Après les contaminations et les morts dans les hôpitaux publics : L’inquiétante normalité

Services essentiels de la santé et de protection des malades, certains hôpitaux publics, Souillac, Rose-Belle, Pamplemousses, Flacq et Candos, et même des cliniques privées, se sont transformés en un lieu où le risque de contracter la Covid-19, donc de trouver éventuellement la mort, a nettement augmenté ces jours-ci. A qui revient la faute? Le ministère de la Santé en première ligne qui n’a pas su prémunir ces lieux où l’on sauve des vies contre la possibilité de contamination potentiellement mortelle, mais aussi toute une chaîne de dysfonctionnements, aux manques de responsabilités de certains soignants, des malades et leurs visiteurs qui ne respectent pas toujours les gestes barrières. Il faudra, le moment venu, faire le bilan de ces graves manquements et situer les responsabilités derrière la mort, provoquée par la Covid, qu’on le veuille ou non, de ces êtres vulnérables que sont les dialysés ou ceux atteints d’un cancer. Le Mauricien/Week-End est allé constater de visu ce qui se passe à l’hôpital Candos, jeudi dernier. Nos journalistes sont revenus stupéfaits de l’inquiétante normalité qui règne dans les activités de cet hôpital. Presque du «business as usual» pour un pays en confinement où le nombre de contaminations ne cesse de croître et où la confiance dans les communicants et les chiffres qu’ils distillent n’inspirent pas toujours la confiance voulue…

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Les hôpitaux n’ont pas cessé de fonctionner depuis le confinement. Heureusement. Cependant, après les nouvelles infections à la Covid enregistrées dans différentes régions de l’île, les autorités ont demandé aux patients d’éviter de s’y rendre, renvoyant ainsi les rendez-vous et n’accueillant que les cas urgents. Sauf pour les patients aux pathologies graves qui requièrent, comme pour le cancer, la dialyse ou les soins cardiaques… leur traitement. Or, la situation dans les hôpitaux, avec les cas positifs détectés parmi le personnel médical et les patients venus recevoir des soins est préoccupante. Et davantage au vu de la normalité dans laquelle les unités de soins opèrent, alors que l’hôpital n’est aujourd’hui plus un lieu si sûr…

D’ailleurs, ce sont au sein des unités les plus à risques, comme le département néonatal, ou celui de dialyse pour les diabétiques et même à l’unité de radiothérapie pour les cancéreux… que des cas de Covid -19 ont été détectés, tant parmi le personnel soignant que les chez patients. Ce qui suscite des interrogations quant au protocole de sécurité sanitaire observé dans nos centres de santé. Pour en avoir le coeur net, direction l’hôpital Victoria, où Le Mauricien/Week-End s’est rendu jeudi après-midi..

Mouvements non contrôlés

Dans ce contexte, ce qui frappe d’emblée, dès l’arrivée, ce sont les mouvements non contrôlés à l’hôpital. Alors que le contrôle est rigoureux sur les routes, aux abords des supermarchés ou autres enseignes, voire dans les entreprises, l’absence des forces de l’ordre est frappante. Les véhicules entrent et ressortent sans être soumis à aucun contrôle. C’est aussi le cas pour tous les visiteurs dans la cour de Candos. Qu’on soit patient, accompagnateur ou simple curieux, ces présences n’interpellent aucune autorité à l’hôpital Victoria, où le va-et-vient est incessant. C’est presque du « business as usual » dans les différents départements, a-t-on eu l’occasion de témoigner.

Si, à l’entrée des Casualties, un préposé derrière le comptoir vitré contrôle la température et propose du sanitizer, ce n’est en aucun cas un contrôle strict, car même la raison de la présence des uns et des autres à l’hôpital n’est pas exigée. Ce préposé oriente simplement les patients vers les différents départements de l’out-patient department. Là, la rigueur n’est pas nécessairement de mise pour le contrôle de la température, la plupart des visiteurs entrant dans le hall sans même lever les yeux vers ce comptoir.

Ce jeudi après-midi, une cinquantaine de personnes attendent leur tour pour passer à la pharmacie dans le hall d’entrée de l’hôpital Victoria. On a l’impression que tout tourne normalement. Assis ici et là sur les sièges, certains visiteurs regardent la télévision fixée au mur pour oublier la chaleur et l’humidité ambiante. D’autres téléphonent leurs proches et se plaignent de leur sort, tentant de se faire comprendre sous leurs masques sanitaires. Quelques-uns se lèvent pour se dégourdir les jambes. Mais le constat est choquant: si les gens portent bien le masque, avec souvent le nez qui dépasse, le un mètre de distanciation sociale n’est pas toujours observé.

