VOYAGE : Au pays de Galles en traversant le Severn

Faire la tournée du Royaume-Uni — du pays de Galles avec un crochet en République d’Irlande, en Ecosse, puis en Angleterre — en à peine deux semaines, c’est tout au plus un survol de ce grand espace insulaire, de ce territoire où se trouve Londres, la métropole qui a dominé l’île Maurice coloniale pendant plus de 150 ans, où habitent les descendants de nombreux Britanniques qui sont venus de tout le Royaume-Uni servir dans la fonction publique, dans les troupes, dans les écoles, au sein de l’Eglise. Nos livres d’histoire foisonnent de noms de gouverneurs, de grands commis de l’Etat qui y sont venus et qui ont laissé derrière eux des traces qui sont restées indélébiles. Telles celles laissées par cet Ecossais, James Armstrong, ancien lieutenant commandant au HMS Mauritius, et son épouse française Marie-France, poétesse et un des mécènes de Malcolm de Chazal. Au pays de Galles, nous avons été accueillis par la fi lle unique née de cette union, Yvelaine, renouant ainsi avec une amitié vieille de presque un demi-siècle. Ainsi, ce parcours en éclair aura quand même été riche en découvertes et en retrouvailles où n’ont pas manqué des rencontres où d’anciennes fi gures connues en chair et en os ou dans les livres de classe ou de lecture et les médias ont ressurgi de la boîte à souvenirs.
L’autocar débarque son lot de touristes et vacanciers à Cardiff, capitale du pays de Galles, après avoir enjambé le pont, impressionnant par sa longueur (972 m), qui traverse la rivière Severn faisant frontière avec l’Angleterre. Ce pont suspendu s’étend du sud de Gloucestershire, tout juste au nord de Bristol, à Monmouthshire au sud du pays de Galles. L’attraction incontournable dès qu’on pose les pieds au centre ville est sans doute le Château de Cardiff dont l’architecture victorienne (qui date du XIXe siècle est l’oeuvre de l’architecte William Burges) tranche avec le style de construction fonctionnelle aux alentours.
Propriété des Normands à la fi n du 11e siècle, le Château de Cardiff appartient aujourd’hui au Cardiff Council. Mais le site a été occupé par les Romains, des siècles avant les Normands. En fait, les Romains y étaient dès 43 ap. J.C. et construisirent, durant leur occupation, au moins quatre forteresses sur le site occupé par le château actuel. Au moment de la conquête romaine, Cardiff est occupé par la tribu locale des Silures, fermiers de profession et descendants probables d’une vieille civilisation préceltique Selon Tacite, les Silures se reconnaissent à leurs teint basané et à leurs cheveux bouclés. Au bout de quelques décennies, la suprématie romaine en matière de communication et de commerce, ainsi que l’effi cacité du système administratif et judiciaire (qui intègre, avec un certain bonheur, des éléments de culture locale) mis en place fi nit par séduire les belliqueux Silures qui y trouvent leur compte. Toutefois, au départ des Romains, le pays se morcelle en plusieurs petits royaumes, ce qui n’empêche pas l’émergence au fi l du temps d’une identité galloise.
A Narbeth, carrefour commercial et culturel
De Cardiff nous mettons le cap sur le Narbeth, ville commerciale réputée dans le Pembrokeshire. Nous nous y rendons en voiture avec nos sympathiques hôtes, Seeven et Kamal Yagambrun, qui nous ont accueillis les jours précédents à Cardiff. Dans leur tranquille retraite de Wryton Rise, Witchurch, ces Mauriciens n’ont pas oublié leur racine, à l’instar de Kamal, née Paratian, qui voue une grande passion à l’ascendance familial, d’où sa quête sur son illustre grand-père, Veerapin Paratian, entrepreneur des travaux et grand propriétaire foncier dont mention est faite dans “L’histoire des domaines sucriers” de Guy Rouillard.
