Chronique du quasi-crash annoncé d’Air Mauritius : Vol au-dessus d’un nid de coucou

Après les principales turbulences qui ont ébranlé Air Mauritius sur ses bases après 53 ans d’existence avec des remontées spectaculaires, les dirigeants du pays, de la compagnie nationale d’aviation et le public ont fini par croire qu’il existait une protection divine sur MK. Mais ces dernières années, ces turbulences ont été plus récurrentes et plus violentes. La publication des résultats des neuf premiers mois de l’exercice 2018-2019 était pourtant un avertissement clair que la compagnie était en pleine tempête. Week-End fait un tour d’horizon d’un crash annoncé, de la tentative de sauvetage des administrateurs, du drame vécu par le personnel toujours dans l’incertitude la plus absolue… La question reste posée malgré les nouvelles plus rassurantes de ces derniers temps. Air Mauritius peut-elle être sauvée ? Pour en savoir plus, faisons un survol de ce nid de coucou…

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Une dégradation brutale des finances

Les résultats financiers de la période d’avril à décembre 2018, avec des pertes de Rs 998,2 millions contre des bénéfices de Rs 400,6 millions en 2017 étaient porteurs de signes précurseurs de la décision dramatique du 22 avril 2020. De manière surprenante, les pertes se sont accumulées au cours de tous les trimestres, y compris la haute saison d’octobre à décembre, profitable aux yeux des opérateurs du Hospitality Sector.

Les raisons invoquées représentent la même rengaine, soit de la rude concurrence au taux de change, en passant par la hausse des coûts des carburants. En outre, le quatrième trimestre pourtant généralement plus favorable s’est avéré encore plus difficile. Il est clair que le problème était plus tenace et fondamental, et chacun s’accordait à dire que l’on ne pourra pas se réfugier éternellement derrière la facture pétrolière, mais de s’interroger sur la pertinence de l’acquisition de nouveaux appareils en l’absence de réflexions stratégiques dans une période où la concurrence était rude.

Le choc de l’administration volontaire

Faut-il alors s’étonner que malgré la mise sur pied d’un « Transformation Steering Committee » dirigé par Sherry Singh et la démission du Chief Executive Officer, Somas Appavou, la compagnie se dirigeait directement vers la faillite? MK fait depuis face au plus grand défi de son histoire d’un demi-siècle avec la pression financière aggravée par la pandémie de Covid-19.

Handicapée par une perte sèche de Rs 9 milliards et des pertes d’exploitations de 100%,  Air Mauritius ne nie plus la possibilité d’une faillite possible dans le communiqué du conseil d’administration du 1er juin 2020 réclamant l’aide de l’État pour un sauvetage désespéré, car Air Mauritius n’a aujourd’hui que cette seule alternative pour honorer des dépenses mensuelles de Rs 350 millions pour les salaires et Rs 250 millions pour les baux.

Une réunion urgente prévue dans la matinée du 22 avril 2020 — pour laquelle des instructions furent données pour que l’information ne soit pas divulguée au journal Le Mauricien, qui en a pourtant fait sa manchette le matin même avec pour titre « Réunion d’urgence du Board de MK » — devait aboutir en fin d’après-midi à l’annonce de la nouvelle de la mise sous administration volontaire. Cette décision a provoqué une onde de choc au sein du pays et le monde de l’aviation mondiale, mais aussi et surtout au sein du personnel, dont l’avenir devenait tout à coup incertain.

Ventes des avions en perspective

Air Mauritius abordait ainsi sa plus grave crise et personne ne peut à ce stade dire si elle se relèvera, d’autant qu’avec le prolongement de la crise sanitaire, les activités commerciales, excepté celles vers Rodrigues qui tournent ces jours-ci à plein régime avec de nombreux Mauriciens voulant remplir leur besoin de voyager, sont quasi-nulles, alors qu’il faut faire face à ses frais mensuels récurrents, dont les plus importantes demeurent les salaires et si rien n’est fait, les pertes pourraient atteindre les Rs 10 milliards en mars 2021.

