Assemblée nationale – Betamax : le grand déballage

— Les débats sur le budget supplémentaire de Rs 23,6 milliards 2020/2021 dominés par le contrat pétrolier controversé

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— Joutes verbales âpres entre le MSM et le PTr autour de ce contrat « coulé dans du béton »

C’est le dossier Betamax et sa note salée puisée des fonds publics à hauteur de Rs 4,6 milliards qui a dominé les débats sur le budget supplémentaire de Rs 23,6 milliards requises pour l’exercice 2020/2021 pour respecter le jugement du Conseil privé en faveur de la compagnie de Vikram Bhunjun, mais aussi pour divers paiements liés à la gestion de la pandémie de Covid-19. C’était le grand déballage mardi dernier à l’Assemblée nationale pour les intervenants sur ce budget supplémentaire qui ont tous commenté l’affaire Betamax, ce qui a donné lieu à des joutes verbales âpres entre le MSM et le PTr, les uns justifiant la commission d’enquête sur Betamax et les autres invoquant Medpoint.

Le Premier ministre Pravind Jugnauth a, lui-même, longuement évoqué le dossier Betamax pour souligner des points légaux mis en avant par l’instance arbitrale de Singapour, la décision la Cour suprême et l’ultime verdict du Conseil privé, mais aussi sur la genèse de l’attribution de ce contrat à la firme de Vikram Bhunjun. Pour Pravind Jugnauth, il y a encore des zones d’ombre sur ce contrat « signé en quatrième vitesse » en novembre 2009. Aussi s’est-il interrogé, non sans perfidie, sur « un contrat taillé sur mesure pour un bateau taillé sur mesure », sur la notion d’intérêt public lorsqu’un contrat de 290 millions d’USD est établi sur 15 ans et sur le paiement de la totalité de la capacité du bateau, même en cas de jauge moindre.

Le Premier ministre a aussi posé des questions sur des situations potentielles de conflit d’intérêts, sur le rôle de l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam et certains de ses ministres, sur les raisons de la modification des Public Procurement Regulations pendant les négociations entre la STC et Betonix, puis Betamax, sur les pressions exercées sur la STC en dépit des observations du bureau de l’Attorney General et sur la signature du contrat.

C’est pour avoir réponses à toutes ces questions que le gouvernement a décidé d’instituer une commission d’enquête sur cette affaire, a expliqué le chef du gouvernement, qui est aussi revenu sur l’autre attribution de cette enquête qui est d’établir les circonstances de la résiliation du contrat en 2015. Décision collective prise, a souligné Pravind Jugnauth, sur la base « des différents éléments troublants et suspects » présentés alors par le ministre de la Bonne gouvernance Roshi Bhadain et après avoir obtenu un avis légal dans ce sens.

Le précédent orateur, Maneesh Gobin, a lui aussi parlé de l’affaire Betamax, qualifiée de « contrat coulé dans du béton ». Si le jugement du Conseil privé a été respecté, le peuple, lui, a besoin de savoir ce qui s’est passé autour de ce deal et s’il était vraiment dans l’intérêt public, a-t-il martelé. Et ce sera à la commission d’enquête, qu’il souhaite publique, d’établir cela après avoir parcouru tous les documents disponibles, a expliqué l’Attorney General. Il a évoqué le « silence assourdissant » d’un ancien ministre travailliste, Rajesh Jeetah, qui devrait, selon lui, être entendu par la commission. Tous ceux concernés devront être convoqués, a-t-il dit.

Avant lui, c’est le chef de file du PTr qui était à la tribune. Arvin Boolell a dit être en faveur de la commission d’enquête sur Betamax, mais a invité à la prudence quant au choix de celui qui l’a présidera et à la définition de ses attributions.

Et Safe City et le Metro Express…

Il a ensuite enchaîné pour ironiser sur les questions de Pravind Jugnauh et poser aussi les siennes. Il a, par exemple, demandé s’il y avait eu des appels offres pour le projet Safe City, le Metro Express ou l’extension du réseau de Rose-Hill à Ebène au coût de Rs 1,4 milliard le kilomètre et s’il n’y a pas eu de Special Purpose Vehicles. Le député du PTr a ensuite évoqué l’affaire Medpoint avant d’ajouter qu’il ne se proposait pas de « unravel things that should not be said » et du soutien sollicité auprès des travaillistes par Pravind Jugnauth à la partielle du No 8.

