Agression pédophile à Anoska – 
Un drame sur fond d’alcool et de précarité

La victime, une fillette de 3 ans, son frère, 6 ans, et ses soeurs de 9 et 13 ans en placement. Leur mère arrêtée hier

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Parce qu’elle s’est endormie, ivre, Sylvia Revat nous a raconté avant son arrestation vendredi soir pour « exposing child to harm » et « illtreatment », qu’elle n’a pu surveiller sa fille de 3 ans. L’agression sexuelle de cette fillette par un pédophile, dimanche dernier à Anoska, a ravivé de mauvais souvenirs. Notamment le viol et le meurtre d’Edouarda Gentil, 11 ans, en 2015. Elle vivait dans la même cour que la petite victime dont le présumé agresseur n’est autre que l’oncle de l’adolescente. Mais, il n’y a pas que cela Le drame de dimanche dernier s’est passé dans une cour composée de maisons délabrées où des enfants sont exposés à la promiscuité, l’alcool et la précarité. D’ailleurs, la sœur âgée de 9 ans de la petite victime avait auparavant subi des attouchements par un homme, parenté au présumé pédophile.

Admise à l’hôpital après son agression, la fillette a été depuis placée dans un abri pour enfants et se trouve sous la protection de l’Alternative Care UnitSa mère, qui avait été autorisée à rester au chevet de la petite pendant son hospitalisation, nous donnait de ses nouvelles, vendredi dernier, la veille de son arrestation. « Li’nn bien refer. Li pe zwe, li pe sot partou. Li manze tou bien, li dormi  » C’est son fils de 6 ans (qui a passé la semaine aux côtés de sa mère et de sa sœur à l’hôpital) qui, dit-elle, aurait « tout vu » de ce qui s’est passé dans cette maison à Anoska. « Mo zenfan inn dir mwa kisannla inn fer sa. Enn zanfan pa pou koz manti », affirme-t-elle.

C’est dans une petite pièce délabrée, construite entre les murs de différentes cases et qui sert de maison à la tante du présumé agresseur, que le drame s’est déroulé. C’est aussi dans cette pièce que vivait la fillette avec sa mère et son frère depuis quelques mois. Au courant de la journée de dimanche dernier, la mère et l’enfant dormaient sur un matelas posé sur un support à même le sol. « J’avais bu », concède cette dernière. Ce jour-là, la tante du présumé agresseur (Cliff Richard Perrine), le cousin de celle-ci et la mère de la petite victime avaient consommé de l’alcool. À un certain moment de la journée, les adultes ont eu sommeil. « Ma fille s’est mise contre moi et nous avions dormi. Kan mo’nn bwar mo dir ou fran, mo pa tann narye », dit-elle. « Mon fils, lui, jouait avec celui de mon amie, qui elle dormait aux côtés d’un proche », poursuit celle-ci. « À un moment, je me suis réveillée et j’ai vu Cliff qui dormait à mes côtés. Je me suis rendormie jusqu’au moment où ma fille m’a réveillée. Elle tirait sur mes vêtements. C’est là que je l’ai vue en sang. Personne ne s’était encore réveillé », raconte la mère.

Avant d’alerter la police,

sa mère achète de la bière

Dans la pièce en tôle insalubre, sans sanitaires, où le froid et la pluie pénètrent par toutes les fissures, la tante du présumé violeur nous assure que « c’est Cliff qui, en nous rendant visite, a vu l’enfant dans une mare de sang et a réveillé sa mère. » Mais pour la mère de l’enfant, « la famille de celui-ci le protège. » Elle affirme que c’est elle qui a réveillé son amie pour lui montrer l’état de la fillette. « Je n’avais jamais vu autant de sang chez moi », dit la tante du présumé pédophile. Cette dernière, qui concède qu’elle avait bu du rhum, « Mo abitie bwar », explique qu’elle s’est réveillée lorsque son neveu est arrivé chez elle. « La réaction de la mère m’a étonnée. Elle a pris du temps à réaliser ce qui se passait. Li ti ankor sou. Elle s’est levée et s’en est allée ! » 

De son côté, la concernée réfute en affirmant qu’elle a été choquée de voir sa fille ainsi. « Li ti feb. Je lui ai donné à manger, puis je suis sortie pour me trouver une cigarette En route, je me suis rendue chez une autre amie pour emprunter une couche pour ma fille. Elle devait aussi me prêter de l’argent pour que j’aille à la police. Mais auparavant, elle m’a demandé d’aller à la boutique pour lui acheter de la bière. C’est ce que j’ai fait avant de me rendre au poste de police », raconte la jeune femme. Cette dernière dit avoir alerté la mère de Cliff Perrine. « En effet, j’ai été voir l’enfant ! Je lui ai demandé qui lui avait fait ça. Mais elle ne m’a pas répondu », explique la mère du présumé accusé.

