre toute alliance entre les deux principaux blocs politiques du pays.
Vous avez fait une déclaration pour expliquer votre vote contre avec deux raisons. La première: quel’alliance PTr/MMM n’est pas bonne pour le MMM lui-même. Pourquoi?
— Cette alliance est malsaine. Donnez-moi lenom des militants qui ne voient pas que leur parti est en train de contracter une alliance contre-nature. Cette alliance est contre l’intérêt du parti qui paiera très cher sa décision dans l’avenir. Le MMM a été affaibli. Le militant de base, le militant historique, ceux qui ont soutenu Paul depuis 1969 sont profondément blessés. J’ai ressenti une grande humiliation par rapport à la façon dont Navin a traité Paul, ces derniers mois.
C’est-à-dire? Mais ils disent qu’ils s’aiment, font des conférences de presse en duo, l’un commence la phrase que l’autre termine.
— Qui disait qu’il faut s’approcher le plus près possible de l’autre pour le finir?
La deuxième raison que vous avez donnée pour justifier votre vote contre était que l’alliance PTr/MMM est mauvaise pour le pays.
— Quelqu’un de la campagne m’a dit, en parlant de l’alliance, que le mariage sera cassé avant le chowtaree, réception qui suit le mariage selon la tradition hindoue. Ce sera le cas parce qu’il n’y a pas de symbiose à la base dans cette alliance. Même si l’unité s’est faite au niveau des bureaux politiques, cet accord n’existe pas au niveau de la base. Ce qui explique ces énormes divergences d’opinion que l’on peut noter entre les deux bases. C’est une alliance qui vient d’en haut. Les chefs de partis ne peuvent pas imposer à leurs électorats ce qu’eux veulent. J’ ai vraiment l’impression que les prochaines élections seront une leçon de l’électorat à la classe politique. C’est-à-dire que l’électorat rappellera aux politiques que c’est lui qui élit le député et pas le contraire.
Les leaders du PTr et du MMM semblent dire qu’il suffit de donner un mot d’ordre à leur électorat pourqu’il le ratifie, comme l’ont fait les instances dirigeantes du PTr et du MMM.
— Attendons voir.
Est-ce que vous n’êtes pas contre l’alliance PTr/MMM parce que le poste de ministre des Finances qui devait vous revenir dans le Remakea été offert à Reza Uteem?
— Vos renseignements ne sont pas tout à fait exacts. Ce poste de ministre des Finances ne m’a jamais été offert, après 2010. En 2010 déjà, j’avais dit à Paul Bérenger que je ne voulais d’aucun poste.Je lui avais démandé, par contre, de préparer unebonne équipe pour diriger le pays.
Par conséquent, votre démission du MMM n’est pas le résultat d’une quelconque frustration?
— Pour être frustré, il faut avoir envie, il faut vouloir, il faut une ambition. Je ne les ai pas.
Il n’y a pas eu déceptionde ne pas avoir de proposition?
— Franchement non. D’ailleurs, à un moment donné au sein du MMM, j’avais proposé que le poste de ministre des Finances revienne à Kee Cheong. Dans le cadre de cette proposition, j’ai arrêté de faire des conférences de presse économiques depuis 2012. C’est Kee Cheong qui les faisait d’autant plus qu’il était le porte-parole du MMM sur les questions économiques au Parlement. Comme vous pouvez le constater, je ne suis pas concerné par la question.
Quel est votre commentaire sur le fait que le ministère des Finances ait été retiré à Kee Cheong au profit de Reza Uteem et que, selon les dernières nouvelles, il est maintenant attribué à votre cousin préféré, Rama Sithanen.
— Je n’ai vraiment aucun commentaire à faire sur ce sujet.C’est à Reza Uteem identifié comme le ministre des Finances de l’alliance rouge/mauve, de répondre à cette question fort pertinente. Mais de manière générale, ce sont des impératifs politiques qui ont dû mener les dirigeants de l’alliance PTr/MMM à prendre cette décision.
Cela ne vous surprend pas, ne vous choque pas?
