Air Mauritius : Le drame est aussi humain

La nouvelle les a mis à terre. Partagés entre incertitude du lendemain, angoisse et colère, les employés d’Air Mauritius vivent le crash de leur compagnie comme une catastrophe qui les touche au coeur. Dans l’attente des développements, ils sont en présence des pires spéculations. Ce qui plonge plusieurs dans des situations de détresse profonde. Aucun d’entre eux ne s’attendait à un tel scénario. S’ils sentent leur avenir professionnel compromis, ils craignent aussi que cela n’affecte grandement leurs projets et ceux des membres de leur famille. Convaincus d’avoir fait de leur mieux pour permettre à Air Mauritius de voler haut dans le ciel, ils reprochent aux différents gouvernements et aux différents responsables d’avoir géré la compagnie en tenant davantage en considération des critères politiques et de petits copains. Ce qui a mis du plomb dans l’aile de la compagnie.

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Ils voyaient venir le crash, mais ne s’attendaient pas à ce que la compagnie d’aviation nationale, avec plus de 50 ans au compteur, piquerait du nez du jour au lendemain. Du moins, ils s’attendaient à ce qu’un plan de redressement soit élaboré. Et ce, « avant même le Covid-19 », disent-ils, car il y avait des signes que l’entreprise était au plus mal. Avec l’arrêt des vols en raison du confinement, cela n’a fait qu’accentuer les craintes. Et la nouvelle, tombée mercredi après-midi, notamment via la presse et les réseaux sociaux, a eu l’effet d’un véritable électrochoc. « Je ne m’attendais pas à ce coup-là. Pas nous, pas Air Mauritius », dit D.M, employé chez MK depuis 30 ans.

Comme lui, la plupart des quelque 3000 employés d’Air Mauritius ne voulaient pas y croire. « Mais la réalité était là. Le nuage s’est épaissi subitement », dit-il. Et de faire ressortir qu’en outre à MK, une grosse majorité d’employés compte une vingtaine, une trentaine d’années d’expérience. « Nous avons connu des zones de turbulences, mais avons toujours su relever la tête. L’entreprise a toujours su remonter les pentes. Nous avons tellement donné de nous-mêmes pour notre entreprise que la savoir aujourd’hui sous administration volontaire nous attriste », dit-il.

« Depuis que la nouvelle est tombée, nous sommes tous dans le même état. Nous sommes profondément bouleversés, frustrés. Nous pouvons même parler d’un traumatisme, alors que le confinement était déjà compliqué pour tout le monde », raconte C.P, une des employées. Sur les différents forums de discussions, le moral est au plus bas, l’incertitude fait penser au pire : « Que ferons-nous s’ils décidaient de fermer Air Mauritius ? Comment travaillerons-nous ? Comment ferons-nous vivre nos familles ? » dit-elle. Et de relever que « dans toutes les grandes discussions en cours, nous sommes les oubliés ; nous les employés pour qui la mise en receivership d’Air Mauritius est un drame encore plus profond », dit C.P.

Colère et incompréhension

Les questions et les interrogations reviennent, dit-elle. Mais aucune réponse. « Nous guettons la moindre information pour voir ce qu’ils feront de nous. Jusqu’ici, les discussions concernent les finances, l’économie, les avions. Mais que font-ils pour nos vies ? » Surtout, précise-t-elle, que plusieurs familles n’ont pour moyens financiers que les salaires obtenus d’Air Mauritius. « On compte un nombre de couples au sein de la compagnie. Ces familles ont des enfants et des frais. Qui s’en occupe ? Qui se soucie de notre état d’esprit. »
À cette incertitude s’ajoutent de la colère et de l’incompréhension. Vu les circonstances sur le plan mondial, les employés de MK savaient que les choses allaient être plus difficiles, mais pas à cet extrême. Ce qu’avance également K.B, membre du personnel navigant depuis plus de 20 ans. « Certes, il y a le Covid-19, mais comment arrivons-nous à une situation extrême ? On veut nous faire croire que c’est le Covid, mais c’est le résultat de tout un management, ou plutôt un mismanagement. La compagnie est supposée avoir trois mois de réserves. Où sont-elles passées ? Difficile de comprendre une telle situation, surtout qu’Air Mauritius a entrepris comme stratégie d’avoir des avions toujours remplis. Nos vols n’ont jamais été vides », dit cet employé.

Marié et père de trois enfants scolarisés dans des institutions privées à Maurice, il entrevoit très mal l’avenir. « Les choses sont floues. Il y a des rumeurs. Nous ne savons pas vraiment à quoi s’attendre », dit-il. Avec trois enfants, les choses ne seront pas évidentes pour sa famille, dit K.B. Depuis mercredi, il avoue avoir perdu le sommeil. « J’ai des engagements financiers pour ma maison. Mes enfants vont à l’école. Nous devons envisager toutes les options. Il nous faut prendre les devants en attendant une communication officielle », dit-il, ajoutant qu’outre les appréhensions, c’est aussi la tristesse qui l’anime.

