Assemblée nationale : Tout nouveau mais pas tout beau

Discours-programme : les intervenants du gouvernement, sauf Kalpana Koonjoo-Shah, ont cru qu’ils étaient toujours en campagne électorale

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Les héritiers des Ravi Rutnah et autre Mahen Jhugroo sont bien là et ils s’annoncent assez nombreux

Bons débuts pour les députés Fabrice David, Karen Foo Kune et Mahen Gungapersad, qui a administré une magistrale leçon à « l’humoriste improvisé » Ismaël Rawoo

Tout nouveau mais certainement pas tout beau. C’est ainsi que peut se résumer la séance du lundi 3 février, qui marquait le démarrage des débats sur le discours-programme 2020-24 présenté le 24 janvier. Tous les partis représentés à l’Assemblée nationale avaient pris le pari de la nouveauté et de la jeunesse, comme pour démontrer que c’est vraiment une nouvelle page qui s’ouvrait sur la qualité de la représentation nationale mais, au final, les intervenants de la majorité, à l’exception notoire de l’excellente Kalpana Koonjoo-Shah, ont déjà rabaissé le niveau du débat par leur ton de meetings politiques, tandis que les nouvelles figures de l’opposition que sont Fabrice David, Mahen Gungapersad et Karen Foo Kune ont, eux, effectué des débuts prometteurs en tant que parlementaires.

La nouveauté était déjà là à l’amorce même des travaux de ce lundi avec le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, confronté à la première Private Notice Question du leader de l’opposition, Arvin Boolell, sur le coronavirus. Bien qu’il ne soit pas doté d’une voix puissante et autoritaire, le ministre, qui en est à son premier mandat de député et de ministre, s’en est plutôt bien tiré. Face aux questions de plus en plus agressives du chef de l’opposition, qui s’est même permis une référence à la visite du ministre au centre de quarantaine de Souillac en « costume Pierre Cardin » plutôt qu’en combinaison sanitaire, le psychiatre de profession a su garder son calme et assurer que tout a été mis en œuvre pour qu’aucun cas de coronavirus ne soit enregistré sur notre sol.

Il faut dire qu’en prévision de cette PNQ, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, avait, la veille, le dimanche 2 février, pris les devants et fait un tour d’horizon complet de la situation du coronavirus et a annoncé de nouvelles mesures pour prévenir tout cas possible dans le pays, ce qui a poussé Arvin Boolell à se contenter de quelques tirades sans grande conséquence.

Fait notable de cette tranche de la PNQ, c’est que le Speaker s’est contenté d’un rôle de spectateur et qu’il n’est jamais intervenu, même lorsque le leader de l’opposition enveloppait ses questions supplémentaires de déclarations extensives. Il est évident que, contrairement à son prédécesseur, Sooroojdev Phokeer n’a pas voulu braquer les parlementaires pour ce tout premier jour de travaux en séance plénière.

Vient ensuite au moment que tout le monde attendait. D’autant que l’affiche et le casting avaient été vendus comme prometteurs et innovateurs. Tania Diolle, la députée corrective du N°18, à qui la responsabilité de proposer la motion de remerciements au président a pourtant vite provoqué l’irritation et la déception.

Je, me, moi et Rihanna

Elle a commencé par parler longuement d’elle-même, pour enchaîner sur un ton plus polémique en critiquant tant l’opposition parlementaire qu’extraparlementaire. Celle qui avait effectué le trajet en tramway plus tôt dans la matinée est revenue sur les manifestations contre le projet auxquelles elle avait participé lorsqu’elle se trouvait dans l’opposition. Personne, en fait, n’a rien compris à sa démarche, a-t-elle soutenu. Elle n’était pas contre le projet, mais contre sa planification, a-t-elle fait comprendre dans un discours où les citations n’ont pas manqué, de Voltaire à Tagore, en passant par Michelle Obama et Rihanna.

Plus posé et plus articulé, le premier intervenant de l’opposition, Fabrice David, le premier député du N°1. À l’aise tant en anglais qu’en français, et limpide dans son propos, le député a dit qu’il ne serait pas démagogique et qu’il encouragerait le gouvernement dans les projets qu’il considère bénéfiques pour la population. Les deux dossiers pour lesquels il s’est préoccupé sont les petites et moyennes entreprises confrontées au problème du paiement du salaire minimum, la situation des personnes à handicap et l’environnement, dont il a souhaité qu’il soit pris à bras le corps dans le meilleur délai.

Pour lui donner la réplique, la ministre de l’Égalité des Genres, Kalpana Devi Koonjoo-Shah. La ministre a, dans un très bon anglais, tout de suite captivé son auditoire. Si elle a lancé quelques piques en direction de l’opposition, elle a néanmoins aussi tenu à rendre hommage à la génération 1976 représentée par sir Anerood Jugnauth, son père Prem Koonjoo et Paul Bérenger.