Les administrateurs nommés d’Air Mauritius, Sattar Hajee Abdoula et Arvind Gokhool, de Grant Thornton, ont été d’emblée très clairs à l’effet que pour sauver la compagnie, il fallait que toutes les parties prenantes consentent à des sacrifices financiers, car ils ont à prendre des décisions difficiles dans le cadre d’une restructuration large au sein de la compagnie. Ils s’attendaient à des négociations raisonnables des syndicats pour ce qui est des accords collectifs pour sauver le plus d’emplois possible. Il est bien entendu que plus ces accords tarderaient à se concrétiser, plus les options pour sortir la compagnie de l’ornière s’amenuiseraient.

Par ailleurs, les difficultés d’Air Mauritius comptent aussi son incapacité à honorer ses engagements financiers auprès des compagnies de leasing qui possèdent les avions qui ont rejoint sa flotte récemment. À ce niveau, les négociations en cours avec ces compagnies de leasing d’avions afin que les échéances soient retardées ont récemment abouti, comme annoncé dans Le Mauricien du 31 décembre 2020, qui annonce que « des discussions poussées avec AerCap et Air Lease Corporation ont débouché sur une baisse des “charges for the duration of the lease”, soit pour les dix prochaines années. »

La révision des accords obtenus par les administrateurs qui comprennent une baisse de 20 à 30% sur ces “charges” va améliorer la situation financière de la compagnie d’aviation nationale. Les deux parties ont aussi agréé que pour la période entre avril 2020— lorsque MK est passée en administration en plein confinement du pays— et septembre-octobre 2022, les “lease charges” ne seraient applicables que si les avions concernés sont utilisés. Enfin, pour ce qu’il s’agit de la vente des quatre avions prévus, soit deux A340-300 et deux A319-100, la société hollandaise BAP Aviation finalise les papiers pour le premier trimestre 2021 avec Rs 500 millions à la clé. Seul un A330-200 n’aurait à ce stade pas trouvé preneur.

Le drame humain d’un personnel dévoué

Mais du côté de la gestion du personnel, les choses se détériorent avec la complicité du ministère du Travail, bien qu’il y ait eu à un moment la révision acceptée, quoique contrainte, de certains accords collectifs. Mais l’objectif initial d’une réduction massive du personnel de MK pour réduire les coûts opérationnels est loin d’être atteint.

Pour la grande majorité du personnel d’Air Mauritius, la mise sous administration volontaire n’était autre que le signal d’un chômage probable, avec une forte probabilité d’un départ les mains vides alors qu’ils ont pour la plupart des dettes et des loans à repayer, sans compter les écoles des enfants ou de nouvelles maisons ou voitures acquises au cours de leur carrière. Pire, pour certains, ces jours de fin d’année qui viennent de s’achever étaient synonymes de frustration puisqu’incapables de les vivre comme ceux qui ont encore un salaire ou des revenus.

Depuis ce 22 avril 2020 choquant et inattendu pour certains puisque dans le déni, les sourires légendaires des hôtesses de l’air et d’accueil, la gentillesse et le sérieux des pilotes et autres membres du personnel naviguant ont cédé la place à une angoisse grandissante. Pour nombreux d’entre eux, c’est déjà la fin de l’aventure, car Air Mauritius ne pourra garder tous les 3 500 employés si jamais il est sauvé ou vendu à une nouvelle compagnie.

À ce stade, la plupart d’entre eux sont loin d’être fixés sur leur sort définitif. Ils sont nombreux à être sous le régime temporaire du leave without pay pour des court et moyen termes dépendant des fonctions occupées au sein de la compagnie. D’autres travaillent sur les vols, mais sont exposés aux risques de Covid-19. Au retour, c’est le confinement obligatoire à la maison où ils habitent en famille avec les parents compris, et les risques que cela comporte pour leurs aînés, les plus vulnérables.