— Nullement. Cette alliance a été faite dans des conditions absolument effarantes. Je n’en dirai pas plus.
Vous étiez membre du BP du MMM en janvier quand leskoz kozépar intermédiaires interposés recommencent. Vous avez dû suivre les étapes de sa mise en place?
— Dès le départ, j’ai dit que j’étais contre et j’avais de très bonnes raisons de l’être. J’aimerais préciser que j’ai plus fait part de mes objections à Paul Bérenger sur l’alliance en dehors des réunions du BP. Nous dejeunons et partageons nos points de vue de manière régulière.
Il vous a expliqué pourquoi il faisait alliance avec le PTr?
— Pourquoi Paul a cassé le remakeMMM/MSM pour se rapprocher du PTr? C’est une question que se posent tous les Mauriciens et c’est une question à mille euros.  
Vous n’avez pas la réponse?
— Je vous l’ai déja dit: je suis perplexe et j’aurais bien voulu que l’on m’explique. Je vous le redis: je pense que Paul et Aneerod représentent un duo viable pour l’avenir du pays.
Pas le duo Ramgoolam et Bérenger?
— Il ne s’agit pas d’un duo mais d’une alliance des leaders des deux principaux partis pour prendre le pouvoir. C’est le principe qui est mauvais, pas les hommes. J’ai déja précisé que Paul et Navin restent mes amis, même si nous ne sommes pas d’accord politiquement. Je crois qu’il est temps que l’île Maurice accepte que l’on puisse avoir des différences d’idées tout en ayant des relations correctes.
Désolé de vous contredire mais à écouter ces jours-ci les déclarations des uns et des autres, c’est exactement le contraire qui se passe. On entend plus d’attaques et d’insultes qu’autre chose dans les réunions et les conférences de presse politiques.
— C’est vraiment malheureux. Je suis arrivé à un âge où je parle plus de transition, de laisser aux autres un héritage. Croyez-vous qu’on peut laisser en héritage aux jeunes le fait que nous n’ayions fait que passer notre vie à nous battre, à nous insulter, à nous accuser de toutes sortes de choses? Je crois que les temps ont changé et Paul et moi sommes un exemple de ce que peut être le pardon: de pardonner et de demander pardon. Nous avons été les adversaires politiques les plus farouches pendant des années et nous avons réussi à nous pardonner et à nous réconcillier. On peut se dire qu’on est dans des logiques différentes, qu’on a des opinions différentes mais que cela ne nous empêche pas de nous respecter. J’espère et je fais un appel que ce soit le cas dans cette campagne électorale qui arrive. Depuis l’Indépendance, nous vivons dans la dualité politique extrême: il n’y a que les bons et les mauvais, que les blancs et les noirs: le gris n’existe pas. Si tu es avec moi tu es bon, si tu es contre moi tu es mauvais. Il faut ajouter à cela une capacité à changer de casaque, de changer de couleur politique qui a fini par épuiser les Mauriciens qui ne se retrouvent plus dans ces sanzmen.
Le programme de l’alliance PTr/MMM révèle que le prochain ministre des Finances aura plus de pouvoir que l’actuel et contrôlera tout le système économique. Un commentaire?
— Je suis impressionné que le PTr ait augmenté les pouvoirs du ministre des Finances et prévu que le droit de nommer le Gouverneur de la Banque de Maurice revienne au nouveau président de la République. Mais ce ne sont que des projets. Pour ma part, je suis de plus en plus convaincu que l’alliance PTr/MMM est dans une pente de destruction naturelle. La méfiance existe entre ces deux partis dans la mesure où ils ont eu besoin d’un accord électoral signé. Je ne serai nullement surpris qu’il y ait des surprises au sein de l’alliance avant les élections.
Est-ce qu’il est possible que la prochaine élection se termine par un 60-0?
— Pour remporter un 60-0, il faut que l’alliance rouge/mauve existe encore pour les prochaines élections! Rien ne me surprendrait actuellement apres la manière dont cette alliance a été faite. Le mot surprise est décrit comme étant “un évenement non prévisible.” Je crois que les résultats des prochaines élections risquent de provoquer une grande surprise. Une très grande surprise. Une manière pour le citoyen de remettre à sa place la classe politique.
