(Écologie) Vincent Florens : “Sans un environnement sain, on ne peut avoir de développement”

Vincent Florens, 49 ans, a voué son existence à la conservation de notre faune et notre flore endémique. Professeur agrégé en Écologie à l’Université de Maurice depuis 20 ans, il étudie les invasions biologiques qui mettent à mal notre biodiversité endémique et indigène. Il est également associé à la découverte de nouvelles espèces, dont 3 qui ont été nommés après lui. Nous l’avons rencontré à son bureau où il dévoile un peu plus sa perception de notre façon de gérer notre environnement.

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Passionné par l’écologie depuis tout petit, Vincent Florens est de ceux qui ont à coeur la protection de notre biodiversité endémique et indigène. Droit dans ses baskets et apte à dire tout haut ce qu’il pense, il ne rechigne jamais à critiquer les initiatives qu’il trouve obsolètes. Alors qu’un cinquième épisode d’abattage de notre chauve-souris endémique frugivore vient de débuter, le botaniste n’y va pas de main morte sur notre façon de concevoir la conservation à Maurice. “Au niveau de la gestion de la conservation, il y a du bon, du moins bon et du franchement mauvais. On recommence l’abattage de chauves-souris, c’est aberrant. C’est un recul, ça montre qu’on est un pays inculte au niveau environnemental et aussi scientifique.”

Nouvel abattage de chauve-souris.

Il est convaincu que l’abattage de chauves-souris qui se poursuit depuis plusieurs années est avant tout une décision politique, à des années-lumière du bon sens et de l’aspect scientifique. “Tout le monde sait que l’abattage ne sert personne à part les politiciens qui récoltent des votes. Les quatre épisodes d’abattage entrepris jusqu’ici n’ont donné aucun résultat. Les politiciens discréditent les scientifiques au mieux qu’ils peuvent. Ils nous opposent aux planteurs alors qu’en réalité, les vrais ennemis des planteurs sont les politiciens. Ils les roulent dans la farine afin d’avoir leurs votes. Le comité institué pour décider s’il doit y avoir l’abattage n’est pas neutre. Ceux qui votent pour, il y a un mot pour les décrier et je n’hésiterais pas à le dire, ce sont des idiots utiles. Ils ont été hand picked par le ministre. Ce sont les mêmes qui étaient-là sur les précédents comités, même s’ils ont échoué les 4 fois, on les garde. S’il y avait eu les bonnes personnes sur ce comité, il n’y aurait jamais eu d’abattage.”

Le botaniste craint que cet acharnement sur les chauve-souris finisse par anéantir l’espèce. D’ailleurs, les répercussions ont déjà commencé à se faire sortir puisque le statut de la roussette sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) est passé de ‘vulnérable’ à en danger la plaçant, selon les estimations plus près de l’extinction. “Ça affecte notre réputation internationale puisque nous sommes le seul pays au monde à abattre une espèce endémique menacée d’extinction et dont le travail de pollinisation des plantes est primordial pour la faune endémique.”

Gain immédiat.

Il pense que, globalement, le réflexe du gain immédiat prend le pas sur les considérations environnementales à Maurice. “Sans environnement sain, on ne peut avoir de développement. En détruisant l’environnement, on accentue la pollution atmosphérique, on va se tuer avec des cancers. Nous avons un modèle archaïque qui sépare l’environnement du développement. Or l’environnement est un support pour le développement. Quel touriste s’intéresserait à venir nager dans des eaux souillées par l’huile ou dans un pays où l’érosion des plages s’accentue et où il y a des déchets partout ? Il y a encore beaucoup de recul, on continue à détruire des zones humides pour construire encore des hôtels.”
Son domaine de prédilection est la recherche autour des invasions biologiques et leurs impacts. Il évoque ainsi le singe qui est au coeur de l’actualité en ce moment. “On ne veut pas les contrôler malgré tous les dégâts qu’ils font. Les recherches que nous avons faites démontrent que le singe a un effet indirect sur la destruction des fruits dans les vergers. Le singe, qui est une espèce introduite, se nourrit de pigeons roses, d’autres oiseaux endémiques mais aussi de fruits verts. Du coup, il réduit la régénération des arbres, parce que les graines en sont pas encore matures et ne vont pas pousser. Or, ces fruits, qui sont de la nourriture pour les chauves-souris souris, ne leur sont plus accessibles. Elles doivent alors sortir des forêts pour se nourrir, ce qui les amène aux vergers et à vos cours. Si on réduisait l’impact des singes, on réglerait en partie les dégâts causés par les chauves-souris”

Séduit par l’écologie.