La perpétuelle ingérence politique pointée du doigt

Un sentiment partagé par plusieurs autres employés de MK. « Nous sommes tristes de voir une compagnie que nous avons connue à ses heures de gloire, que nous avons rejointe avec fierté, que nous avons choyée et dont nous sommes heureux de faire partie et pour laquelle nous nous sommes dévoués corps et âme se retrouver comme cela, sur le pavé », disent-ils.

Ces employés font ressortir que la réputation d’Air Mauritius à l’international et ses nombreuses récompenses relevant du professionnalisme de ces employés, aujourd’hui des oubliés. « Oui, Air Mauritius est une entreprise, mais c’est avant tout des visages. Des personnes derrière qui se vouent à la tâche. Ce sont des familles sacrifiées parce que le personnel doit être au front pour faire rouler l’entreprise, mais aujourd’hui cette reconnaissance pour les employés semble secondaire. Personne ne parle de nous, personne ne parle de notre avenir », disent-ils.

S.K, une autre employée maman de deux enfants est elle aussi très bouleversée. “Après plus de vingt ans dans la compagnie, c’est dur de la retrouver dans une telle situation. Et aujourd’hui encore les employés sont des oubliés”, dit-elle. Elle fait aussi ressortir qu’il a fallu plusieurs batailles ces dernières années pour pouvoir sauvegarder les conditions de travail alors que le management choisssait de réduire les coûts pour les petits employés mais augmenter les priviléèges des “petits copains”. C.P abonde dans le même sens. « Cela fait plus de 20 ans que je travaille pour Air Mauritius. Comme la plupart de mes collègues, je me suis dévouée à la tâche. Nous avons tout fait pour consolider la réputation de notre compagnie en offrant le meilleur de ce que nous pouvions. Aujourd’hui, nous sommes tributaires d’une mauvaise gestion qui n’a jamais cessé, peu importe le board ou le gouvernement qui étaient en place », ajoute cette employée. La perpétuelle ingérence politique dans les affaires de la compagnie a mis du plomb dans l’aile, ajoute-t-elle. Combien de fois le personel a essuyé des critiques par rapport à la qualité du service alors que ce ne sont pas les employés les responsables mais le résultat des décisions prises par la direction? Combien de fois il y a eu des décisions prises mais qui n’ont pas fonctionner et que malhreusement le personell a dû accepter? À titre d’exemple, les employés d’Air Mauritius citent l’ouverture du corridor Asie-Afrique. « Dès le départ, nous avons vu que cela ne marchait pas. Mais pour quelconque raison, sans doute pour satisfaire certains qui ont des intérêts directs et personnels suivant cette desserte aérienne, la compagnie a persisté, avec pour résultat des pertes. Aujourd’hui, c’est tout un pays qui pâtira en raison d’un mismanagement », disent-ils.

Et de déplorer que les différents changements de management avec, à chaque fois, à la tête un énième nominé politique proche d’untel ou d’untel, est aussi un des éléments ayant mené à la perte de MK. La composition du board même d’Air Mauritius suscite des interrogations. Comment des gens, spécialistes en tous genres, qui ne connaissent cependant rien à l’aviation, sauf pour leur proximité avec certaines personnalités, peuvent se prétendre à prendre des décisions ? demandent les employés.

« Pendant que ces grands messieurs prennent des décisions qui répondent davantage à leurs intérêts, nous, nous avons continué à faire preuve du même professionnalisme. Ils viennent, ils décident de choses qui ne fonctionnent pas et puis s’en vont en recevant des compensations faramineuses sur notre dos. Ce sont tous ces abus qui ont contribué à cette situation. »

Pénible attente

Est-ce un mal pour un bien ? Les employés d’Air Mauritius s’interrogent. « Il n’y a aucune réelle communication. On entend des choses ça et là, et personne pour nous rassurer. Quel sera le plan d’avenir ? Il est du devoir de la compagnie de communiquer avec ses employés au plus vite. Il y va de la survie d’Air Mauritius, mais aussi de la survie de centaines de familles », disent-ils. Ils restent également sceptiques quant à nomination des administrateurs de la compagnie d’aviation aérienne nationale, sur qui plusieurs interrogations pour conflits d’intérêts ont été soulevées.

Face à l’effondrement de la compagnie d’aviation nationale, les employés d’Air Mauritius se demandent comment va évoluer la situation. L’attente est pénible, dit C.P. « Surtout que nous ne savons pas jusqu’à quel moment il faudra attendre. Personne n’a eu la décence de nous faire parvenir une correspondance. Nous avons appris la mauvaise nouvelle en même temps que la population. Tout cela prouve que la considération humaine n’est pas à leur agenda », dit-elle. D’où son appel : « Prenez une seconde et souvenez-vous qu’Air Mauritius ce n’est pas que des avions et des millions. Air Mauritius c’est aussi ces milliers de personnes qui se dévouent corps et âme. Ce sont autant de visages qu’il vous faut prendre en considération dans les décisions que vous prenez. »

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