Tension palpable

Et la tension est palpable. Les patients et leurs accompagnateurs scrutent et examinent les inconnus massés autour d’eux, et leur inquiétude quant aux risques d’attraper le coronavirus à l’hôpital est manifeste. Au compte-gouttes, une officière de sécurité crie des numéros. Chacun tient précieusement le morceau de papier qui lui a été remis. Une rude épreuve de patience se joue pour récupérer les médicaments à la pharmacie. Plus de 100 numéros ont été distribués ce jeudi.

« Je préfère repasser demain », confie Angélique Manon, en poussant le fauteuil roulant de son vieux père Jean. Cette habitante de Modern, Vacoas, situé au sein de la zone rouge, a accompagné ses parents pour récupérer les résultats de l’échographie de son père. «On n’a pas vu de médecin. Pou nanien inn fini. Meme pann gagn résultat», confie-t-elle, dépitée d’avoir perdu près de deux heures à l’hôpital pour s’entendre dire qu’il faudra une analyse sanguine. «Plusieurs autres patients ont préféré s’en aller sans consulter de médecin», dit Gilberte, sa mère. L’octogénaire laisse éclater son agacement, car non seulement, avec son époux, elle a dû avoir recours aux services de sa fille pour l’accompagner, mais ils ont aussi dû se déplacer en taxi de la zone rouge pour se rendre à l’hôpital, avec tous les risques que cela comporte, expliquent ces Vacoassiens. «Nous nous exposons en venant à l’hôpital. Nous sommes venus parce qu’il y avait un diagnostic important sur l’état de santé de mon père, mais cela a été une perte de temps. Nous allons devoir revenir et reprendre des risques», dit Angélique Manon. Les risques, la famille Manon en est bien consciente. Et les mesures d’hygiène à l’hôpital soulèvent des interrogations quant aux risques que l’on prend dans ce lieu public, dit Gilberte Manon. Pour appuyer ses dires, sa fille Angélique raconte: «A notre arrivée, on nous a donné du gel hydroalcoolique, mais ils n’ont pas pris notre température. Dans la salle d’attente, je me suis sentie un peu stressée. Je m’asseyais et je regardais à gauche et à droite… Ce n’est pas évident, surtout parce que j’ai trois enfants chez moi.»

Pas de distanciation sociale

Dans la salle d’attente, à côté de l’entrée, là encore une vingtaine de personnes qui attendant «leur tour» et qui ne respectent pas scrupuleusement les règles de distanciation sociale. En effet, ceux qui sont en famille ou entre amis se regroupent pour se parler, le temps d’attendre qu’on appelle leur nom. Là où la différence est notable, c’est au niveau des salles de consultations. Contrairement à d’habitude, les couloirs et les sièges sont presque vides. D’ailleurs, plusieurs jeunes médecins marchent dans les couloirs pour se dégourdir sans doute un peu les jambes en attendant la prochaine consultation.

C’est sans doute au niveau administratif que ça bloque puisque de nombreuses personnes sont en train d’attendre dans la salle à cet effet, avant qu’on les appelle pour leur consultation. Par contre, aux urgences, peu de patients y transitent. Devant l’entrée, aucune trace des ambulances du SAMU, sans doute retenue pour les contact tracing…

Ce qui choque c’est que nous avons traversé ces différents départements sans avoir à aucun moment été questionnés par quiconque sur notre présence à Candos. Qui plus est, si au hall d’entrée le sanitizer est visible, aux urgences, où plusieurs personnes devraient passer aussi, aucune petite bouteille d’alcool tueur de virus n’est à portée de main.

A défaut des ambulances du SAMU, absentes, notre attention se dirige vers le conteneur transformé en flu clinic à côté des urgences et où la file d’attente s’allonge au fur et à mesure. Il y a, en fait, deux files d’attente. L’une pour entrer dans la salle, et une autre, plus longue, un couloir en dehors de la salle, pour entrer dans la pièce où s’effectue les tests, toujours dans le même conteneur. Aux informations, on nous fait comprendre avec insistance que le protocole sanitaire pour effectuer les tests PCR est très rigoureux. D’où les deux files d’attente. Cependant, force est de constater qu’en dépit de la rigueur pour entrer et sortir de cette unité de test PCR, la distanciation sociale n’est toujours pas respectée.

