Agression de Bradley Vincent : La rage routière, l’ennemie des automobilistes

«Dans les embouteillages, tu penses autant au temps qu’au temps, où tu n’auras plus d’ongles et où tu te mangeras les dents… », chantait le musicien français Sanseverino. Des paroles qui parleront à plus d’un. Ça klaxonne, ça enfreint les codes routiers, et ça crie. Bref, les conditions sur nos routes sont devenues pour le moins stressantes. Le cas d’agression du nageur Bradley Vincent, avant-hier à Jumbo, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Qu’est-ce qui explique ce phénomène de road rage ?

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Le rond-point de Jumbo aux heures de pointe est un véritable casse-tête pour les automobilistes et pour les fous du volant… Avec l’afflux de voitures du Sud en direction du Nord et vice-versa, les heures d’attente s’allongent, tandis que les automobilistes, pressés, attendent le moment parfait pour se faufiler entre les voitures, histoire de grignoter quelques minutes d’avance.

En effet, si l’on est plusieurs à avoir eu l’envie d’insulter voire de cogner un chauffard trop pressé, très peu le feront. Seuls quelques grincements de dents et deux-trois petits commentaires feront l’affaire, mais ces derniers temps, les “fous du volant” semblent moins capable de se maîtriser.

« Il n’y a pas une explication précise pour ce genre de comportement », nous explique une psychologue de passage à Maurice. « Ce genre d’incident est souvent le cumul de plusieurs facteurs de stress, notamment individuel et situationnel. Bien sûr, cela n’excuse en rien que l’on passe à l’acte, et notamment ce type d’agression», dit-elle. Cette dernière nous avance que ce genre d’incident devient très courant, compte tenu de l’évolution de nos modes de vie, qui deviennent de plus en plus stressants.

Elle nous explique, par ailleurs, que les facteurs individuels, par exemple, « les petites disputes à la maison, le manque de sommeil ou autre chose », peuvent faire que l’automobiliste, débordé émotionnellement, psychologiquement et psychiquement,
« décompense ». Excédé, il finit par péter… un câble et peut agresser une personne. Quant aux facteurs situationnels, la psychologue explique que, « par exemple, se retrouver bloqué dans les embouteillages pour la troisième fois dans une semaine peut faire monter le niveau de stress chez un individu. Les deux combinés font qu’un individu passe à l’acte, soit décompense, comme on l’appelle en psychologie. » Autant de facteurs qui peuvent conduire un individu à passer à l’acte.

Un « débordement émotionnel » qui nous concerne tous. « Nous sommes tous stressés au volant, tout le monde a ses soucis individuels mais l’on arrive, pour la majorité, à maîtriser ce débordement émotionnel », avance-t-elle. Aussi, cet élément d’empressement sur nos routes, afin d’arriver tôt au travail de peur des représailles, serait aussi un des facteurs majeurs de stress. « Un salarié en souffrance ne l’est jamais à cause de la charge de travail, mais plutôt surtout à son manque de liberté d’action et de prise de décisions. L’employé n’est pas satisfait au travail et rentre chez lui frustré et, justement, débordé émotionnellement », souligne la psychologue.

 Sept points de suture pour cause d’embouteillage

Le champion mauricien de natation, Bradley Vincent,  s’est fait agresser, jeudi, par un chauffeur de van scolaire à 7h45, au rond-point de Jumbo. Alors que le nageur sortait de ses entraînements au SPARCS, à Médine, il a été sauvagement battu par un chauffeur de van scolaire qui se trouvait derrière lui.et qui klaxonnait sans relâche. Lorsqu’il est sorti de sa voiture, Bradley Vincent a été asséné de coups avec un câble métallique. Il a alors saigné abondamment de la tête. Heureusement qu’il s’est saisi du câble et a pu le jeter au loin pour se protéger. L’agresseur a lui soutenu que Bradley Vincent était au téléphone et retardait la circulation.

Étrangement, les autres conducteurs n’ont pas bronché et ont laissé Bradley Vincent à la merci de son agresseur. Hospitalisé et avec sept points de suture, Bradley Vincent ne comprend toujours pas ce qui s’est passé. En tout cas, cela perturbera sa préparation pour les  prochains Championnats d’Afrique.de natation en septembre prochain.

Alain Jeannot : « Le respect est la valeur clé pour la route »

Alain Jeannot, de l’association Prévention routière avant tout (PRAT), est catégorique : les sanctions doivent être plus sévères. Week-End lui a posé quelques questions sur ce phénomène de road rage qui gagne du terrain.

Le cas de Bradley Vincent est un énième cas de violence routière à Maurice. Pourquoi le nombre de cas augmente-t-il, selon vous ?

