23 mai 1999 — L’affaire L’Amicale : La plaie béante, 19 ans après…

La voix tremblante, le regard mouillé et les souvenirs toujours vivaces. Dix-neuf ans n’ont pas suffi pour faire oublier la douleur de ces pères, mères, frères et amis des sept personnes qui ont péri le 23 mai 1999 dans le terrible incendie de L’Amicale. Nous avons rencontré Jacqueline Sophie, Joseph Law Wing et Naseem Bohorun, 19 ans après, la plaie toujours ouverte. Comme si c’était hier, ils nous racontent…

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« Mo ti aste sorbe pou twa, me to pa’nn manze. » Telle fut la dernière phrase de Hakim Fawzy, qui a péri dans l’incendie de L’Amicale, dite à sa soeur Naseem Bohorun. La gorge serrée, elle nous confie qu’elle rencontrait pour la dernière fois son frère trois jours avant l’incendie à la rue Labourdonnais, il y a 19 ans. « Il avait acheté des sorbets pour tous les enfants de la famille. Je n’étais pas là, il est donc revenu me voir pour me parler. Je lui avais alors répondu qu’on aurait le temps d’en manger d’autres, sauf que ça n’est jamais arrivé… », nous confie Naseem Bohorun. Elle avait 20 ans lorsqu’elle apprend que son frère aîné Hakim Fawzy, croupier à L’Amicale, a péri dans les flammes.

La douleur est toujours là, même des années plus tard. « Vous savez, cela ne nous fait rien que ces quatre personnes aient été libérées. On est contents pour eux, mais en même temps, on aimerait que justice soit faite et que l’on sache qui a tué mon frère et ces autres personnes », lance-t-elle. « Mon frère n’était jamais malade. Quand il est parti, ma mère est devenue folle, nous sommes tous très affectés par cela, mais que voulez-vous, l’on continue d’avancer par la grâce de Dieu », dit-elle. « Ils sont heureux de l’autre côté, mais nous, nous ne retrouverons jamais nos proches perdus… », regrette-t-elle.
« Sur terre ou au ciel, les coupables paieront »

Jacqueline Sophie a 79 ans et le coeur très malade. Dans sa petite demeure à Résidences Vallijee, entourée de sa famille, elle nous raconte le jour de l’incendie où elle a perdu sa fille Jeannette Rambhoro, enceinte de huit mois. C’est avec Jordan Rambhoro, le fils de Jeannette, alors âgé de 4 ans, qu’elle a appris la nouvelle de la libération à la radio il y a quelques jours. « Jordan était encore petit. Il ne veut pas en parler ou en entendre parler. Li dir mwa so latet fatige », raconte Jacqueline Sophie. Souffrante, elle se souvient de tout, dans les moindres détails. Le soir de l’incendie, elle ne dormira pas, et se réveillera plusieurs fois durant la nuit avant d’apprendre la terrible nouvelle.

« J’avais le pressentiment que quelque chose allait se passer », dit-elle. « Mo ti dir Jeannette pa ale, ek li osi li pa ti anvi ale sa zour-la, me li’nn ale », raconte Jacqueline Sophie. « 19-an apre, kot mo pou kapav blie ? Zame ! Ziska mo dernie souf mo pou mazinn sa », confie-t-elle. Jacqueline Sophie, comme Naseem Bohorun, ne ressent aucune amertume, juste un sentiment de grande tristesse et d’incomplétude. « Je n’ai rien contre ces quatre personnes qui ont été libérées. Au contraire, on aimerait leur parler pour comprendre ce qui s’est passé. Me nou met tou dan lame bondie », nous dit Jacqueline Sophie.

