AVIATION – Après plus de 30 ans de bons et loyaux services : Le Last Call dans l’indifférence totale!

Axelle Catherine, chef de cabine : « MK nous a jetés comme de vieilles chaussettes »

Elle fait partie des membres du personnel navigant d’Air Mauritius qui ont été remerciés après 35 années de bons et loyaux services. Pour Axelle Catherine, qui officiait encore comme chef de cabine principale il y a quelques semaines encore, cette mise à pied a été « brutale ». Elle déplore le fait que la compagnie n’ait pas jugé utile de les préparer psychologiquement à cette situation. Un appel téléphonique la veille. Une lettre le lendemain, et son nom a été « deleted » du registre de la compagnie d’aviation. Le plus dur est de ne pas savoir si elle touchera sa pension ou la totalité de ce qui lui est dû, tant les versions changent au fil des jours. Entre-temps, ses beaux souvenirs et sa fierté d’avoir travaillé pour le transporteur national, sont noyés dans la tristesse. Celle de n’avoir pas été traitée avec dignité, après tant d’années de sacrifices.

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À sa résidence à Vacoas, aux côtés de son époux Jacques, Axelle Catherine essaye encore de comprendre pourquoi tout s’est arrêté aussi brusquement. Bien sûr, elle savait qu’Air Mauritius avait été placée sous administration volontaire et que la compagnie faisait face à des difficultés financières. Elle avait également eu vent qu’on prévoyait de licencier ceux avec 33 ans et un tiers d’années de service, mais elle ne s’attendait pas à ce que ses collègues et elle soient « jetés comme de vieilles chaussettes » et ce, sans aucune garantie d’indemnités.
« J’ai été requested de prendre la porte de sortie, comme on dit. Pour moi, cela a été très brutal. On n’a pas eu le temps de réfléchir vraiment. Mes collègues et moi avons été contactés par téléphone le 28 mai, entre 16h et 17h, pour une réunion le lendemain », dit-elle.
La chef de cabine affirme avoir été mise devant le fait accompli, sans discussion, sans proposition alternative. « Nous n’avons pas eu de choix vraiment. Si on refusait de signer, on devait passer devant le Redundancy Board, et là, si on décidait que le renvoi était injustifié, il aurait fallu attendre 65 ans pour toucher notre pension. Nous avons été contraints de signer, couteau sous la gorge. C’était un choc », déplore-t-elle. Sur le coup, avoue-t-elle, c’est une foule de souvenirs qui lui revenait. Elle a pris des photos avec ses collègues, dans le bâtiment… Mais une fois rentrée à la maison, elle a dû affronter la dure réalité. « C’est là qu’on a réalisé que c’était la fin. On se demandait comment on allait se débrouiller financièrement. Nous avons tous des engagements. Moi, j’ai un fils qui étudie en Afrique du Sud, je ne sais même pas comment je vais le faire revenir. On sort de très haut pour tomber bien bas », lâche-t-elle.

Même pas un café…

Ce qui lui a le plus choqué, poursuit-elle, c’est d’avoir été traitée de manière si « brutale », alors que tout au long de sa carrière, de par la nature de son travail, la règle était l’hospitalité. « Je peux dire que ce n’est pas ce que nous avons reçu en retour. Même pas une collation pour nous dire merci. Ni un café. C’est triste. Ceux qui ont donné tant d’années à la compagnie auraient dû quand même avoir une meilleure considération. J’étais très très fière de travailler pour Air Mauritius. J’ai vu des vertes et des pas mûres. On a traversé beaucoup de crises, comme la Guerre du Golfe, le SARS, mais la compagnie a toujours su s’en sortir. Mais là, on est dans l’incertitude. Si au moins on avait la garantie qu’on allait avoir notre pension. »
Dans la foulée, Axelle Catherine précise que, contrairement à ce que les gens croient, le personnel navigant ne mène pas une vie princière. Elle a commencé au bas de l’échelle comme Cabin Crew. « Quand j’ai commencé à Air Mauritius, mon salaire était de Rs 2 250 », précise-t-elle. Après sept à huit ans, elle est devenue Flight Purser, ensuite Senior Flight Purser. « Il ne faut pas croire que lorsqu’on va dans un pays, on va en vacances. On va travailler pour 32 heures, 34 heures. Auparavant, il y avait des rotations plus longues, mais maintenant, comme on le dit dans notre jargon, c’est le Minimum Rest. Vous partez aujourd’hui et vous revenez le lendemain. On a dû également consentir à beaucoup de sacrifices. La plupart du temps, pour le Nouvel An, les anniversaires, je n’étais pas là », explique-t-elle.
De même, elle ajoute que, comme tout citoyen, les membres du personnel navigant ont des engagements. « Certains collègues n’ont que 52 ans. Ils ont des enfants beaucoup plus jeunes que moi. D’autres, comme moi, ont des enfants qui font des études à l’étranger et on ne sait comment faire pour payer. Quand on évoque la pension, on entend différentes versions. On vous parle de trous, de situation difficile. Chacun se renvoie la balle. Une préposée de la Swan, à qui j’ai demandé des renseignements un jour, m’a même laissée entendre qu’il fallait aussi laisser de l’argent pour ceux qui viendront après. À ce jour, nous ne savons pas si nous aurons notre pension ou si nous aurons le montant qui nous est dû. Je sens que nous avons été abandonnés par Air Mauritius. »