Beaucoup de Mauriciens ont une propension à être impulsifs et agressifs. Sans contrôle, ils ont tendance à avoir recours à la violence pour résoudre les conflits. Le taux d’agression en témoigne : 12 000 en moyenne chaque année ! Ce qui fait trois agressions rapportées toutes les deux heures, et cela ne date pas d’aujourd’hui. En 2011, 14 149 agressions avaient été rapportées à la police. 98% de ces cas de brutalité sont certes catégorisées en simple assauts, mais ce sont des expressions de violence tout de même. Dans un tel contexte, lorsque l’accès à la propriété aux véhicules, donc le nombre de chauffeurs aussi, augmente de 550% en 40 ans et continue à grimper de 4,5% chaque année, sans oublier le style de vie qui devient de plus en plus stressant, nous pouvons imaginer les risques d’une augmentation de cas de violence routière.

La road rage serait due à quoi, selon vous ?

D’abord, à la psychologie du chauffeur, qui a tendance à l’agression pour résoudre les problèmes. Mais il est clair qu’un style de vie où nous nous imposons des agendas serrés dans un contexte difficile, par exemple congestion routière, manque de sommeil, déficit dans le recul sur soi-même, etc., ne fait qu’empirer la situation.

Que faire pour y remédier ? Éducation ? Plus de sanctions ?

Tout d’abord, respect strict du code de la route, car ce sont souvent les entorses à ce langage commun qui irritent. Ensuite, l’éducation à un contrôle de ses émotions. Méditations, prières, musique douce peuvent aider certainement. Mais surtout une éducation à vivre pleinement le sens du respect, de soi d’abord, mais aussi du prochain qu’on agresse et avec qui on partage la route. Le respect est la valeur clé pour la route. Évidemment, il y a la dimension des sanctions qui font comprendre que nous vivons dans un état de droit civilisé, où la loi du plus fort ou du plus barbare n’a pas sa place. Si les cas de road rage ne sont pas visiblement sanctionnés, j’ai bien peur pour l’aspect dissuasion qui est déterminant dans le respect des lois. Si les cas de road rage font la une des médias alors que les sanctions qui s’ensuivent ne sont pas médiatisées ou ne semblent pas correspondre aux préjudices causés, il est clair que les contravenants potentiels ne seront pas découragés.

Le Mauricien, serait-il donc plus chauffard que chauffeur ?

Beaucoup de Mauriciens sont chauffeurs, mais une partie est chauffard. D’une part, par une mauvaise formation, d’autre part, ils saisissent l’occasion de le devenir puisque c’est dans leur petit intérêt égoïste et impuni.

Les cas notoires de “road ragers”

En France, un automobiliste « en excès de vitesse risque de deux à quatre mois de prison ferme pour avoir effectué un geste déplacé en passant devant des radars automatiques», rapporte le journal en ligne leparisien.fr. Et à Maurice, cela donne quoi, un doigt d’honneur? Le cas de “la dame au doigt d’honneur”, soit Josie Lapierre, qui se livrait à cœur ouvert dans un entretient à Week-End en 2011, restera dans les annales. Le procès que lui intentait la police pour « outrage et doigt d’honneur à un motard » a été rayé par la Cour intermédiaire en 2011. Celle qui avait défrayé la chronique disait : « Je persiste et je signe, la manière dont les motards des VVIP se comportent pour obliger les automobilistes à se rabattre sur le bas-côté de la route afin de laisser passer leurs cortèges peut mettre la vie des gens en danger. »

Puis il y a ce qui est sans doute le plus connu des cas d’agression routière, l’affaire Yatin Varma/Florent Jeannot. Accusé d’avoir frappé au visage le jeune homme, qui roulait le long de l’avenue Trianon 2 en direction de Curepipe venant du centre de Quatre-Bornes, Yatin Varma a quant à lui été acquitté une année après les faits, soit en 2014. Cette affaire, très médiatisée, mettait pour la première fois en lumière un problème déjà existant. Alors que les petits cas usuels de rage routière — qui deviennent souvent des anecdotes que l’on raconte lors des repas familiaux —, étaient relégués au second plan, cette fois, les choses prenaient une tout autre tournure.

Autre cas connu est celui de l’accident survenu à Gros Cailloux en début d’année impliquant une voiture et une motocyclette. La vidéo, provenant d’une caméra de surveillance, partagée des milliers de fois sur Facebook, avait suscité de nombreuses réactions de la part des internautes. Le conducteur de la voiture, qui était accompagné de sa femme et de ses enfants, avait été lynché par d’autres motocyclistes. Autre cas, parmi tant d’autres, est celui d’Agasthamuni Gujadhur, 83 ans, propriétaire de chevaux de course au Champ de Mars, survenu en début d’année. Comme le rapportait lemauricien.com, l’homme « a été insulté par un automobiliste imprudent et a porté plainte au poste de police des Line Barracks. »

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