Aucune leçon à recevoir du gouvernement dont il a critiqué l’opacité. Arvin Boolell n’a pas manqué de revenir sur les critiques du directeur de l’Audit sur le contrat à Pack & Blister et ses respirateurs défectueux. Le premier à donner la réplique à Rengadaden Padayachy, après la présentation de son budget supplémentaire, a été le leader de l’opposition qui a la particularité d’avoir été au gouvernement lorsque le contrat a été alloué à Betamax en 2009, mais aussi lorsqu’il a été résilié en 2015.

S’il s’est attardé sur les nombreuses failles de la gestion économique du gouvernement qu’il a accusé de se préparer un « trésor de guerre » en prévision des prochaines élections, il a néanmoins dit quelques mots sur Betamax pour réclamer que ce soit un juge en fonction qui se charge de la présider.

Après une brève intervention de Leela Devi Dookun-Luchoomun qui s’est contentée de dire qu’il faut maintenant attendre les conclusions de la commission d’enquête sur Betamax pour que la vérité émerge, ce fut au tour du ministre de la Santé, Kailesh Jugutpal de venir justifier les dépenses supplémentaires de santé requises du fait de la pandémie. Il en a profité pour faire le point sur la campagne vaccinale à venir.

Ton plus politique ensuite pour le député travailliste Eshan Juman qui a rappelé que le Parlement va voter le paiement de Rs 4,6 milliards à Betamax après avoir aussi approuvé une somme de Rs 11,9 milliards pour soutenir les entités démantelées de la BAI. Cela découle, a-t-il soutenu, de la « politique vengeresse » adoptée par le gouvernement depuis 2014 et dont le peuple est la première victime. « Zot fané lepep peye », s’est-il exclamé, alors que ces sommes auraient pu aller aux secteurs en difficulté et aux PME.

S’il a dit accueillir favorablement la commission d’enquête, il a quand même déjà absout le PTr et le Dr Navin Ramgoolam qui, selon lui, ont bien « fait leur travail » et s’est même avancé pour affirmer que le « PTr sortira gagnant », mais que ce sera, hélas, aux dépens des contribuables. Il s’est aussi demandé pourquoi cette commission d’enquête n’avait pas été mise sur pied en 2015 avant la résiliation du contrat. Se posant en défenseur de Navin Ramgoolam, il a salué la décision « avant-gardiste » de son gouvernement de se doter d’un tanker pour le transport des produits pétroliers. Il a évoqué la genèse de ce dossier et sur la façon dont Showkutally Soodhun l’avait défendu en disant que « the agreement is legally in order ». Eshan Juman a aussi profité pour rappeler que nombre de commissions d’enquête n’ont connu aucune suite.

Kavi Ramano, qui a pris la parole ensuite, a énuméré les projets de son ministère, non sans avoir égratigné son prédécesseur à la tribune qu’il a accusé de « crier victoire » après le jugement du Privy Council comme si c’est le « trésor de guerre du PTr » qui était en jeu.

Kavi Ramano : « Trouver clair… »

Le ministre de l’Environnement s’est d’ailleurs demandé pourquoi c’est seul le PTr qui qui s’est prononcé contre une commission d’enquête. Il a néanmoins invité les travaillistes à venir de lavant et à déposer devant la commission d’enquête afin d’aider la population à « trouver clair ».

Plus sérieusement, Reza Uteem a, lui, réfuté certains les arguments du gouvernement sur la gestion économique et critiqué, une à une, les dotations supplémentaires demandées. Notamment sur la radiation des dettes des organismes parapublics, sans dire que leur gestion sera assainie. Cela dit, le président du Public Accounts Committee a salué l’institution d’une commission d’enquête sur Betamax pour se pencher sur les conditions de l’octroi du contrat et de sa résiliation et il dit espérer qu’elle fera des recommandations pour que de telles situations, où ce sont les contribuables qui casquent, ne se reproduisent pas. Le député du MMM a quand même procédé à un exercice extrêmement intéressant et a relevé les réponses contradictoires sur différents aspects du dossier Betamax de certains ministres selon le parti avec lequel ils sont coalisés (voir plus loin).