Des procès tous azimuts

Pour les administrateurs Abdoullah et Gokhool, le dossier prioritaire de ce début d’année demeure l’avenir du personnel maintenant que l’affaire de la vente des avions et la question des leasings sont réglées. Ils ont certes une marge de manœuvre assez limitée, puisqu’ à ce jour, ils font l’objet de poursuites ou de demandes de poursuites judiciaires de la part de la plupart des catégories de personnel de MK qui ont décidé de défendre bec et ongles leurs droits. Ce qui pourrait prendre des années pour aboutir.

Pour l’heure, les revenus varient de 35% à 0% pour certains. Difficile dans ces circonstances de faire face aux dépenses habituelles sans l’aide de la famille et des amis, et à ne pas continuer à angoisser. Il faut dire que les administrateurs font preuve parfois d’un manque d’humanisme dans leur décision unilatérale, bien qu’ils n’aient pas les moyens de satisfaire tous et que leur mission est de sauver la compagnie, quitte qu’il faille ultimement licencier.

Entre-temps, de nombreux employés, pilotes, cabin crew, ingénieurs et techniciens et personnel administratif et au sol, en chômage technique et résignés, cherchent de l’emploi ailleurs, mais dans la conjoncture d’une contraction qui touche tous les autres secteurs d’activité économique, les propositions sont rares. Il ne reste que le choix de se mettre à son propre compte en apprenant pour la plupart un nouveau métier, de faire des métiers manuels ou tenter l’aventure à l’étranger dans un contexte sanitaire et économique compliqué avec cette Covid-19 qui ne veut pas en finir. Avec le plafond des revenus imposé depuis octobre dernier par les administrateurs pour baisser la masse salariale de la compagnie, Rs 25 000 pour le personnel navigant sont considérées comme insuffisantes pour faire face aux obligations contractées avant cette chute brutale d’Air Mauritius.

L’heure de la colère a sonné et ils sont nombreux amers d’être abandonnés alors qu’ils ont tout donné pour la compagnie. Comme ces familles de pilotes mauriciens, notamment, qui ont investi lourdement  pour que leurs enfants intègrent cette compagnie qui, jusque-là, faisait la fierté nationale. Un sentiment malsain de repli national s’est même emparé de certains pilotes locaux qui accusent MK de favoriser leurs confrères étrangers alors qu’eux sont en leave without pay pour une période allant de 3 à 18 mois. Ce qui est nié par le management, qui évoque que tous les pilotes de MK, mauriciens et étrangers, sont à la même enseigne, comme stipulé dans leur nouveau contrat d’emploi.

Se débarrasser du népotisme et du protectionnisme

Par ailleurs, les actionnaires minoritaires ont demandé le 12 juin dernier au président de la République, Prithvirajsing Roopun, d’instituer une commission d’enquête sur la mauvaise gestion de la compagnie pour élucider les vraies raisons de cette faillite, car pour eux, MK a crashé non pas à cause de la Covid-19, mais en raison d’une mauvaise gestion, de nombreuses décisions erronées et d’une interférence politique à outrance dans la gestion de la compagnie.

Unanimement, tous les acteurs reconnaissent que pour faire redécoller Air Mauritius, il est nécessaire de se débarrasser du népotisme et du protectionnisme. Il est de notoriété publique que les gouvernements successifs, qu’ils soient rouges ou orange, ont toujours eu un mot à dire sur la gestion de MK et que les dirigeants politiques nomment des  administrateurs dont certains n’ont pratiquement aucune connaissance de la gestion de l’aviation, mais bénéficient des privilèges associés.

Pire, en retour, les nominés font preuve de diligence coupable envers le gouvernement en nommant des personnes recommandées par eux, même si elles n’ont pas le bon profil. Il est en effet regrettable qu’après les premières années héroïques d’Air Mauritius, aucun gouvernement n’ait été en mesure de trouver le juste équilibre entre son rôle d’actionnaire et le niveau de professionnalisation et d’indépendance requis pour qu’une compagnie aérienne qui se veut compétitive et pérenne fonctionne professionnellement dans un environnement de plus en plus compétitif.

