Assemblée nationale – Millions, jurons et la tentation de l’innovation

— Pravind Jugnauth évoque les millions de la BAI aux autres, mais oublie ceux obtenus par le MSM même hors campagne électorale

- Publicité -

— Des grossièretés entendues lors des débats sur le Mental Health (Amendment) Bill

— Sooroojdev Fokeer désavoue le « Speaker bis » Alan Ganoo qui voulait interdire de parole ceux qui n’écoutent pas les discours d’introduction des ministres

Le prochain salon de l’innovation devrait se tenir à l’Assemblée nationale. Parce que chaque séance apporte son lot de surprises et d’innovations en termes de comportements «d’honorables» membres y siégeant, mais aussi en raison de tentatives de décrets chaque semaine plus incongrus les uns après les autres. La séance de mardi a été particulièrement riche à cet effet: avec Pravind Juganuth qui a parlé des Rs 10 millions obtenues de la l’ex-British American Investment par le MMM lors de la campagne électorale de 2014 sans mentionner que son propre parti avait obtenu encore plus de millions de ce même conglomérat. Deux autres premières aussi, la prolifération de jurons dans l’hémicycle et la dernière tentative d’Alan Ganoo d’interdire de parole les députés qui n’écouteraient pas religieusement les discours d’introduction d’un projet de loi par un ministre.

Comme il y avait la suite des débats sur le budget supplémentaire de Rs 17 milliards de l’exercice financier 2020/2021, pas de Question Time de nouveau cette semaine. Et c’est avec une intervention musclée du député travailliste Shakeel Mohamed que les échanges ont démarré.

Les qualificatifs n’ont pas manqué pour dénoncer les actions prises pour démanteler la BAI, dont le renflouage englobe Rs 11 milliards de ce budget supplémentaire, et les promesses non tenues du Premier ministre pour rembourser les souscripteurs de la police Super Cash Back Gold.

Alors que Pravind Jugnauth niait avoir fait de telles promesses lors d’une réunion avec Salim Muthy avant les dernières élections générales, Shakeel Mohamed a enfoncé le clou et a lancé ceci en direction du Premier ministre: «You met him, you promised him, and you bought your votes!» Comme la charge du député travailliste devenait de plus en plus virulente, Soroojdev Phokeer a commencé à s’interposer pour le freiner dans son élan. Sans succès, puisque Shakeel Mohamed a continué de plus belle en disant que personne ne pouvait l’empêcher de parler même si «vous avez le galon de Premier ministre that you don’t deserve». Et de poursuivre sur le même ton en disant que le MSM avait depuis décembre 2014 décidé de dépouiller la BAI pour des raisons politiques et rien d’autre parce que, malgré tout ce qui a été avancé, il n’y a eu aucune poursuite et aucune condamnation.

«Le MSM a du sang sur les mains», a même lancé Shakeel Mohamed provoquant des cris de protestation des bancs de la majorité et une injonction du Speaker pour retirer l’expression. Ce qu’il a fait avant de poursuivre son réquisitoire. Le député s’est aussi attardé sur l’épisode Omega Ark, cette obscure entité qui devait se porter acquéreur de la clinique Apollo Bramwell. Comme le Premier ministre réagissait nerveusement, le député a observé que «every single time that the issue of Omega Ark comes up pertaining to Apollo, every single press has reported that the Prime Minister loses his cool and his calm».

Shakeel Mohamed a aussi évoqué les millions que la BAI a versées au MSM, ce qui n’a pas été au goût du Speaker qui a estimé que «there is no time for politics here» allant jusqu’à inviter le député à «avoir le courage d’en parler à une conférence de presse». Alors que l’intervenant a insisté sur la véracité des sommes obtenues de la BAI par le MSM Sooroojdev Phokeer, jamais à court d’un argument scabreux , a opiné «for the truth go outside». Comme si, pour les contre-vérités, il fallait les balancer au Parlement!

Le Speaker n’aime pas le « back » de Shakeel Mohamed

Le député travailliste terminera son intervention sur la «faute lourde» commise par le MSM dans la gestion du dossier de la BAI, non sans avoir souligné que l’administrateur du conglomérat, le même que celui d’Air Mauritius, a touché Rs 26 millions et que les voitures de la compagnie ont été bradées en faveur des proches du régime, comme Bissoon Mungroo. Dès l’entame de la réplique du ministre Mahen Seeruttun, les échanges acerbes, voire ambigus, vont aller bon train. Au Speaker qui lui disait «don’t show your back to the Chair», Shakeel Mohamed, à la répartie facile, a rétorqué «I show my side not the back». A un moment, durant cette conversation, le Speaker devait aussi s’autoriser le commentaire suivant: «And you people go to the Press, talk about parliamentary democracy!» Réponse du député rouge: «No, it does not exist, we don’t talk about it.»