Des crises aussi ailleurs, mais plus de dignité

Tout en reconnaissant que les compagnies d’aviation à travers le monde passent par des moments difficiles, Axelle Catherine affirme qu’elle aurait souhaité un peu plus de dignité, pour ceux qui ont donné leur vie pour Air Mauritius. « La plupart des compagnies d’aviation dans le monde connaissent la crise, mais les gens partent avec une indemnité. Nous avions encore 8 à 13 ans à travailler. Cela va représenter un gros manque à gagner dans notre budget. Tout le monde a des dettes. Je dois encore rembourser l’emprunt pour la maison, mon fils fait des études en Afrique du Sud. D’ailleurs, on ne sait même pas comment le faire retourner puisqu’il n’y a pas d’avion. Dois-je aller trouver un autre travail ? À mon âge qui me recrutera ? »
Elle dit regretter que tant d’années de sacrifices aient été effacées d’un trait. « On croit qu’on est comme dans un ordinateur, on presse le bouton delete. Et c’est fini. Nous avons été deleted du jour au lendemain. La loi a changé sous la COVID-19 Act pour nous jeter comme de vieilles chaussettes. On va sans doute nous dire que nous ne sommes pas les seuls. Mais voyez ce qui se passe. Chez Air France, par exemple, on demande aux gens de partir, mais ils ont une bonne indemnité et ils sont plus reconnus que nous », dit-elle.
Axelle Catherine regrette également que ceux qui ont pris la décision de les faire partir n’aient pas jugé utile de venir leur expliquer la situation et de leur donner le choix. « On aurait pu nous suggérer un Leave Without Pay et revenir quand ça ira mieux, par exemple. J’ai moi-même commencé ma carrière comme saisonnière. Mais non, tout était décidé d’avance. Il n’y a pas eu de plan, ni de proposition. J’ai jusqu’au 31 juillet pour rendre mon badge, mon uniforme, etc. »

Le dernier vol

Le 2 juin dernier, Axelle Catherine a pris son dernier vol, en direction de Londres, pour ensuite passer par Paris et revenir à Maurice le lendemain. « Notre chef a été très gentille avec nous. Elle-même, elle va partir. Elle nous a dit que la seule chose qu’elle pouvait faire pour nous était de nous mettre sur un dernier vol. Cela n’a pas été comme je l’aurais souhaité. Quand vous savez que vous partez à la retraite, vous vous préparez. Généralement, il y a un seul chef de cabine sur un vol. Mais là, on était quatre, on a demandé à être ensemble. Nous sommes partis à Londres pour un vol de rapatriement et, au retour, c’était un vol cargo. C’était très court. On est parti le matin et on est arrivé à Londres dans l’après-midi. Le lendemain il fallait repartir. En même temps, c’était très différent de ce qu’on avait l’habitude. Il y avait le lockdown  partout », raconte-t-elle.
De sa carrière d’hôtesse de l’air, Axelle Catherine conserve quand même de bons souvenirs. « J’étais du vol qui a emmené le pape Jean-Paul II à Rodrigues. J’ai rencontré pas mal de stars, dont Alain Delon, Arielle Dombasle, Richard Berry, la princesse Stéphanie de Monaco… Une fois, j’ai même fait le vol du Prince Andrew. » Elle conserve également quelques anecdotes, qui donnent un aperçu des réalités du métier. « Le jour de mon mariage civil, je devais rentrer d’un vol de l’Afrique du Sud. Mais il y a eu un souci et l’avion n’a pu voler vers Maurice. On m’a alors mis sur un avion de la South African Airways pour que je puisse me marier. De même, un jour, pour l’anniversaire de ma fille, l’avion était bloqué à Durban. Je suis rentrée à 18h alors que l’anniversaire avait déjà commencé », relate-t-elle.
Elle regrette ainsi de partir aujourd’hui, « dans l’indifférence totale ». Elle est également reconnaissante envers Eddy Jolicoeur, le nouveau HR, sans qui, dit-elle, « on ne nous aurait même pas appelés ». Elle ajoute : « On aurait peut-être reçu notre lettre par la poste. » Aujourd’hui, elle demande que ses collègues et elle-même soient rassurés sur leur pension. « La moindre des choses aurait été de nous permettre de partir dignement. Mais là, cela a été choquant et brutal », regrette-t-elle.

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Jacques Catherine : « Derrière l’argent, il y a des êtres humains »

Jacques Catherine, qui est aux côtés de son épouse, Axelle, dans cette dure épreuve, témoigne de son indignation de la manière dont ce dossier est traité chez Air Mauritius. « Depuis que cette affaire a commencé, on n’a parlé que d’argent. Mais derrière l’argent, il y a des gens, des êtres humains. Et c’est cela la tragédie d’Air Mauritius. Quand on pense qu’il y a des personnes qui ont travaillé pendant 33, 35 et, même 42 ans, et qui ne savent pas s’ils auront leurs temps de service… »
« L’indifférence », ajoute-t-il, ne date pas d’aujourd’hui. « Le plus ancien pilote mauricien a terminé sa carrière dans l’indifférence totale. Quand il est sorti de l’avion, après son dernier vol, il n’y avait personne pour lui dire au revoir. Si ses collègues n’avaient pas organisé quelque chose pour lui, il aurait pris son sac et serait rentré dans sa voiture, comme si de rien n’était. Et cela s’est répété maintenant. »
Il ajoute que ce qui révolte le plus les employés de MK, c’est qu’on vient mettre la situation financière sur le compte de la Covid-19, « alors que l’on sait que la situation était déjà catastrophique avant » la pandémie. « Tous ceux qui ont dirigé Air Mauritius ces dix dernières années sont partis sans rendre des comptes à personne. Aujourd’hui, on se retrouve avec 1 500 à 1 700 personnes, des petits travailleurs qui, eux, payent les pots cassés. Tous ces directeurs, ces membres du board, sont chez eux aujourd’hui. Je me demande s’ils peuvent dormir. Il y a eu une politisation à outrance. »

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