Et les trois-quarts des sièges nécessaires pour créer la 2e République?
— Attendons voir. Vous savez comme moi qu’au PTr, on voit d’un très mauvais oeil l’amendement à la Constitution pour créer le 2e République. J’entends de plus en plus dire que les travaillistes ne voteront que pour des candidats travaillistes et que, par ricochet, les militants ne voteront pas les candidats rouges. C’est un secret de polichinelle que les travaillistes ne veulent pas donner les trois quarts au prochain gouvernement pour éviter le 2e République. Attendons voir.
Et vous dans tout cela, Vishnu Lutchmeenaraidoo: allez-vous vous retirer dans une grotte pour suivre tout cela d’en haut ou vous jeter dans la bataille politique?
— Je m’attendais, évidemment, à cette question. Ma réponse est: je suis dans une phase de réflexion et de consultation. D’un côté, il y a la tentation d’une retraite politique que je pense avoir méritée à mon âge. De l’autre, il y a l’appel de sir Anerood m’invitant à le rejoindre dans le combat politique pour le pays. Cet appel me touche beaucoup.
Je vous rappelle, en passant, que vous avez annoncé votre retrait de la politique en démissionnant du MMM.
— Je m’attendais aussi à ce que vous me rappeliez cette déclaration. Mais en même temps, j’entends de plus un argument dans mon entourage qui m’interpelle. On me dit: c’est très bien d’avoir voté contre l’alliance rouge/mauve, mais est-ce que c’est normal que tu te retires dans ta tour d’ivoire après? Ou, au contraire, est-ce que dans ta logique, tu ne dois pas prendre position, t’engager? C’est une question qui m’interpelle. Il y a aussi le soutien que j’ai reçu des médias etdes réseaux sociaux.
Qu’avez-vous décidé de faire?
— Je vais réfléchir quelques jours encore et prendre le temps de consulter ma base.
Vous avez encore une base électorale?
— J’ai au No. 13 un électorat fidèle et j’ai dans le pays des gens qui se souviennent de ce que j’ai fait aux Finances et qui me font confiance. Je suis dans une phase de discussions et de consultations. Il me faut une petite semaine encore pour prendre ma décision.
Vous êtes tenté de répondre positivement à la proposition de sir Anerood Jugnauth ?
— Permettez-moi de changer de ton pour dire que nous vivons la fin d’une époque marquée par la colonisation, l’esclavage, le néo-colonialisme et le non-respect de l’homme et de la nature. Nous assistons aussi à l’émergence d’un monde nouveau, plus juste, plus équitable et plus respectueux de la vie de l’environnement. Notre planète est en détresse en raison de l’avidité et la cupidité de l’homme et a une civilisation qui a perdu depuis longtemps ses repères, ses valeurs. Nous sommes condamnés à sauver notre planète pour nous sauver nous-mêmes car si nous ne pouvons survivre sans la planète, la planète peut survivre sans nous. Nous sommes donc dans une période de transition et si dans cette période, je peux agir comme pont pour permettre aux futures générations de continuer le travail, je dirai oui à la proposition de sir Anerood.
Pardon de vous ramener à la politique après cette envolée philosophique. Il est question que votre cousin préféré Rama Sithanen pose sa candidature au no. 13. Sivous retournez à la politique, pourrait-on s’attendre à un match Lutchmeenaridoo/Sithanen à Rivière des Anguilles?
— Je n’aime pas le mot match. Si jamais je reviens en politique, si j’entre dans cette campagne électorale, je vous promets une chose: je vais juger les projets de société, pas les hommes. Donc, ne comptez pas sur moi pour répondre à des adversaires qui pourraient m’insulter. Si jamais je reviens, ce sera avec une nouvelle manière de faire la politique, dans le respect de l’autre, dans le cadre d’un combat d’idées. Ne comptez pas sur moi pour juger le passé mais pour trouver des solutions pour l’avenir.

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