Joe Lesjongard, le prochain orateur, au ton toujours posé, même si cela ne l’a pas empêché pas de donner quelques coups de griffes, a parlé de Betamax Gate et de ses différents aspects, légal politique et financier. Le ministre a dit qu’il est important qu’une commission d’enquête fasse toute la lumière sur ce dossier parce que le peuple a le droit de savoir. Un des aspects évoqués est le fait qu’une firme d’experts comptables, qui a ait été appelé à se prononcer sur le contrat était aussi auditeur de la compagnie bénéficiaire.

Le ministre responsable de la State Trading Corporation, Soodesh Callychurn s’est lui aussi attardé sur l’affaire Betamax pour dire que l’idée initiale était que le pays se devait d’avoir son propre pétrolier pour assurer le transport de ses produits. Tout avait été enclenché jusqu’à ce que les procédures d’appel d’offres concernant la STC soient modifiées en deux fois pour faciliter l’octroi du contrat à Betamax.

Swaley Kasenally, l’alibi du ministre Callychurn

Se prêtant lui aussi au jeu des questions, le ministre a demandé « who was the Minister of Commerce then ? Is it not because he was related to the Bhunjun family, and in order to avoid any conflict of interest issues, there was a remaniement ministériel, thereafter ? » Soodesh Callychurn a même cité Swaley Kasenally, actuellement objet d’interrogations par l’ICAC dans l’affaire Saint Louis Gate pour étayer sa thèse. « The contract between STC and Betamax Ltd for the transportation of petroleum products contains clauses inimical to the interest of the country » avait, en effet déclaré l’expert en trading de produits pétroliers en 2011. Le ministre du Commerce et de l’Industrie a aussi expliqué qu’avant la résiliation du contrat de Betamax, le gouvernement avait convié la compagnie pour des négociations en vue d’une révision du contrat, mais que cela n’a pas abouti. Il a terminé son intervention en expliquant que « from 2015 to July 2019, after the termination of the contract between STC and Betamax Ltd, savings of Rs1.5 billion were realised. This represents savings of about Rs 340 millions per year. Over a period of 15 years, STC would have made a further saving of Rs 5 billion ». Aussi a-t-il dit que la commission d’enquête est amplement justifiée.

Concluant les débats sur ce budget supplémentaire, le ministre des Finances a mis sur le compte d’une démarche de transparence la décision d’instituer une commission d’enquête sur l’affaire Betamax. Sa sortie en règle personnelle contre le leader de l’opposition Xavier Duval en a laissé plus d’un dans les rangs de la majorité « gaga ». Même s’il est vrai qu’il n’a nullement été ménagé par Xavier Duval. Le texte avalisant ces dotations de Rs 23 milliards a finalement été voté dans l’après-midi de mardi.

Lors de cette séance, les débats ont également démarré sur le Securities Bill qui a été voté le lendemain, mercredi, jour au cours duquel deux autres textes ont aussi été considérés. Le Mauritius Emerging Technologies Council Bill et le Optical Council Bill.

Les rappels utiles de Reza Uteem

L’exercice état fort intéressant. Reza Ureem, a, malgré une dizaine d’interruptions intempestives du Deputy Speaker, Zahid Nazurally, procédé à des rappels utiles des positions exprimées de part et d’autres sur le Dossier Betamax. Florilège ci-dessous.

Sur le volet affrètement: « Showkutally Soodhun, the then Minister of Commerce, said that in October 2009, BDO de Chazal du Mee submitted an independent evaluation report on the offer from Betamax and concluded overall that the rate being proposed by the promoter is more competitive than was being obtained ».

Le même ministre en novembre 2011: « In general terms the freight charges payable today are no less favourable than was previously obtained ».