De la même manière, il pense qu’une meilleure gestion des espèces exotiques de plantes aiderait à bien des égards. “On a jusqu’à 35 fois moins de fruits et de fleurs dans les endroits où les arbres endémiques poussent avec des arbres exotiques autour d’eux. Il faut savoir qu’il y a environ 100 000 arbres endémiques qui meurent par an, et ce même dans les espaces protégés. Pensez intelligent, contrôlez les singes et les espèces de plantes exotiques, cela va créer un habitat rempli de nourriture qui encouragera la chauve-souris à rester dans la forêt.”

Il faut dire que le botaniste est tombé amoureux de la nature depuis sa tendre enfance alors qu’il habitait une cour très boisée. “Ma mère nous encourageait, ma soeur, mes frères et moi, à passer du temps de la nature à faire ce qu’on aime. Je collectionnais des morceaux de bois, des coquilles, des plumes d’oiseaux et même des crânes d’animaux que je gardais dans ma chambre à coucher. Ma mère m’a ensuite demandé de les mettre à l’extérieur et on a construit un kiosque à cet effet. Malheureusement, le kiosque a brûlé. Je dois dire également que je dévorais des livres sur la nature que je recevais pour mes anniversaires entre autres. L’écologie m’a un peu séduit.”

Nouvelles espèces.

À 16 ans, il allait à l’Île aux Aigrettes comme volontaire pour apprendre et aider avant de, plus tard, travailler pour la Mauritian Wildlife Foudation sur un projet de restauration écologique des forêts à Brise-Fer. C’est pendant cette période qu’il a reçu une bourse pour aller en Angleterre par la British High Commission. Il a, ensuite bénéficié d’un poste de chercheur au Kew Gardens en Angleterre avant de revenir à Maurice où il a travaillé de nouveau à la MWF puis à l’Herbier de Maurice avant de rejoindre l’Université de Maurice pour enseigner.

Pendant son passage à l’Herbier, il a fait partie de l’équipe qui avait retrouvé le le Trochetia parviflora, qu’on croyait éteint depuis 138 ans, sur la montagne Corps de Garde. Il a aussi beaucoup contribué à la découverte de nouvelles espèces endémiques. Une dizaine est aujourd’hui associée à son travail dont 3 qui ont été nommés d’après lui. Premièrement le mollusque endémique mauricien le Trobidophra vincentflorensi, qui était déjà éteinte lors de sa découverte. “C’est très excitant de découvrir une nouvelle espèce. Celle-ci fut découverte en 1996, elle se démarquait complètement des autres en étant complètement aplatie. Ce qui est tout aussi intéressant, c’est qu’elle se trouvait à 480 m d’altitude sur un site auprès d’ossements de tortues endémiques éteintes. On n’avait, avant ça, pas découvert d’ossements de tortues aussi haut, ce qui nous amène à penser que les tortues avaient un rôle écologique bien plus à l’intérieur des terres qu’on ne le pensait. Aujourd’hui, si on veut restaurer des forêts plus à l’intérieur des terres, il est permis de penser qu’il faudrait instaurer des tortues puisque les plantes qui y sont ont eu dans le passé l’impact des tortues.”
Florensi.
Il a aussi donné son nom au mollusque endémique malgache Edentulina florensi et le lichen Porina florensi. Pas plus tard que cette année, il a fait partie de l’équipe – avec son épouse Claudia Baider également botaniste – qui a découvert l’Angraecum baidere, une nouvelle espèce d’orchidée toute petite avec un très long éperon qui pousse dans la région humide de Macchabée. De même, toujours cette année et en compagnie d’Owen Griffiths, il a découvert un petit mollusque terrestre dans un ravin à côté de la rivière du Rempart à Cascavelle.
Sur un plan plus personnel, Vincent Florens confie qu’il n’a plus de poste de télévision depuis 2015. “J’ai vu que la télé m’insultait avec des infos complètement pourries, des antennes de propagande de partis politiques au pouvoir, je trouvais ça révoltant. Je me suis dit, si ça m’énerve autant, je ne devrais pas donner mes sous à la boîte. Cela me donne plus de temps avec mon épouse et pour le travail. À ce sujet, je limite mon travail à 54 heures par semaine, parce 60, 70 heures étaient très contraignant, ça ne me laissait pas beaucoup de temps pour faire autre chose.”

“Au niveau de la gestion de la conservation, il y a du bon, du moins bon et du franchement mauvais.”

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