«Ayo fermal…», s’exclame une vieille dame à sa sortie de la flu clinic. Elle vient d’effectuer un test PCR et a la narine qui brûle, explique-t-elle. Mais son neveu qu’elle a rencontré à Candos ce jeudi n’est pas du même avis. «Pas fer dimal. Enn ti mama passé. Mo ti fer lot foi la dans centre», dit-il. Aujourd’hui, il est venu à Candos pour des problèmes buccaux. L’habitant de Mangalkhan indique n’avoir eu aucun souci à se faire ausculter. «Tout inn passe correct. Zot inn donne moi médicament ek enn rendez-vous. Zot finn aussi donne moi bann recommandations», dit-il, content d’avoir été ausculté, «même si la peur de contracter le virus à l’hôpital demeure une obsession», s’empresse-t-il. Surtout avec le nombre de cas quotidien qui augmente parmi le personnel soignant.

Atmosphère pesante

Sa tante, elle, a voulu en avoir le coeur net et surtout l’esprit tranquille quant à son mal de gorge. Quitte à sortir de chez elle de Beau-Bassin pour venir à Candos, ce jeudi. «Mo ena problème la gorge, monn al ENT, mais zot dir moi pena nanien, mais fer ene test toujours», dit Maude. Comme elle, des dizaines de patients de l’ENT ont été référés à la flu clinic pour un test PCR. Peut-être que l’angoisse qui se lisait sur leur visage faisait que ces patients oubliaient de garder un mètre de distance entre eux. Comme si la peur s’estompait en se rapprochant d’autrui.

Et l’atmosphère est pesante, non seulement à la flu clinic, mais aussi partout au sein de l’hôpital. Dans les couloirs comme dans la cour. Ici et là, des panneaux indiquent que certains départements, comme les pharmacies, en raison des précautions sanitaires, ont été transférés plus loin, ou à d’autres unités. Le personnel est rarement aperçu dehors. Un maid que nous rencontrons, près du département Neonatal attend patiemment qu’on lui ouvre la porte. Les précautions ont été redoublées, dit-il, faisant référence aux cas de contamination détectés à Candos. N’at-il pas peur d’attraper le virus? «Oui, mais ki pou fer. Si nou tou dir nou per, personne pas pou travay», répond-il, qui s’empresse de retourner à son poste après avoir récupéré ce qu’il était venu chercher.

Le département néonatal sous les feux des projecteurs la semaine dernière reste ce jeudi très calme. Difficile de déceler un quelconque mouvement ou cri d’enfant derrière les portes closes. D’ailleurs, un panneau indique explicitement qu’aucun visiteur n’y est admis. Selon nos informations, le personnel habituel qui a été mis en quarantaine après la contamination d’une patiente ne sera de retour que dans une semaine. Pour faire fonctionner ce département clé, l’administration de Candos a eu recours aux services du personnel soignant des autres hôpitaux régionaux, réquisitionnant un staff de ce même département par hôpital. Ainsi, le département peut fonctionner presque normalement. Des mesures qui ont aussi été adoptées pour d’autres départements de Candos, dont celui de RT (Radiothérapie), apprend-on. Cependant, force est de constater que l’Outpatient and Treatment Section, habituellement bondée, est déserte ce jeudi, en dépit du fait que cette unité, malgré les six patients détectés positifs à la covid-19, alors qu’ils effectuaient leur traitement, fonctionne normalement selon nos sources. Mais pas d’âme qui vive. La salle d’attente reste vide et lugubre. Personne pour prendre notre température à l’entrée. Deux infirmières que l’on croise dans le couloir nous dirigent vers une salle où une préposée refuse sèchement de répondre à nos questions. Dans un autre couloir menant aux  RT Wards, deux dames attendent, mais ne souhaitent pas se laisser aborder. Leur masque rigoureusement serré sur leur visage et leurs mains gantées témoignent des précautions qu’elles ont prises pour venir à l’hôpital, surtout dans ce département que l’on imaginait strictement protégé des virus. Plus au fond du couloir, un préposé de l’hôpital, vêtu de son PPE est affalé sur un siège. Il veille les allées et venues. L’atmosphère est terriblement lourde. Et dehors, c’est pareil. Deux autres dames, portant masque et gants, se hâtent de partir, à peine ont-elles déposé les effets personnels de leurs proches.

