Consommation : Circuit commercial au temps des vaches maigres

Gérald Lincoln (EY) : « It will get worse before it gets better »

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Les deux prochaines années seront « pénibles », dit l’économiste Bhavish Jugurnath

Hausse des prix : la dépréciation de la roupie pointée du doigt

Crise économique, crainte de licenciements, pouvoir d’achat réduit, hausse des prix… Les clignotants sont au rouge dans le secteur de la consommation et le moral des consommateurs est en berne. La contraction de la demande est visible dans les centres commerciaux et autres surfaces de vente. Confronté à une situation où il n’a pas de visibilité sur son avenir proche, sur l’évolution de son pouvoir d’achat ni sur celle de la pandémie, le consommateur freine des quatre fers.

Une tendance qui risque de durer et les mois qui arrivent ne seront pas nécessairement signe d’un retour à la normale, mais plutôt d’une “new normal”, c’est-à-dire un niveau de ventes inférieur. « Il y a une baisse de 5 à 10% des ventes, cela peut paraître peu mais cela impacte fort notre secteur », confie un directeur de supermarché. Les Mauriciens consommant moins, les touristes et de nombreux expatriés étant encore absents du pays, cela contribue à provoquer un ralentissement généralisé dans le secteur. « Les gens veulent dépenser moins car leur “income” a baissé ou baissera peut-être s’ils perdent leur emploi », dit cet opérateur.

Interrogé sur un éventuel retour à la normale, il affiche le pessimisme : « Ce ne sera pas avant 2021, et pas en janvier ou février, cela va venir bien après. D’ailleurs pour mes commandes de décembre, je les ai baissées de 10% et je ne sais pas quel opérateur prendra le risque d’importer plus ! Il y a la peur de l’inconnu qui freine le marché actuellement. Les gens ne savent pas exactement de quoi demain sera fait, surtout avec l’ouverture des frontières. Nous vivons une situation inédite et les consommateurs préfèrent être prudents. D’ailleurs, il y a moins de fêtes, moins de sorties, donc moins d’achats. » Ce directeur de supermarché n’a pas licencié mais il a gelé ses recrutements, préférant lui aussi la prudence.

Comme d’autres secteurs, la consommation risque elle aussi en effet de voir des fermetures et licenciements si la situation actuelle perdure, estime Dr Bhavish Jugurnath, économiste et expert-comptable. « Les deux prochaines années seront pénibles, le monde sera en récession. Ce n’est pas avant 2022 que nous pouvons espérer un retour à la normale dans le secteur de la consommation. Il risque même d’y avoir des fermetures et pertes d’emploi au niveau des supermarchés, boutiques et distributeurs car avec les prix qui grimpent la consommation va diminuer », dit-il.

La roupie mise à l’index

La hausse de prix des produits importés découle, selon lui, de la dépréciation de la roupie. « Les prix de presque tous les produits que nous achetons ont grimpé depuis janvier car 80% de ce que nous consommons sont importés. En général, les prix ont augmenté de 15 à 20% depuis janvier. Les FMCG (fast moving consumer goods) ont enregistré une hausse de 8 à 15%. Par ailleurs, le dollar s’échangeait à Rs 36 ou Rs 38 en janvier mais actuellement, il est presque à Rs 41», souligne Bhavish Jugurnath. Avec la hausse substantielle des prix des produits, sans oublier les coûts du fret qui ont aussi pris l’ascenseur, l’inflation va définitivement connaître une hausse dans les prochains mois.

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Gérald Lincoln : « It will get worse before it gets better »

« Les gens se serrent la ceinture, il y a moins d’argent qui circule et même ceux qui vont au restaurant essaient de dépenser moins qu’avant. L’“average spending” a baissé d’ailleurs. La MRA a déjà évoqué une baisse des recettes de la TVA. Chez les concessionnaires automobiles, il y a une baisse dans la vente de nouveaux véhicules », observe Gérald Lincoln, Country Managing Partner de EY (Mauritius).
Et le pire reste à venir… « Nous n’avons pas encore vécu la crise de plein fouet car en ce moment les entreprises sont toujours dopées par les différents plans d’aide mis en place par le gouvernement, mais quand la perfusion sera finie, it will get worse before it gets better ! » Car depuis le démarrage de la pandémie, nous sommes dans un cercle vicieux : « La consommation ralentit à cause de la récession économique et le ralentissement de la consommation à son tour crée aussi la récession. »
Interrogé sur les coups de promotion affichés par certaines grandes enseignes depuis quelque temps, avec des ristournes allant jusqu’à 50%, voire 70%, Gérald Lincoln explique que ce sont « des tentatives désespérées des commerçants de réduire leur stock d’invendus ». Commentant ces promotions, un observateur explique : « Sales numbers are not pretty. This is why you see monster sales in some places. The longer and deeper the sales, the worse off the business… »
Pour Gérald Lincoln, la réouverture des frontières devrait permettre au secteur de la consommation de souffler un peu, car le tourisme représente un quart de notre économie et « tout est relié au secteur touristique ».