Pour l’heure, l’urgence est de tenter de faire redécoller les avions et repartir l’entreprise, mais cet objectif qui semble bien lointain avec la crise sociale qui s’amplifie et la crise sanitaire qui demeure incertaine, d’autant que le Watershed Meeting a été renvoyé à juin 2021. Les administrateurs Abdoula et Gokhool bénéficient donc de six mois pour préparer le plan de sauvetage nécessaire pour faire sortir Air Mauritius sous administration. Ce qui n’est pas une mince affaire si les activités opérationnelles tardent à repartir puisque, entre-temps, la compagnie va continuer à drainer des dépenses qui risquent d’être fatales…surtout que l’enveloppe financière de Rs 9 milliards ne sera pas suffisante pour renverser la vapeur. Mais les premiers résultats obtenus sur le plan du financement et la vente des avions sont un signe encourageant, surtout que le vaccin anti-Covid laisse aussi augurer plus vite que prévu la sortie de la crise sanitaire.

2021 montre déjà des signes positifs mais, malheureusement à Air Mauritius comme ailleurs, les casualties d’un chômage inévitable s’annoncent incontournables.

HORS textes

Les tribulations d’Air Mauritius

Une ascension fulgurante …

Air Mauritius Ltd a été créée le 14 juin 1967 par Amédée Maingard, qui a été le président du conseil d’administration jusqu’en 1981. Il a pour principal partenaire Rogers and Co. Ltd, Air France et BOAC.

Air Mauritius Ltd entre en Bourse en 1995, et la majorité de son capital est détenue par Air Mauritius Holdings (51%), par l’État (19,97%), Port-Louis Fund (6,32%), The State Investment Corporation (4,72%), le gouvernement de Maurice (4,53%), Rogers et compagnie (4,28%), British Airways (3,84%), Air France (2,78%) et Air India (2,56%).

C’est un Piper Navajo PA-31 de six places qui volera pour la première fois en juin 1967 sous les couleurs d’Air Mauritius, entre Maurice et La Réunion, puis en 1972 à Rodrigues avec le même avion. Un an plus tard, la prochaine destination sera Londres à travers Nairobi, avec un VC-10.

En 1977, Air Mauritius prend en location un Boeing 707 pour ses vols internationaux, avant d’en faire de même avec des Boeing 747. Sur le long règne de sir Harry Tirvengadum de 1981 à 1997, elle acquiert des Boeing 767 en 1988, puis des Airbus A340 en 1994, alors que sa flotte compte deux 767, trois 747-SP et deux ATR 42.

Air Mauritius acquiert son premier Airbus A319 en 2001 pour la desserte du continent africain, et met en service le premier de ses deux Airbus A330 en 2007. Air Mauritius poursuit  le renouvellement de sa flotte en 2018 lorsqu’il confirme l’achat renégocié de quatre Airbus A350, dont deux ont été loués à South African Airways avant de réintégrer la flotte d’Air Mauritius en 2020.

À partir du 1er novembre 2012, Air Mauritius renforce son partenariat avec Air France avec la mise en commun de leurs programmes de fidélité, et en janvier 2014, les deux compagnies renouvellent  l’accord de partage de codes qui les unit depuis 2008 et Air Mauritius intègre l’alliance Skyteam. En décembre 2002, Air Mauritius et la compagnie Emirates signent un accord de partage de codes entre Dubaï et l’île Maurice pour les liaisons passagers et cargo. Air Mauritius suspend ainsi sa ligne vers Dubaï le 7 janvier 2003 et Emirates lance une 4e fréquence en 2004.

Après plusieurs graves crises financières et scandales politico-financiers (voir plus loin) qui ont mis en péril son vol vers le succès au cours de ses 53 ans d’existence, le 22 avril 2020, la compagnie annonce qu’elle a été placée en redressement judiciaire au moment de la crise économique liée à la pandémie de Covid-19.