Par ailleurs, dans une interview exclusive à Scope, Ricardo Rambhoro s’exprimait en début d’année sur cette tragédie qui lui enlevait son épouse Jeannette et son enfant, une petite fille qu’il attendait avec impatience. « Je laisse faire la police et la justice. Malgré les polémiques, je ne me sens pas concerné. Sur terre ou au ciel, les coupables paieront. Je n’ai de haine contre personne, encore moins contre une quelconque communauté […] Peu importe ce qui est fait ou pas, ce qui est certain, c’est que rien ne me ramènera Jeannette. Pour être perdant, je resterai toujours perdant. »

Le frère de Jeannette Rambhoro, Jacques Sophie, qui habite à Dubaï, veut lui aussi que justice soit faite. Ce dernier s’est ouvertement exprimé sur sa page Facebook et confie à Week-End qu’il ne comprend toujours pas le rôle des autorités dans cette affaire, près de 20 ans après. « Nous n’avons rien contre ces personnes libérées. Nous voulons juste savoir si l’enquête nous donnera réellement des réponses. Depuis la mort de ma sœur, nous n’avons jamais su ce qui s’était réellement passé. Je me sens déçu, triste et perdu, car rien n’a été fait au niveau de la police. Vous savez, il s’agit avant tout de faire la lumière sur ce qui s’est passé à ces personnes qui ont perdu la vie. Il faut que justice soit faite », a-t-il confié à Week-End hier soir.

Le couple Law Wing s’est également exprimé la libération des quatre condamnés dans l’affaire L’Amicale. « Tou dan lame bondie aster », nous confie Joseph Law Wing, assis dans son petit appartement à Chinatown. Visiblement affecté par le trop-plein d’émotions et la présence médiatique exacerbée des derniers jours, il semble épuisé. « Mo latet fatige. Depi zedi, nou latet pe fatige avek sa », confie-t-il timidement. « Je n’avais qu’un seul fils… », nous lance tristement Christina, son épouse. « Nous ne voulons plus penser à cela, nous avons tout perdu. Il aurait eu 52 ans cette année. C’est très dur de repenser à tout cela », dit-elle.

Le couple garde précieusement la photo de leur fils, Jean-Pierre, comptable, dans sa robe de jeune diplômé. « Il était un garçon bien élevé, tout le monde le savait et le félicitait pour cela », nous dit Joseph Law Wing, esquissant un léger sourire. « C’est très dur pour nous… », répète-t-il. « C’est très dur… », nous disent-ils tous… 19 ans après la disparition de Yeh Lin Lai Yau Tim (34 ans), Jean-Alain Law Wing, Eugénie, 2 ans, Catherine, 6 ans, Jeannette Rambhoro, Krishna Luckoo et Abdoo Hakim Fawzi.


Cassam Uteem en 1999 : « C’est un jour de deuil national »

« C’est un jour de deuil national. » C’est ce que déclarait le président de la République Cassam Uteem au Mauricien, le 28 mai 1999. Il visitait les familles Fawzy, Luckoo et Lai Yau Tim. Un jour de deuil qui a vu un déferlement de solidarité de toutes parts, avec des hommages rendus par des écoliers, des employés de bureau, des chefs religieux. « À 9h, des enfants de l’école Notre-Dame de la Paix, accompagnés de leurs enseignants, apportaient des fleurs ; ils étaient suivis d’élèves du couvent de Lorette. Le collège London a aussi mobilisé ses élèves […] De nombreux jeunes se sont aussi rendus au domicile de la famille Lai Yau Tim pour se recueillir », lisait-on dans l’édition du Mauricien du jour. Ce jour-là, tous les business, suivant l’ordre du Joint Economic Committee, fermaient les portes pendant une heure à partir de 14h, en solidarité avec les familles endeuillées.


Burty Sam : « Je ne peux qu’éprouver de la tristesse »

« C’est un expérience traumatisante. Quand j’y repense, je ne peux qu’éprouver de la tristesse », nous confie Burty Sam, qui travaillait le soir de l’incendie, il y a 19 ans. « Ces derniers jours ont éveillé en moi de nombreux souvenirs que j’aurais préféré ne pas avoir », dit-il. « Attendant » à l’époque, il se trouvait au premier étage. « J’ai entendu un grand bruit, et c’est alors que les machines à sous ont commencé à exploser une à une », raconte-t-il. Burty Sam se souvient avoir aidé les sapeurs-pompiers à sortir les corps de la maison de jeu. « Je connaissais ces gens-là, je les ai côtoyés, c’est très triste… », dit-il.

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