Au dernier représentant de cette génération qui siège encore au Parlement, Paul Bérenger, la ministre a lancé : « You have often inspired, entertained, and impressed us with your knowledge and experience, and I can only pray that we see you at your absolute constructive best during the next five years coming. » Pas étonnant qu’à l’issue de son intervention, consacrée en majeure partie aux questions urgentes concernant la femme et les enfants, et les mesures qu’elle compte prendre, elle ait été la seule intervenante de la majorité que le leader du MMM ait applaudie.

Et à partir de là, le niveau allait très vite replonger l’hémicycle dans l’ancien monde. Anjive Ramdhany, du MSM, premier député du N°6, commencera comme tous les intervenants de la majorité à rendre un hommage appuyé à Pravind Jugnauth, avant de commencer à tomber dans la politicaille en demandant « who do we want ? A Prime Minister of 4.0 or an Opposition 2.0 ? » Sinon, il a parlé de l’intelligence artificielle et des projets de sa circonscription.

C’était ensuite au tour de la deuxième députée du N°20 Karen Foo Kune de commenter le discours-programme. La jeune députée du MMM a été tout en retenue, tout en étant ferme dans ses propos sur la situation des filles et des femmes, sur les féminicides, sur l’environnement, sur le sport et le sort de ceux qui doivent partir à la retraite et sur la drogue, surtout synthétique. Comme dans le cas deFabrice David, son intervention mesurée a suscité des applaudissements, même des bancs du gouvernement.

« Mauvais perdant »

Pour prendre le relais à la tribune, l’ex-animatrice de Radio Plus et de Best FM Subashnee Lutchmun Roy. Sa formation lui a octroyé une assurance dont elle s’est servie pour brocarder l’opposition, traitée de « mauvais perdant ». Elle s’est évertuée à faire l’éloge du Premier ministre et de ses mesures sociales. Le micro, elle connaît, mais pour la substance, il va sans doute falloir repasser. Son collègue, le troisième député de Curepipe/Midlands, Kevin Dhunoo, également Deputy Government Whip, n’en a pas fait moins en termes d’éloges à l’endroit du Premier ministre et du programme gouvernemental, selon lui, à fort contenu social.

Kushal Lobine, premier député du N°15 et issu des rangs du PMSD, a été plutôt bref et sobre dans son intervention. L’avocat de profession a rendu hommage aux leaders des partis de l’opposition et fait remarquer qu’ils représentent 60% de la population. L’essentiel de son intervention a toutefois porté sur un plaidoyer pour qu’il y ait des réformes constitutionnelles majeures en vue de moderniser le fonctionnement démocratique du pays.

Ce sera ensuite le discours de la journée, celui du troisième député du N°13, le dentiste Ismaël Rawoo, qui s’est improvisé humoriste. Après les éloges d’usage destinés à Pravind Jugnauth et Ivan Collendavelloo, et quelques formules mal agencées, le PPS a fait le procès de Navin Ramgoolam et de l’opposition. Il était tellement pris dans ses diatribes que le Speaker a dû le rappeler à l’ordre. Il est d’ailleurs le seul à avoir été recadré par la présidence.

Autre ton pour son collègue le ministre du Service public, Vikram Hurdoyal. Presque inaudible parce que le discours était prononcé à voix basse et avec une diction dont on avait du mal à distinguer clairement l’argumentaire. Comme les autres parlementaires de la majorité, c’était passages dithyrambiques pour le Premier ministre, nombre de voix obtenues, bilan et projets du ministère dont il a la charge.

« Nothing is            permanent »

Puis ce fut comme un coup de tonnerre, la puissance du verbe, couplée à la qualité de la réflexion et de la répartie. Mahen Gungapersad, deuxième député du N°6, allait d’entrée frapper un grand coup en donnant une leçon d’élégance aux animateurs de meetings qui l’avaient précédé. « Gentlemanship after all is an art which cannot be cultivated by any Tom, Dick and Harry. In the absence of a proper punching bag, some enjoy shadow fisting, carry on. This is funny and above all shows lack of proper etiquette », a lancé le député travailliste aux élus de la majorité.

À ceux qui s’étaient particulièrement distingués dans le dénigrement personnel, le député a administré une magistrale leçon en leur disant que « as far as beating an opponent by 5000 votes, 10000 votes, the culture I come from, I have been told that nothing is permanent, this world, this victory, this defeat, nothing and we shouldn’t be too proud, too vain. We need to cultivate humility, especially when we have one. It is not by belittling others. It is not by saying harsh words against others. »

C’était tellement bien envoyé que ceux qui étaient assis en face en sont restés bouche bée et un brin décontenancés. Mahen Gungapersad, l’ancien recteur du Rabindranath Tagore Institute, a, pour le reste de son intervention, salué certaines initiatives du gouvernement, a évoqué la difficulté de gérer un ministère comme celui de l’Éducation, et a conclu en étalant toute sa connaissance sur ce secteur et en faisant des propositions très concrètes pour résoudre les problèmes auxquels il est confronté.