…parsemés de crises majeures de MK

La caisse noire

En 2002, sir Harry Tirvengadum et d’autres cadres d’Air Mauritius et de Rogers Limited ont été poursuivis à la suite des révélations des pratiques financières illégales, connues sous le nom d’Affaire Caisse Noire. Cette affaire repose sur des paiements de commissions fictives à Rogers Aviation qui ont été faits à partir des fonds d’Air Mauritius. L’argent aurait été distribué à plusieurs hauts cadres d’Air Mauritius et de Rogers notamment. Une partie aurait aussi été utilisée en vue de corrompre plusieurs personnalités dans divers secteurs, dont les partis politiques

Gérard Tyack, ancien directeur financier, a révélé l’existence de paiements à des responsables d’entreprises privées, des hommes politiques, des publications politiques et lors des campagnes électorales. Tout aurait commencé en 1981 lorsque le Premier ministre de l’époque, sir Seewoosagur Ramgoolam, avait besoin d’argent pour sauver le journal politique du parti travailliste Advance au bord de la faillite.

Gérard Tyack a passé deux ans en prison, Robert Rivalland de Rogers Limited a été acquitté en 2015. Les poursuites judiciaires contre sir Harry ont été suspendues en raison de sa santé. La compagnie réclamait  Rs 97 millions à Rogers et aux autres parties impliquées, dont son PDG et son directeur financier depuis 2002. Le 10 août dernier, après 18 ans d’une longue saga juridique, Air Mauritius a retiré son procès en réclamation de dommages contre sir Harry  et Gérard Tyack.

Le contrat d’Arts Graphique Modernes

Celui qui succède à sir Harry en 1997, Nash Mallan Hassan, qui cumule la présidence et la gestion d’Air Mauritius, est un proche du Premier ministre, Navin Ramgoolam. Son mandat est marqué par le fameux Beef Ban qui survient après que ce produit a été servi sur un vol vers Bombay en novembre 1997 et surtout proposé au PM sur un vol vers Londres le 18 décembre de la même année. Mais ce qui marquera son passage, c’est le contrat juteux qu’Air Mauritius offre à Arts Graphiques Modernes, dont l’un des actionnaires est un proche du pouvoir.

Hedging de 2008-2009

La compagnie est durement frappée par la crise de 2008-200,9 accusant des pertes de 84  millions d’euros pour l’exercice fiscal au 30 mars 2009 à cause du hedging pratiqué par le management, c’est-à-dire à la dépréciation des couvertures carburants — notamment celles contractées par la compagnie en août 2008 au prix de $105,3—, le prix du pétrole s’effondrant à moins de $32 à la fin de l’année 2008.

On se demande pourquoi le hedging est sur deux ans et non sur six mois seulement, et pourquoi il n’y a pas dans le contrat une provision de sauvegarde au cas où. Dans ce contexte difficile, les passagers se font aussi rares à cause de la récession.

Le 9 janvier 2009, le président du conseil d’administration, Sanjay Bhuckory, annonce sa démission, de même que Cornwell Muleya, l’Executive Vice-President-Finance, alors que le CEO Manoj Ujodha survit dans un premier temps à ce vrai cyclone financier.

En même temps, le gouvernement met en place un groupe de travail pour restructurer la compagnie, mais le plan est rejeté par le Premier ministre, Navin Ramgoolam, compte tenu de nombreux licenciements préconisés.

L’achat des Airbus A350 en 2014 et 2017

Air Mauritius s’est engagée, le 16 juillet 2014, à faire l’acquisition de quatre Airbus A350-900 et d’en louer deux exemplaires supplémentaires. La facture se montait à $ 1,77 milliard. Ces A350 devaient remplacer les A340 vieillissants et surtout gros consommateurs de kérosène sur une base progressive.