Le ministre de la Bonne Gouvernance et des Services financiers, qui était le prochain orateur, s’est, lui, évertué à expliquer que les milliards puisés des fonds publics étaient nécessaires pour éponger les dettes de la BAI et pour le remboursement des épargnants. C’est le PTr, au pouvoir, qui a permis à la situation de la BAI d’évoluer, comme elle l’a fait et au public d’être «robbed in broad daylight», a déclaré Mahen Seeeruttun. Des allusions au coffre de Navin Ramgoolam ont alors été faites par des membres de la majorité.

Le leader de l’opposition, qui a ensuite pris la parole, a plaidé pour ceux qui, bien que méritants, n’ont pas reçu l’allocation de Rs 15 000 promise aux travailleurs de première ligne pendant la première vague de la Covid et aussi pour une revalorisation de la pension. Comme tous les orateurs, Xavier Duval s’est attardé sur les Rs 11.9 milliards déjà utilisées pour renflouer la BAI sans l’aval du Parlement et sans que des comptes audités ne justifient l’utilisation de ces sommes colossales obtenues par le NPFL, la NIC et les autres entités créées. Il n’a pas manqué de commenter la commission d’enquête sur Britam mise sur pied depuis quatre ans et qui n’a pas encore soumis de rapport. S’il n’y a rien sur cette affaire, que cela soit acté et que les conclusions soient rendues publiques, a déclaré Xavier Duval.

Le Premier ministre adjoint Steven Obeegadoo est brièvement intervenu pour expliquer la politique d’acquisition obligatoire de terres pour la concrétisation de projets publics.

Les derniers intervenants tous de la majorité

Comme c’est devenu la coutume, les trois derniers intervenants étaient tous de la majorité et c’est le Premier ministre qui est intervenu avant le summing-up du ministre des Finances pour lire un discours tout préparé et bourré de piques en direction de ses adversaires politiques.

Pravind Jugnauth a, comme d’habitude, critiqué Navin Ramgoolam. «I am not like a former Prime Minister, who, when the country was on fire, was in his bathtub; il était en train de prendre du plaisir! I act, and even when we have to adjourn Parliament, I adjourn, and we meet and we take decisions.» Comme s’il procédait au résumé des débats lui même, le Premier ministre a expliqueé les dotations supplémentaires avant de s’attaquer au gros morceau, les Rs 11.9 milliards pour l’ex-BAI. «We do not regret our decision in 2015 to unveil the biggest Ponzi Scheme this country has ever witnessed, with billions of investors’ money siphoned through a masterminded structure to the benefit of BAI’s ultimate beneficial owner, family and friends».

Pravind Jugnauth n’a pas manqué de poser «une question à Rs 10 millions sur ce parti… et ce leader qui a reçu une contribution quelconque», une référence au financement de la campagne du MMM par la BAI en 2014. Et alors que le Speaker avait interdit à Shakeel Mohamedde de parler de ce qu’il appelle la «politique», ce même Sooroojdev Phokeer a autorisé le Premier ministre à faire son petit meeting partisan en critiquant tous les opposants, y compris Roshi Bhadain, ministre à l’époque du démantèlement de la BAI.

Le budget supplémentaire voté, l’Assemblée est passée à l’examen du Mental Health Care (Amendment) Bill présenté par le ministre de la Santé Kailesh Jagutpal. Pour protester contre le fait qu’il est toujours en poste alors qu’il est considéré comme avoir mal géré le dossier des dialysés décédés et de s’être vu imposé un Fact Finding Committee, l’opposition s’est retirée de la Chambre. A l’exception de Shakeel Mohamed qui devait être le premier intervenant sur le texte.

Intervention, encore une fois, ponctuée d’invectives contre le député travailliste. Il y a eu ensuite celles de Dorine Chukowry et de Joanna Bérenger. C’est durant l’intervention de la députée du MMM que l’incident des jurons s’est produit. C’était au moment où la ministre de l’Egalité des Genres invoquait un point de procédure pour dire que la députée s’éloignait du sujet. Les gros mots entendus étaient apparemment destinés au Speaker qui n’aurait pas tranché en faveur de Kalpana Koonjoo-Shah.