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Yogida Sawmynaden : « L’avenir s’annonce très difficile »

Les commerçants ont désormais leur association : la General Retailers Association (GRA) lancée la semaine dernière en présence du ministre du Commerce, Yogida Sawmynaden. L’occasion pour Alex Tsang Mang Kin, président de la GRA, d’évoquer le poids du secteur “Retail” dans l’économie. Il représente environ 12,5% du PIB, soit un chiffre d’affaires de quelque Rs 50 milliards. Ce secteur emploie 80 000 personnes. « C’est un secteur très important qui mérite autant d’attention que les autres piliers économiques. « C’est pour cela que nous avons décidé, nous, commerçants, de nous réunir pour parler d’une seule voix concernant nos demandes et revendications, surtout dans un contexte actuel où nous traversons une crise sans précédent. » La GRA compte 17 membres fondateurs, mais espère rallier quelque 300 autres membres d’ici deux mois. Pour mieux se faire connaître, la GRA a lancé un site internet.

Yogida Sawmynaden, a expliqué que la COVID-19 « nous a donné beaucoup de leçons » et que « ce n’est pas encore derrière nous ». Le ministre a dit qu’il y a beaucoup de défis à relever, et que « nous vivons des moments très durs », que ce soit sur les plans local ou régional. « Notre méthodologie de travail doit évoluer afin de regarder l’avenir en face qui s’annonce, selon moi, très difficile. Nous avons beaucoup de soucis à nous faire parce que dans certains pays, certaines entreprises et usines ne travaillent pas “full swing”, mais à seulement 50% de leur capacité. Cela peut impacter directement sur nous car nous sommes une petite île qui dépend beaucoup de l’importation et cette situation peut être néfaste pour nous. D’où l’importance de se regrouper et travailler sur d’autres solutions. C’est beaucoup de “challenges” pour nous. Personnellement, je pense que ce n’est pas avant 2022 qu’on pourra avoir une stabilité aux niveaux international et local, si Dieu le veut et si la COVID est derrière nous. »

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Rajeev Hasnah (économiste) : « La dépréciation de la roupie ralentit la consommation »

Quelle est l’importance du secteur de la consommation dans l’économie ?
La consommation ménagère représente aux alentours de 75% de notre PIB, soit un niveau relativement élevé pour un pays comme le nôtre, surtout étant donné qu’on importe la majorité de ce qu’on consomme.

Tout été mis en œuvre ces derniers mois par le gouvernement pour favoriser les dépenses des ménages. Avec la pandémie, cette stratégie est tombée à l’eau, n’est-ce pas ?
La pandémie a carrément mis à genoux l’économie mondiale et redessiné les contours et fondamentaux économiques. Ainsi, la pandémie a surtout créé une situation précaire par rapport aux emplois et à la génération des revenus pour les entreprises, les ménagers et le gouvernement. Dans ce contexte, on peut conclure que la consommation, que ce soit des “fast moving consumer goods” ou des biens durables sera impactée d’une manière et d’une autre.
De toutes les façons, tabler sur une croissance économique principalement sur la consommation ménagère n’est certes pas la meilleure stratégie pour obtenir un développement économique durable et soutenable dans le temps.

Dans quelle mesure les taux de change actuels affectent le secteur ?
Comme la majorité de ce qu’on consomme est importée, la dépréciation continue de la roupie a déjà une incidence non négligeable sur le pouvoir d’achat des Mauriciens. À cela, on peut s’attendre à ce qu’on ait des effets différents dans le temps. Dans le présent, il est fort probable que ceux qui avaient déjà l’intention de dépenser sur des biens durables, et qui ont les moyens de le faire, préfèrent dépenser avant que les prix des biens augmentent de façon drastique. Mais dans le moyen terme, on peut s’attendre à un ralentissement de la consommation dû à la dépréciation de la roupie, mais aussi à la diminution du pouvoir d’achats des ménagers.

À quand un retour à la normale, selon vous ?
C’est difficile à dire. On aurait pu dire que cela dépend de l’évolution de la pandémie et du développement d’un vaccin efficace face à la COVID-19, mais pour l’île Maurice, il faut aussi prendre en considération l’impact de la liste noire de l’UE, entre autres.

Les importations ont chuté de près de Rs 5 milliards en juillet. C’est aussi un signe de ralentissement, n’est-ce pas ?
Il faut aussi prendre en considération qu’il y a des difficultés à importer des produits et des biens pour la consommation locale et que contrairement aux années précédentes, il n’y a pas de touristes pour consommer.

Avec un Key Repo Rate à 1,85%, la Banque centrale tend à favoriser la croissance économique, mais parallèlement il y a des risques de voir l’inflation exploser…
Il est impératif de favoriser la croissance économique. Certes, ce n’est pas seulement ou pas nécessairement le Repo Rate à 1,85% qui va favoriser une poussée inflationniste. Je dirais plutôt que c’est la dépréciation de la roupie liée à la fermeture de nos frontières, ainsi que l’effondrement de notre secteur touristique au début de l’année. Et à cela, il faut ajouter une probable dépréciation additionnelle de la roupie avec notre inclusion sur la liste noire de l’UE et l’impression des billets dans le temps qui auront une plus forte incidence sur l’inflation et sur, ce qu’on appelle dans notre jargon, les “inflation expectations”.

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