Deux premiers A350-900 devaient être livrés en 2017 au moyen de baux d’exploitation auprès d’AerCap Holdings et les quatre restants devaient être achetés par Air Mauritius auprès d’Airbus. Deux étaient prévus pour livraison en 2019 et les deux autres en 2020. Air Mauritius s’est également réservé le droit d’exercer une option pour passer des commandes supplémentaires jusqu’à trois A350 entre 2023 et 2025.

À partir de 2016, le gouvernement Alliance Lepep a tenté d’obtenir éventuellement des éléments d’informations autour de ce deal effectué par l’ancien Chairman Dass Thomas ou le CEO Andre Viljoen, qui ont depuis quitté le Paille-en-queue, ainsi que le mystérieux Frank Gleeson, un proche du pouvoir de Navin Ramgoolam, qui gérait apparemment aussi les commissions de Dufry.  On parlait dans le cas du deal Airbus avec Maurice de commissions se comptant en dizaines de millions de dollars.

Megh Pillay, CEO remercié d’Air Mauritius, avait prévenu le GM de SAJ que la compagnie risquait de faire faillite en 2019 suite à l’acquisition de ces six avions. Malgré cette mise en garde, le 17 février 2017, deux A330-neo ont été achetés en sus des deux A350 par le nouveau directeur Somas Appavou avec l’approbation du gouvernement de Pravind Jugnauth, malgré des pertes d’exploitation importantes en mars 2019. Quant aux deux autres A350, ils ont été loués à South African Airways, qui les a déjà rendus à Air Mauritius.

La question est de savoir si ce ne sont pas ces achats qui sont à l’origine de l’obligation de mise en administration volontaire d’Air Mauritius du 22 avril 2020.

L’échec du Air Corridor avec Singapour

Annoncé en grande pompe par sir Anerood Jugnauth en octobre 2015, le  projet de The Air Corridor, initié par le conseiller spécial Georges Chung, fait suite à la signature d’un accord de collaboration entre Air Mauritius et l’aéroport de Changi.

Le 14 mars 2016 a eu lieu le vol inaugural officiel avec une importante délégation à son bord, dirigée par le vice-Premier ministre et ministre du Tourisme, Xavier-Luc Duval. The Air Corridor  vise ainsi à optimiser la connectivité aérienne entre Maurice et Singapour, et augmenter le trafic passager et celui du fret entre l’Asie et l’Afrique, en passant par ces deux hubs.

En vue d’alimenter ce côté du couloir aérien, Air Mauritius a étendu son réseau en Afrique. Même si la liaison entre l’Asie et Maurice a connu une certaine croissance, le rôle de hub entre l’Afrique et l’Asie s’est révélé un échec patent, avec des vols quasi vides sur certaines destinations africaines qui ont accentué les pertes opérationnelles de MK. Même scénario vers la destination Chine.

L’éviction forcée de Megh Pillay en 2017

Ce qui n’était au début qu’une rumeur sur de graves dissensions au sein du Top Management de la compagnie aérienne nationale mauricienne en 2017 s’était finalement révélé. La cause est le retour au sein de la direction d’un ancien haut cadre remercié précédemment, Mike Seetaramadoo. Retour apparemment pas convenu avec Megh Pillay, CEO d’Air Mauritius. Qui du coup moins d’un an après sa nomination a été contraint de quitter la compagnie… parce qu’il a osé emmener devant un comité disciplinaire ce cadre très protégé.

Mike Seetaramadoo a été confirmé comme employé permanent d’Air Mauritius le 22 juin 2017, avec la bénédiction du Chairman, Arjoon Suddhoo, mais sans l’aval du CEO. Pourtant, ses qualifications pour occuper le poste pour lequel il a été choisi ne correspondraient pas aux critères définis pour le poste d’EVP HR ou d’EVP Cargo. Pire, il est sorti indemne du comité disciplinaire.

Derrière ces dissensions au Top Management se cachent de vraies divergences stratégiques ainsi que probablement des luttes d’influence politiques où l’on retrouve toujours des protégés de Lakwizinn du PMO. Pourtant, sous ce court deuxième mandat de Megh Pillay, Air Mauritius a enregistré au premier trimestre de 2017 un bénéfice de 2 millions d’euros, sa meilleure performance depuis dix ans, alors qu’une perte de 9,8 millions d’euros avait été enregistrée à la même période l’année précédente.