A Narbeth, nous sommes logés chez Henry et son épouse Yvelaine (née Armstrong). Yvelaine est une amie d’enfance que nous avons connue à la Maison de Poupée à la route du Cimetière à Phoenix et qui a eu l’occasion de revenir une ou deux fois à Maurice. La dernière fois qu’elle est revenue à Maurice, elle a réussi à me retrouver, et ensemble nous avons évoqué les souvenirs d’une heureuse et insouciante enfance à la Maison de Poupée et nous avons été ensemble fl eurir la tombe de Malcolm de Chazal au cimetière de Phoenix. Cette chère Maison de Poupée où les parents d’Yvelaine, la pétillante Marie-France, poétesse et artiste-peintre, et ce géant au cheveu blond de James prenaient pour moi l’allure du couple idéal digne de deux vedettes de Hollywood. Ah, ce rire gras et sonore de James ! James Armstrong a trépassé à la fi n de 2004 (nous y reviendrons dans une de nos prochaines chroniques). Narbeth n’est pas seulement un centre commercial de grande notoriété dont le High Street a été classé par Google parmi les 20 meilleurs rues commerciales du Royaume- Uni. La ville est aussi un carrefour culturel animé, à quelques encablures de l’autoroute A 40. Son Queen Hall est considéré comme le “Pembrokeshire’s top live music venue”, le “home of great month ; ly Comedy Club nights” et le lieu d’accueil d’un “huge range of community events and craft markets”. Narbeth a été la première ville de Pembrokeshire à organiser un carnaval d’hiver avec, au coeur de l’événement, une procession éclatante de mille feux qui offre “a magical sight as it takes to the streets ahead of the festive season”. C’est dans cette ville au charme culturel indéniable qu’Yvelaine a choisi de s’installer avec Henry et de donner libre cours à ses inspirations artistiques, un héritage qu’elle doit, d’abord, à l’artiste-poète qu’est sa mère Marie-France, et ensuite, quelque part, au souffl e artistique qui n’a jamais manqué à la Maison de Poupée durant les années 1960 mauriciennes.
Port Talbot : le rendez-vous d’Anquetil avec son destin
Avant de nous rendre à Narbeth, nous avons bifurqué à gauche pour gagner Port Talbot. Pour celui qui a tant soit peu parcouru l’histoire syndicale de Maurice, ce port gallois doit lui être familier. C’est le lieu où le père du syndicalisme mauricien, Emmanuel Anquetil, a fait son initiation à la lutte syndicale. Cette connection avec Port Talbot débute lorsqu’un des armateurs qui l’emploie comme sea-going wright a “fait de Port Talbot, le port d’attache de ses vaisseaux”, comme le raconte Rivaltz Quenette dans son ouvrage consacré à “Emmanuel Anquetil”. Ce port que l’historien dit être une “une escale bourdonnante prise entre Swansea et Porthcawl, et qui du sud du Pays de Galles jetait alors sur le circuit maritime les richesses minières de Cwrnavon”. Emmanuel Anquetil logeait tout près du port, à Victoria Road, dans un hôtel, l’Alexandra Guest House, ouvert “aux gens de la mer qui venaient y attendre le prochain voyage”.
C’est dans cette région portuaire qu’Anquetil se laisse séduire par le combat que mène Sinah, “la fi lle du mineur William Henry Lane et de son épouse Mary” en faveur des mineurs d’Aberavon dont les salaires avaient été honteusement diminués par “le patronat ragaillardi à la faveur d’un marché du travail où grouillait la demande”. Emmanuel et Sinah convoleront en justes noces et de cette union naîtra un unique enfant : David John. Et en Emmanuel naîtra, dans le climat d’agitation industrielle qui a pris Aberavon et Port Talbot à la gorge, la passion de la lutte ouvrière qui se consolidera à la faveur des débats animés “dans la région de Port Talbot au Henry Davies Memorial Hall, de Talbach” par “un agent du National Council of Labour Colleges” répondant au nom de Len Williams (plus tard Sir Leonard Williams, nommé gouverneur de Maurice le 3 septembre 1968, mort à l’hôpital militaire de Vacoas, le 27 septembre 1972, et inhumé au cimetière St John à Réduit).