Le ministre des Technologies de l’Information, Deepak Balgobin, a, lui aussi, pris le ton du vieux briscard qui sait déjà tout. Pour se faire bien voir, il a lui aussi vanté les grandes qualités de Pravind Jugnauth, avant de faire le procès de Navin Ramgoolam sans le nommer. Après ses tirades contre le leader du PTr, il a fait le procès du MMM et de sa piètre performance au N°9. Même tonalité bassement partisane pour son colistier Vikash Nuckcheddy, qui a profité pour parler non seulement de Pravind Jugnauth, mais aussi de la distinction de la République indienne reçue par sir Anerood Jugnauth.

Le ministre du Travail, Soodesh Callychurn, dernier intervenant du jour, a, lui aussi, consacré une bonne partie de son intervention à critiquer Navin Ramgoolam et à dénoncer le « katorigate ». « The mastermind of all gates got caught up in his own game. To the point that he could not even enter the gate of this august Assembly but had to be escorted to the back gate of Ramnarain Roy Governmment School by my friend Vickram Hurdoyal », a lancé le ministre. Comme il fallait s’y attendre, il est longuement revenu sur la politique sociale du gouvernement et la révision des lois du travail. C’est le ministre de la Culture et du Patrimoine qui a proposé l’ajournement des débats sur le discours-programme.

Bilan de cette première journée de débats : des élus du gouvernement encensant Pravind Jugnauth et critiquant Navin Ramgoolam comme s’ils étaient sur une caisse de savon et des députés de l’opposition qui ont choisi de faire la sobriété. Gageons que le ton montera d’un cran lorsque ce sont les parlementaires d’expérience qui commenteront ce discours-programme.

Le rendez-vous de la St-Valentin

Le Premier ministre, Pravind Jug-nauth, a en fin de séance, proposé que les travaux soient ajournés au vendredi 14 février à 15h, provoquant une très vive réaction de la part du leader de l’opposition, Arvin Boolell, quant à ce prochain rendez-vous pris pour la St-Valentin. Pas content des protestations du chef de l’opposition, le Premier ministre a, lui aussi, réagi en lui demandant « ki to pé gagné ? »

À l’ajournement des travaux, les députés de l’opposition en ont profité pour revenir sur les problèmes qui affectent leur circonscription respective. Le premier député du N°2, Osman Mahomed, a déploré l’état du jardin d’enfants du Champ de Mars, son collègue le député du MMM de la même circonscription, Reza Uteem, a, lui, invité le gouvernement à respecter sa promesse de donner un accès gratuit aux personnes qui sont inscrites sur le registre social, ce qui n’est pas encore le cas pour ses mandants des régions Crown Land Tory et Sauzier à Vallée Pitot.

Rajesh Bhagwan est, lui aussi, intervenu pour évoquer les dispositifs pris pour la célébration de Cavadee avec l’avènement du tramway et des travaux de fouille à Chebel, tandis que son collègue Aadil Ameer Meea a dénoncé la situation très inquiétante du vol de pierres taillées sur les trottoirs, les ponts à Port-Louis et un trafic bien organisé de revente de ces pièces de valeur historique. Le Premier ministre a voulu obtenir une liste des sites pillés pour pouvoir demander à la police d’agir.

Franco Quirin est revenu sur la saga du futsal et des conséquences du départ de la délégation mauricienne pour le Maroc et des sanctions annoncées. Le Premier ministre a voulu faire obstruction à l’évocation de ce problème, mais il a été rembarré par le Speaker, qui a autorisé le député à poursuivre son intervention. Dans sa réponse, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Stephan Toussaint, a dit qu’il ne pouvait, comme ça au pied levé, donner de plus amples informations sur cette affaire. Il a invité le député mauve à venir avec une question parlementaire. Or, le problème déjà posé, le ministre aurait dû plutôt annoncer une déclaration lors d’une prochaine séance. Il aurait fait ça s’il était respectueux des pratiques parlementaires !

Et pour clôturer cette tranche, Patrice Armance, qui a plaidé pour la construction d’une nouvelle route Marcel Piat à Pointe-aux-Sables, Salim Abbas Mamode sur l’état des jardins d’enfants de Roche-Bois et de Camp Yoloff, et Richard Duval, du PMSD, sur la nécessité de procéder à la réparation et à l’éclairage du pont Cavendish.

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