Hors-texte

Valse de CEO et de présidents bien connectés

11 CEO et 8 présidents ont été à la tête de MK. Peu de vrais professionnels, mais beaucoup d’amis politiques ont eu la charge d’une compagnie, ballottée au gré des crises pétrolières et financières dans des conditions de gestion souvent approximatives.

Si les trois premiers CEO d’Air Mauritius, Amédée Maingard, sir Harry Tirvengadum et Nash Mallam Hassan, étaient aussi présidents du conseil d’administration d’Air Mauritius, les huit autres avaient tous un président à leur tête.

Ainsi, l’aventure de MK démarre en 1967 avec à sa tête Amédée Maingard, qui dirigera la compagnie jusqu’à sa mort en 1981. Il est remplacé par Harry Tirvengadum, qui dirigera et présidera aux destinées de la compagnie nationale d’aviation jusqu’à jusqu’en 1997, soit le plus long mandat de tous les CEO (15 ans). Navin Ramgoolam le remplace par Nash Mallam Hassam, qui restera en poste jusqu’en 2000.

Entre 2000 et 2012, il y a eu 5 CEO et 4 présidents. C’est Vijay Poonoosamy qui assumera la direction sous la présidence honoraire de sir Harry Tirvengadum de retour en 2000, alors que Vinod Chidambaram poursuivra la mission, rejoint rapidement par le président Arjoon Sudhoo dans le sillage de l’affaire de la caisse noire. Puis, ce sera au tour de Megh Pillay de diriger pour la première fois MK, suivi de Nirvan Veerasamy et Manoj Ujodha, alors que la présidence sera assurée tour à tour par Sanjay Bhuckory et Kamal Taposeea,

Puis, c’est au tour de Raj Bungsraz de prendre les commandes les plus courtes de MK. Il ne restera que deux mois à la tête, avant que le Sud-Africain d’André Viljoen ne soit appelé à prendre la relève sous la présidence de Dass Thomas et Arjoon Sudhoo, appelés aux responsabilités. En 2016, Megh Pillay fait son grand retour pour être finalement remplacé par Somas Appavou, qui aura été l’un des rares à ne pas être éjecté comme ses prédécesseurs puisqu’il est parti de son propre chef le 2 mars 2020 alors que le gouvernement lui avait imposé une gouvernance à trois têtes dans la cabine de pilotage.

Ainsi, dès décembre 2019, alors que les finances virent au rouge vif, Dev Manraj, secrétaire financier, devient président du conseil d’administration au même moment que Sherry Singh, CEO de Mauritius Telecom et un incontournable de la cuisine et du Premier ministre, Pravind Jugnauth, devient membre du board de la compagnie. Moins d’un mois plus tard, le 16 janvier, le Bureau du Premier ministre décide, à travers le board, de mettre en place un « Transformation Steering Committee » avec Sherry Singh comme animateur principal.

Cette instance qui, subtilement prend le pouvoir au CEO Somas Appavou, a la tâche de poursuivre la grande réforme, par l’évaluation des propositions du rapport de la firme spécialisée Centre for Asia Pacific Aviation India (CAPA), qui vise théoriquement à transformer Air Mauritius pour la rendre viable et profitable.

Malgré les dires de Sherry Singh qu’il mettrait en place les mesures « en étroite collaboration avec Somas Appavou et le management », cette cohabitation entre Somas Appavou et Sherry Singh n’aura finalement duré qu’un mois et demi avant qu’Indradev Button, membre de longue date de la hiérarchie de MK, ne soit appelé à la rescousse comme Officer-in-Charge, comme il l’a été d’octobre 2016 à mars 2017 à la résiliation du contrat de Megh Pillay, jusqu’à la mise en administration volontaire.

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