À Anoska, l’entourage du présumé pédophile s’acharne à le défendre. À commencer par sa tante. Âgée de 35 ans, cette dernière, insiste « ki imposib Cliff inn fer sa. » La mère de l’homme abonde dans le même sens. « Mais si j’apprends que mon fils est le vrai coupable, je le laisserai avec sa conscience », dit-elle.

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Imbroglio familial

– Edouarda Gentil était la nièce du présumé agresseur pédophile

L’agression sordide de la fillette de trois ans a pour toile de fond un environnement familial fragilisé depuis des années par une série de problèmes sociaux (alcool, grossesse précoce, précarité, instabilité, déscolarisation) et marqué par des drames, dont le viol et le meurtre en 2015 d’Edouarda Gentil, âgée alors de 11 ans. La jeune fille, qui avait disparu pendant une fête familiale à Anoska, n’était autre que la nièce du présumé pédophile Cliff Richard Perrine. La grand-mère maternelle d’Edouarda est donc la mère de l’homme en détention. Quant à Sylvia Revat, la mère de la fillette, elle est une habituée de la cité et de la famille du présumé violeur.

Une des sœurs de Sylvia avait été la compagne du frère aîné de Cliff Perrine, avant que le couple ne se sépare. En septembre dernier, la sœur de Sylvia, âgée alors de 32 ans, est morte asphyxiée après que son dernier compagnon ait plongé sa tête dans une barrique d’eau, non sans lui avoir infligé des coups. À Anoska, on raconte que Sylvia aurait fréquenté le bourreau de sa sœur avant de le quitter. « Quand elle l’a lâché, elle était enceinte de son troisième enfant », dit-on. Marié et père de quatre enfants, Cliff Perrine vit séparé de sa femme. Depuis, il vit seul dans une pièce à côté de la maison de ses parents. Avant que ne se produise le drame de dimanche dernier, deux proches de la famille Perrine se sont suicidés.

Âgée de 29 ans, Sylvia, originaire de la région de Curepipe, avait envisagé de construire une maison de fortune sur un terrain de l’État à Anoska. « Mo ti’nn fini gagn tol. Me ziska mo ranz lakaz, mo’nn al res kot sa kamarad-la. » À vendredi matin, elle se doutait que son arrestation allait être imminente. Mais elle s’est défendue d’être une mauvaise mère. « Je me suis toujours assurée que mes enfants aient à manger », dit-elle. Déscolarisée alors qu’elle n’était qu’en Std IV, Sylvia Revat, qui dit travailler sur des chantiers, a eu son premier enfant à l’âge de 16 ans. Sans domicile fixe, elle ne peut s’occuper de son aînée et de sa cadette, lesquelles avaient été placées dans un shelter avant d’aller vivre auprès d’une proche de la jeune femme. Mais à Anoska, d’aucun s’accordent à raconter comment « so bann zanfan ti pe mars lor sime, mem aswar. »

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La CDU se défend de négligence

Les quatre enfants de Sylvia Revat sont désormais en placement. Parce que les deux filles, âgées de 13 et 9 ans de la jeune femme sont retournées dans la cellule familiale après avoir été placées dans un abri, la Child Development Unit (CDU) se défend d’avoir été négligente dans cette affaire. Les enfants ont été placés non parce qu’elles étaient maltraitées, mais parce que leur mère n’avait pas de domicile fixe. Pour la CDU, la grand-mère qui a eu la garde des enfants était apte à recueillir les fillettes. Mais, selon les autorités, elles ne peuvent être tenues responsables du comportement de la mère. D’ailleurs, lors d’un point de presse hier matin, la ministre de l’Égalité des Genres, Kalpana Koonjoo-Shah a remis les pendules à l’heure sur la responsabilité parentale en commentant cette affaire. Si les autorités ont le devoir de protéger les enfants, il en est de même pour les parents a-t-elle fait ressortir.