Cette affaire, qui a été largement répercutée sur les réseaux sociaux le soir même avec son lot de commentaires indignés, fait l’objet d’une enquête policière. C’est une première dans les traditions parlementaires. Sinon, sur ce projet de loi, on aussi eu droit à une intervention de Tania Diolle, égale à elle-même, et à celle d’Eshan Juman. Les débats devraient reprendre à la prochaine séance.

Une innovation, encore une et toujours bidon a failli être introduite à l’initiative du ministre Ganoo qui s’est référé à la bible des pratiques parlementaires qu’est Erskine May pour soutenir que les députés qui ne sont pas présents lorsqu’un ministre introduit un projet de loi devraient être interdits de commenter ledit projet. Il en voulait à l’opposition d’avoir effectué un walk-out au moment où le ministre Jagutpal présentait au Mental Care (Amendment) Bill. Dans une déclaration faite ultérieurement, Sooroojdev Phokeer, qui en a peut-être marre de voir que le ministre Alan Ganoo joue au «Speaker bis», a statué que ces pratiques tiennent plus des règles de la bienséance que d’un usage contraint.

A l’ajournement des travaux, le député du PTr a évoqué les problèmes du personnel d’Air Mauritius auxquels le Premier ministre a répondu en disant qu’une somme de Rs 557 millions a été déboursée pour le paiement d’une aide financière aux employés de la compagnie.

Et la question à Rs 19 millions pour le MSM ?

C’est Dawood Rawat même qui l’a dit: le parti qui a le plus bénéficié du financement de la BAI est le MSM. Des documents rendus publics par Paul Bérenger le 13 juin 2015, alors que son parti était accusé d’avoir bénéficié de la générosité de ce conglomérat, attestaient des divers paiements d’un montant total de Rs 19 millions faits en faveur des tenants du Sun Trust. C’est du moins ce qui est déjà du domaine public. Et c’est sans compter les «placements personnels» à la Bramer Bank fermée juste avant la révocation de la licence de la banque.

C’est sur le compte (310000656) à la Bramer que les millions de la BAI étaient versés au MSM comme suit: le 23 avril 2010: Rs 5 millions, le 30 avril 2010: Rs 5 millions, le 20 mai 2010: Rs 5 millions, le 24 août 2010: Rs 2 millions, le 1er novembre 2010: Rs 1 million et le 23 novembre 2010: Rs 1 million. Le total : Rs 19 millions. En 2010, les élections générales avaient eu lieu le 5 mai, le MSM était en alliance avec le PTr et il recevait encore des contributions de la BAI en novembre 2010.

C’est cette générosité qui explique le fait que le leader du Sun Trust, un Pravind Jugnauth enthousiaste, déclarait lors d’un congrès public le 22 avril à Plaine-Verte que le pays «avait besoin de 200 Dawood Rawat».

Mardi prochain

Le renvoi des municipales en première lecture

Si le retour du Question Time après deux semaines de pause retient l’attention, c’est le Local Government (Amendment) Bill qui donne la possibilité au gouvernement de prolonger le mandat des actuels conseillers municipaux et de reporter l’échéance électorale pour jusqu’à deux ans supplémentaires qui risque de susciter les hostilités. La dernière élection municipale remonte au 14 juin 2015.

Ce texte sera présenté en première lecture par le vice-Premier ministre et ministre des Administrations Régionales Anwar Husnoo.

Si les questions parlementaires sont les mêmes que celles que Week-End avait annoncées dans l’édition combinée avec Le Mauricien du samedi du 24 avril, il faut néanmoins noter cette question du député de la majorité Vikash Nuckcheddy sur une visite de l’élu rouge Eshan Juman le 5 janvier dans la zone interdite du port.

L’interpellation étant loin sur la liste de celles qui sont adressées au Premier ministre, il y a peu de chance qu’elle soit considérée, étant donné que Pravind Jugnauth a pris l’habitude de ne répondre qu’à deux questions par séance.

Sont aussi prévus, le vote en troisième lecture du budget supplémentaire de 2020/2021, la poursuite des débats sur le Mental Health Care (Amendment) Bill et l’examen de The Taxi Operators Welfare Fund Bill

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -