CONSOMMATION : Le poids du dollar US dans les prix à l’importation

Sonny Wong (Innodis) : « Le Landed Cost de la marchandise est plus élevé »

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Subheer Ramnoruth (Whitefield Business School) : « L’affaiblissement de la roupie est une méthode indirecte pour augmenter les recettes publiques »

Si les prix tendent à partir à la hausse dans les grandes surfaces, certes i: y a la tentation mercantile de certains commerçants en cette période difficile. Toutefois, un autre élément est vite oublié dans l’équation : le taux de change et la faiblesse accrue de la roupie, sans oublier l’élément de la hausse du coût du fret… « C’est vrai qu’il y a sans doute certains commerçants et fournisseurs malhonnêtes, mais il faut se rendre compte que pour tous les conteneurs qui débarquent au pays, le Landed Cost, soit le coût de la marchandise arrivée au pays, est en nette hausse », déclare Sonny Wong, Chief Operating Officer d’Innodis. Le Landed Cost est le prix du produit parvenu à destination incluant son prix initial, auquel s’ajoutent le fret, les frais douaniers, l’assurance, les coûts de manutention et le taux de change.

« Nous importons majoritairement en euros et en dollars. Ces derniers temps, le dollar est passé de Rs 37 à Rs 40 alors que l’euro est passé de Rs 39 à Rs 42. Et quand on multiplie la roupie mauricienne par 39 ou 42, c’est sûr que le produit coûte plus cher… La faiblesse de la roupie vis-à-vis des principales devises fait grimper le prix de la marchandise à Maurice », ajoute-t-il. Le glissement dirigé du taux de change de la roupie est donc en grande partie responsable de la hausse des prix dans les supermarchés, en particulier ceux des produits alimentaires, dont une très large proportion est importée, car Maurice ne produit pas suffisamment.
Dès maintenant, et tant que le billet vert sera fort, «les prix des produits importés ne peuvent donc qu’augmenter », et le consommateur en subit déjà les conséquences. « Il ne faut pas à chaque fois nous blâmer s’il y a une hausse des prix en bout de chaîne pour les consommateurs, car les prix des produits à l’importation sont tributaires du taux de change défavorable », lâche un importateur. En outre, il y a aussi une hausse du coût du fret, qui pèse sur le prix des produits importés.

Atteindre « l’équilibre »

Par contre, du côté des exportateurs, qui perçoivent leurs recettes en devises, la faiblesse de la roupie est plutôt bien accueillie. « Le revers de la médaille se situe au niveau de nos importations de produits. Nous voilà ainsi face à une situation très délicate pour tenter d’atteindre un équilibre entre les intérêts de l’exportateur, et donc de ses salariés, et ceux du consommateur », observe l’expert-comptable John Chung, Managing Partner de la firme KPMG. Cela d’autant plus que la Banque Centrale tend à baisser le Key Repo Rate (KRR) dans la conjoncture difficile de COVID-19. En fin de semaine dernière, le KRR est encore tombé, cette fois à 1,85%.
Et le directeur du cabinet PluriConseil, Eric Ng, prévient : « Outre le COVID-19, les Mauriciens feront face à deux autres épidémies, la peste de l’inflation et le choléra du chômage. » Dans un tel contexte, il déclare : « A charge pour la Banque de Maurice de cesser de dévaluer la roupie. Elle devrait vendre des dollars américains sur le marché local pour défendre la roupie. »

Par ailleurs, si plusieurs produits tendent à manquer dans les rayons des grandes surfaces et des boutiques depuis quelques jours, il faut savoir que plusieurs facteurs affectent actuellement l’approvisionnement et l’acheminement des marchandises vers Maurice. Est-ce dû à un problème de stock ? Non, disent les acteurs du marché. « Les ports dans certains pays qui nous approvisionnent sont bloqués, et fonctionnent à un rythme plus lent. Il y a aussi un problème au niveau de certaines usines à l’étranger qui fabriquent les produits que nous importons. À cause du confinement, leur personnel n’est pas opérationnel à 100%. Cela augmente la pression sur nous, car nous devons remplir les rayons des supermarchés, sinon les Mauriciens seront en colère. Nous faisons de notre mieux étant donné les circonstances », souligne le COO d’Innodis.