Et en 1983, Rivaltz Quenette rencontrera à la gare ferroviaire de Port Talbot “John, l’unique enfant d’Emmanuel” dans une démarche de restituer à la postérité la genèse de l’action politique et syndicale de ce bougre de père qui s’enracine dans le milieu minier d’Aberavon et le milieu portuaire de Port Talbot, lui, ce “George” qui a été “l’infatigable et bouillant agent politique de Ramsay Macdonald et de Willie Cow”. Rappelons que Ramsay Macdonald a été le premier Premier ministre du Labour britannique.
De la cathédrale St David au château de Pembroke
La tournée dans le Pembrokeshire nous mène aux portes de la cathédrale portant le nom du patron du pays de Galles, Saint David. Elle fait partie de l’évêché fondé au milieu du Vie siècle par ce dernier. La cathédrale, joyau de l’architecture galloise, a été édifi ée à partir de 1180 en style roman, visible dans la nef, et continue en gothique primitive, style que l’on peut déceler dans les transepts et le choeur. Toute l’histoire et le développement de la cathédrale sont présentés dans une exposition permanente aménagée au “only remaining gatehouse into the Close (at the top of the thirty-nine steps”, que l’on peut visiter en appréciant un court métrage présentant la musique sacrée et le service d’adoration en cours à la cathédrale.
La cathédrale s’élève à l’extrémité ouest du pays de Galles, sur une péninsule qui se projette dans l’Atlantique. La cartographie moderne révèle un lieu isolé ; par contre, du temps de Dewi Sant (St David) la peninsula était un Carrefour d’où les voyageurs pouvaient rallier, par voie terrestre ou par voie maritime, selon le cas, de nombreux pays et régions dans les alentours. La péninsule de Saint David formait effectivement un pont facilitant l’accès, par voie terrestre, à différentes agglomérations de l’Angleterre et, par voie maritime, à l’Irlande et à l’Ecosse, et même, via les Cornouailles, à la France. Mais, en dépit de son relatif isolement de nos jours, la cathédrale de St David demeure une attraction pour bon nombre de Gallois et d’étrangers, comme l’écrit Wyn Evans, doyen de la cathédrale, fi n historien ecclésiastique :
“Here, for almost fifteen centuries, since the time of David himself, worship has been offered up to God in the name of Jesus Christ by a Christian community. Here, generations of the people of St Davids have been baptized in the font, married before the altar and buried in the churchyard ; here, pilgrims have sought and found solace and still do so ; here, visitors and tourists are drawn, not only by the cultural and historical signifi cance of St Davids, but also by the sheer natural beauty of the area and this remarkable group of buildings clustering in the Merrivale, the name today of thet ‘marshy valley’ (Vallis Rosina) to which David came all those centuries ago.”
Une curiosité toponymique à Anglesey
Après le recueillement auprès du saint patron gallois, la route nous mène à un autre edifi ce historique, non pas cathédrale mais palais royal, le château de Pembroke où naquit en 1457 Henri VII, l’ascendant de la dynastie des Tudors dont l’histoire a été longtemps enseignée à Maurice sous l’ère britannique. Il est signifi catif que ce soit sous son successeur, Henri VIII, que le pays de Galles est annexé à l’Angleterre (1535) et qu’ont lieu les débuts de l’expansion maritime qui, dans les siècles suivants, assurera à la Grande-Bretagne l’hégémonie sur les mers (Britannia rules the waves) et, à terme, une politique coloniale aggressive qui jettera son dévolu jusque sur les Mascareignes. Embarqués sur le ferry pour Rosslare en Irlande (nous reviendrons sur cette visite dans la république irlandaise), la tournée nous ramène deux jours plus tard en terre galloise, plus précisément à Anglesey où nous sommes curieux de voir à la gare ferroviaire inscrit le nom de village le plus long de toute la Grandew-Bretagne, qui se traduit en anglais par “The Church of Mary in the hollow of the white hazel near the fi erce whirlpool and the church of Tysilio by the Red Cave”. Que nous dit d’un seul trait Reena Yagambrun, enseignante à Cardiff.

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