« Nous vivons dans la peur »

Une infirmière rencontrée aux abords de la Cardiac Unit, masque bien ajusté sur le nez et la bouche, confie: «Zafer la inn vine pli difficile.» Elle ne veut pas en dire plus, par crainte de représailles. Mais elle explique quand même que «nou vivons dans la peur, mais nous devons travailler parski dimoun-la li pe contine vini meme li». D’ailleurs, en plus du parking bondé, l’arrêt d’autobus l’est aussi, et sur l’arrêt, les gens sont presque collés les uns aux autres. Témoignage, s’il en fallait, qu’en dépit des instructions des autorités pour ne pas venir à l’hôpital, sauf en cas d’urgence, les patients s’y rendent. Et ce, sans toujours prendre les précautions nécessaires. Précautions pas totalement observées non plus au sein de l’hôpital où un certain laxisme est perceptible quant aux contrôles des mesures barrières.

A la pharmacie non plus, le contrôle n’est pas observé avec rigueur par le responsable à l’accueil. Certains patients accompagnés de leurs proches se dirigent vers le Casualty Departement sans qu’ils ne fassent l’objet de prise de température ni de désinfection des mains. Si le port du masque est respecté à la lettre par tout un chacun, on ne peut pas en dire autant pour ce qui est des règles de la distanciation sociale qui laisse à désirer dans la salle d’attente dudit département où l’angoisse est palpable. Sunita ne s’attendait pas à devoir passer plus de cinq heures à l’hôpital en cette période de crise sanitaire. «Mon père, qui a 75 ans, a fait une chute dans la salle de bains et s’est blessé à la tête», dit-elle. Son époux, qui est présent à ses côtés, ajoute: «L’hôpital n’est pas bondé de monde, mais n’empêche, je n’ai pas l’impression que tout à été mis en œuvre par les autorités pour nous prémunir contre le virus.»

Se faisant passer pour des proches rendant visite à un patient, on décide de déambuler dans les couloirs de l’établissement, histoire de s’assurer que des protocoles de visite ont bien été établis pour garantir des circuits sécurisés. Autrement dit, à quel moment on fera l’objet d’un contrôle de la part des vigiles ou des chefs infirmiers? On réussit même à accéder à l’une des salles des patients où l’on rencontre Jacqueline qui souffre d’une entorse à la cheville. Force est de constater que cette dernière n’est nullement apeurée par les risques de contamination au virus et par l’atmosphère pesante qui règne dans l’établissement. «On peut-être contaminé, que ce soit dans des supermarchés, dans la rue, au travail ou dans un hôpital. Le plus important est de ne pas tomber dans une psychose qui pourrait nous faire perdre la tête», soutient la sexagénaire. C’est au bout de 40 minutes finalement, alors qu’on interrogeait un vigile, qu’un chef infirmier, le visage dissimulé derrière une visière de protection, s’est approché de nous pour connaître le motif de notre présence à l’hôpital.

A l’hôpital, comme dans les cabinets médicaux, les consultations pour des motifs étrangers à la Covid-19 sont beaucoup moins fréquentes que d’ordinaire, apprend-on. De nombreux patients ont préféré repousser leurs consultations médicales. Ce délai peut hélas retarder un diagnostic crucial et le début de soins intensifs. Sous couvert de l’anonymat, un couple d’octogénaires souligne avoir repoussé leur rendez-vous pour des tests sanguins, initialement prévu le 26 mars, pour aujourd’hui (8 avril) par crainte de la contagion. «Nou per virus la. Se rezon kifer noun renvoye nou rendez-vous du 28 mars. Mais nou pa capav per coronavirus ek an même temps néglige nou la santé ki  bien frazil apre plusieurs opérations», soutient l’époux.

Les patients dialysés ont un risque augmenté de contracter la Covid-19 du fait de leur fréquentation, au minimum deux fois par semaine, des centres de dialyse situés dans des établissements de santé, comme à l’hôpital Victoria. L’un de ces patients, Hooseen, se confie: «Mo vinn Candos tou le semaines, confinement ou pas. Mo ziss prié bondieu tou pass bien», dit-il tout en soulignant l’urgence de «développer les dialyses à domicile».

Du lundi au vendredi, des infirmiers de l’hôpital Victoria reçoivent des patients dans un cadre adapté pour des tests PCR. Ils étaient une dizaine jeudi à patienter dans la file d’attente à l’extérieur sous un soleil de plomb. Compte tenu du nombre de contaminations qui ne cesse d’augmenter, les recommandations, voire d’obligation de dépistages, sont de plus en plus importantes. C’est le cas pour celle qu’on appellera Fazila, une habitante de Curepipe. «Un cas de la Covid a été testé chez un cousin. Certes, je ne me souviens pas lavoir rencontré récemment, mais je ne veux prendre aucun risque, car j’abrite une personne âgée qui souffre du diabète», soutient-elle.

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