Actuellement, dans les pays fournisseurs – comme l’Inde, l’Italie ou encore l’Afrique du Sud – la situation est difficile à divers degrés. « Par exemple, en Afrique du Sud, l’usine qui nous approvisionne est opérationnelle, mais c’est le port d’origine qui est congestionné. En Inde, c’est le contraire : le port fonctionne, mais le problème, c’est que l’usine qui fabrique les produits ne fonctionne pas normalement, car 80% de son personnel est en confinement. Ce sont des situations sur lesquelles nous n’avons pas de contrôle », explique un importateur face aux critiques des consommateurs mauriciens.

Outre ces problèmes « at source » dans les marchés fournisseurs surgit également un autre, cette fois lié aux lignes maritimes. Avec la diminution des exportations observée à l’échelle mondiale, et du fait que les ports ne fonctionnement pas de manière optimale avec le « lockdown » dans plusieurs pays, ces « shipping lines » se voient contraintes de réorganiser leur réseau et de revoir leur stratégie afin, elles aussi, de rationaliser leurs coûts. Et dans ce nouveau schéma, il est clair que les dessertes de ces lignes maritimes sont réduites, d’où un retard en approvisionnement parfois observé.

Si Maurice n’a pas de contrôle sur ces facteurs endogènes affectant l’approvisionnement du pays, Sonny Wong voit quand même les choses sous un angle positif. « L’essentiel dans la situation actuelle, c’est qu’il est primordial que Port-Louis ne soit pas congestionné aussi ! Tant que Port-Louis fonctionne normalement, c’est bon. C’est pour cela que nous insistons sur ce point à chacune de nos réunions avec le ministère du Commerce ou la Chambre de Commerce et d’Industrie. Et pour l’heure, Port-Louis n’est pas congestionnée. Donc, cela enlève un peu de pression sur nos épaules. »
Enfin, l’autre problème qui double la pression sur les importateurs, sociétés de distribution et opérateurs du « Retail », c’est que les consommateurs sont en train de « surstocker » disent-ils, et ce alors qu’ils devraient « acheter normalement ».
Par ailleurs, les difficultés d’approvisionnement à la source des grandes sociétés de distribution actuellement compliquent les choses en matière de promotions proposées dans les grandes surfaces. Celles-ci sont plus rares depuis le « lockdown », d’où la perception que les prix grimpent. « Pour pouvoir offrir des promotions aux supermarchés, c’est tout un travail à faire en amont, et il y a certaines conditions à respecter. D’abord, il faut prévoir deux fois plus de volume dans nos entrepôts pour les articles qui seront mis en promotion. Si nous n’avons pas suffisamment de stocks, nous ne pouvons pas proposer de promotions au ‘Retail Sector’, car nous devons nous engager à assurer que les produits en question soient disponibles pendant toute la durée de la promotion et en grand volume. Au cas contraire, ce serait une tromperie envers le consommateur », explique ce haut cadre d’une grande compagnie de distribution. Or, actuellement, avec un « débit plus fort que la normale » dans les entrepôts de produits alimentaires du pays, avec la tendance des consommateurs à surstocker, il arrive que certains produits ne soient pas disponibles, rendant ainsi impossible l’organisation de promotions…

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Hausse des recettes publiques

Avec l’augmentation du dollar, le prix des marchandises que nous importons augmente. « Un produit qui coûte normalement Rs 300 peut désormais coûter Rs 320 au supermarché », analyse Subheer Ramnoruth, Director Academic & International Affairs de la Whitefield Business School. Mais il n’y a pas que ça. « La perception de la TVA est à taux fixe. Cette augmentation des prix implique donc une augmentation du montant perçu par le gouvernement sous forme de recette fiscale. Donc, au lieu d’augmenter directement les impôts, l’affaiblissement de la roupie constitue en quelque sorte une méthode indirecte d’augmentation des recettes publiques, sans avoir à augmenter les impôts », dit-il. En revanche, l’autre côté positif de l’affaiblissement de la roupie et de la hausse de l’euro, notamment, est que « cela pourrait constituer un attrait pour l’afflux de touristes lorsque les vols reprendront ». Et d’ajouter que « Maurice sera alors une destination plus abordable pour les étrangers », à condition toutefois que l’euro maintienne cette tendance.

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