Le 13 décembre 2011, Showkutally Soodhun: « The average freight rates paid by STC are actually in quantitative and qualitative terms, more favourable than what they used to be. »

En 2015, le ministre Ashit Gungah: « STC is definitely making savings by having recourse to other tankers for transportation of petroleum products… since we stopped the services of Betamax, the country has saved a minimum of Rs 425 m. »

En 2017, Ravi Yerrigadoo, Attorney General: « The agreement was drafted very much in favour of Betamax Ltd. »

Le ministre Callychurn, il y a deux semaines: « We want to know, was this contract in the interest of the public or not in the interest of the public, because, in this House, different Ministers said exactly different things at different times… did the STC seek legal advice from the State Law Office before entering into the contract and before terminating the contract ? »

Shawkatally Soodhun: « The advice of the SLO was that the agreement was legally in order. »

Cader Sayed-Hossen, ministre travailliste, était, lui, « confident that this contract was cleared with the State Law Office ».

De son côté, Ashit Gungah: «The contract was in breach of Section 14 of the Public Procurement Act and was unlawful. » Il avait toutefois refusé de rendre public cet avis en prétextant une enquête policière, a souligné le député du MMM.

Ravi Yerrigadoo: « STC received independent legal advice, both locally and internationally […] to the effect that the contract was against the ‘public interest… advice was given by Stephenson Harwood and a respected Senior Counsel and Senior Attorney. »

Reza Uteem a alors révélé que « I have looked at a copy of the advice given by Stephenson Harwood, and you know what that advice says, I will read it out – ’However, STC would be unlikely to succeed in the arbitration proceedings. » C’est donc contre l’avis de Stephenson Harwood que le gouvernement a mis fin au contrat de Betamax. C’est sur tout cela que la commission d’enquête devrait se pencher, a déclaré le député.

Son ultime question: « Did the Government try to negotiate with Betamax instead of terminating the contract ?» Le ministre Gungah avait répondu, le 29 novembre 2016: « Government has never proposed any amicable settlement for the termination of the contract between STC and Betamax Ltd” Ravi Yerrigadoo, le 19 June 2017, « three meetings were held with Betamax Ltd in January 2015 to review the contract, but Betamax Ltd did not demonstrate any genuine willingness to renegotiate the contract. »

Même réponse du ministre Callychurn: « Betamax did not demonstrate any genuine willingness to negotiate the contract. » Reza Uteem a dit détenir les procès-verbaux d’une réunion présidée par Vishnu Lutchmeenaraidoo en 2015, à laquelle était aussi présent Ashit Gungah, durant laquelle les propos suivants ont été consignés: « M. V. Bhunjun… stated… he was willing to continue working with the Government and was willing to consider any proposals from the Government. »

Le député du MMM a conclu en déclarant que c’est tout cela qui doit être clarifié par le commission d’enquête.

Propriété personnelle

Le Parlement est décidément devenu la propriété personnelle du Premier ministre, puisque l’agencement des séances ne correspond à aucune logique, si ce n’est d’empêcher l’opposition de poser des questions le mardi.

Entre séances punitives du samedi soir et congé sur plusieurs jours inexpliqué, tout est fait selon le bon vouloir de Pravind Jugnauth. Les travaux ajournés mercredi ne reprennent que le vendredi 9 juillet à 15h parce que le Premier ministre a son petit agenda personnel.

Tout cela en dépit de la déclaration du Speaker encadrant le Whip de l’opposition Patrice Armance et rassurant que le Parlement est souverain et qu’il n’est pas au service de l’exécutif. Il ne lui reste plus qu’à se fendre d’une précision sur son passé d’ambassadeur en Egypte et à Washington.

Les travaux ont, par ailleurs, été marqués par une envolée personnelle de Teena Jutton sur les attaques dont elle serait l’objet sur la toile et sur la passe d’armes entre Sooroojedev Phokeer et la députée Joanna Bérenger, celle-ci lui tenant tellement tête, avec raison, que le Speaker a dû lever la séance de mercredi.

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