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Billet

Elle a payé fort l’irresponsabilité des adultes

Dans l’environnement qui lui a été imposé – parce qu’à 3 ans on n’a pas d’autre choix que de suivre des adultes -, tous les facteurs étaient réunis pour qu’une petite fille subisse ce qu’il peut y avoir de plus horrible pour un enfant. Notamment sentir le poids d’un adulte sur soi et subir un abus sexuel. Le pire, c’est que là où s’est déroulée l’agression de cette fillette, ces facteurs sont toujours là et sont propices à un autre drame similaire. Il y a 5 ans, c’est dans ce même environnement insalubre – nous pesons nos mots – qu’un prédateur sexuel avait repéré sa proie : Helena Edouarda Gentil, 11 ans alors. Il l’avait entraînée dans les environs d’une chasse avant de lui ôter la vie.

Depuis, le mode de vie entre les cloisons en tôles fissurées de ces quelques cases imbriquées les unes dans les autres n’a pas changé. Le cercle vicieux de la précarité et de la promiscuité n’a pas été rompu. Bien au contraire Il y a eu même pas mal de naissances. Dans ce contexte où le cumul de problèmes mène à la précarité, les enfants sont les premiers à subir les conséquences néfastes de la pauvreté et des adultes. Et tant que ces foyers à Cité Anoska ou ceux d’ailleurs sont abîmés par l’alcool, les substances et les dérives, il y aura d’autres Edouarda et petites filles violées. Attention, les abus sur des enfants ne se passent pas uniquement dans des maisons croulant sous la pauvreté. Mais il est un fait que les enfants tout comme les femmes sont encore plus vulnérables et plus exposés à des risques d’abus dans les milieux matériellement précaires.

Au lendemain du meurtre d’Edouarda Gentil, ministres et députés de l’époque avaient, devant les caméras, pris Anoska sous leurs ailes en faisant des promesses non tenues depuis. Il était question de faire de ce quartier une poche de pauvreté prioritaire, d’améliorer les infrastructures et de s’attaquer aux problèmes de logement, entre autres. Puis, le temps est passé, Edouarda a été oubliée et Anoska a été lâchée. Et les « autorités » ou les politiciens en quête de visibilité ont fait ce qu’ils savent mieux faire quand il s’agit d’Anoska. Tourner les talons ! Venir à bout aux problèmes sociaux dans cette localité de 16e Mille, beaucoup ont essayé. Les réussites, parce qu’il y en a, se comptent rapidement.

Le cas de la fillette de 3 ans est aussi un violent rappel de la difficulté qu’ont les différentes autorités dans leur approche quand il s’agit du combat contre la pauvreté. S’attaquer à ce problème sans une approche humaine et de proximité ne pourra donner des résultats escomptés. Débourser Rs 12 milliards pour construire des maisons sociales pourvoira certes un toit plus solide aux foyers pauvres, mais sans accompagnement structuré et un suivi systématique, ceux-ci livrés à eux-mêmes entre quatre murs en béton resteront en marge de la société avec leurs problèmes sociaux. Anoska en a fait les frais ! Nous l’avons déjà écrit, ce quartier porte encore aujourd’hui les séquelles d’un abandon, il y a 21 ans, quand les 77 familles d’origine rodriguaise ont été évacuées de La Pipe pour s’installer dans leurs nouvelles maisons. Mais la cité a été privée d’une intégration socio-économique qui a fini par faire d’elle une région où prolifèrent des problèmes sociaux transgénérationnels en tous genres. Parmi lesquels la sexualité précoce et les grossesses qui en résultent.

L’urgence d’une politique de contrôle de naissance est réelle dans les milieux pauvres à Maurice. Si la National Empowerment Foundation veut croire que les programmes de life skills dans les centres communautaires suffisent pour encourager une sexualité responsable et contrôler les naissances dans des familles nombreuses vivant dans des poches de pauvreté, elle se trompe ! Tout comme on se tromperait sur la finalité des assistances financières si on ne prend pas la peine de mesurer les progrès, tant sur le plan humain qu’économique des plus vulnérables et les quelque 10 000 bénéficiaires du Social Register of Mauritius.

Si la pauvreté est la cause de plusieurs maux, elle ne peut pour autant excuser l’irresponsabilité des adultes envers les plus petits. Malheureusement, la petite victime d’Anoska a payé très fort ce prix !

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