Coronavirus : contamination économique

Hospitality : outre le risque d’être «short» de 44 000 touristes venant de Chine, soit des recettes brutes potentielles de Rs 2 milliards en une année, la psychose de voyager est plus à craindre

- Publicité -

Air Mauritius fait face à un manque à gagner de 5% sur les sièges-avion avec l’annulation de la desserte sur la Chine et Hong Kong

Aux Finances : spectre d’un taux de croissance davantage proche de la barre des 3% que des 4% pour la première année de Renganaden Padayachy

CEB : les prévisions d’un baril de pétrole à $30 à terme laissent entrevoir des profits par milliards si les tarifs ne sont pas modulés avec l’évolution sur le marché mondial

Sucre : progression entre 11 et 13% du cours mondial à Londres et à New York depuis le début de l’année

Textile : Madagascar et l’Éthiopie s’apprêtent à damer le pion à Maurice avec la délocalisation de la confection de la Chine

À Maurice, l’épidémie de coronavirus ne se résume nullement à la mise en quarantaine d’une quarantaine de passagers débarquant au Sir Seewoosagur Ramgoolam International Airport, soit 15 en hibernation sanitaire à l’hôpital de Souillac et 27 autres au centre de jeunesse à Anse-La-Raie. Il faudra ajouter à ce nombre six officiers de la Special Mobile Force (SMF), de retour d’un stage d’une année en Chine, notamment à Nanjing. Chiffres officiels à hier. Même si à ce jour aucun cas avéré de coronavirus n’a été détecté, la contamination est davantage sur le plan économique. Au fil des jours, les premiers frémissements de l’épidémie, qui a littéralement paralysé un géant économique, la République populaire de Chine, avec 30% des échanges mondiaux, laissent des traces indélébiles sur Maurice. Il n’y a pas que le secteur de l’hospitality qui est frappé de plein fouet. Quasiment toutes les autres activités économiques, du textile à la construction, en passant par les ti-komers, sont affectées dans le sillage des déboires des autorités chinoises face à la progression de cette épidémie. Mais il n’y a pas que du négatif à ce tableau. Avec la perspective d’un baril de pétrole à hauteur de 30 dollars américains, coronavirus oblige, l’on se frotte les mains au QG du Central Electricity Board (CEB) vu qu’à ce prix du combustible principal, des profits par milliards devront être générés sur le dos des abonnés, comme en 2015 et 2016. Et du côté du Syndicat des Sucres, qui a fait l’objet de critiques acerbes ces dernières années, l’on suit avec une attention redoublée l’évolution à la hausse du cours mondial du sucre depuis le début de l’année, alors que le textile devra puiser dans ses derniers retranchements pour prendre avantage de tout mouvement de délocalisation des unités de confection de la République Populaire de Chine, car à ce chapitre, Madagascar et l’Éthiopie détiennent des atouts pour attirer et héberger ces investissements en détresse.

Sur le plan macro-économique, le nouveau Grand Argentier, Renganaden Padayachy, n’aura d’autre choix que de revoir les bases des projections économiques établies par son prédécesseur aux Finances, le Premier ministre, Pravind Jugnauth. Dans le budget 2019-20, présenté à l’Assemblée nationale en juin dernier, il avait prévu un « real GDP growth in the range of 4% to 4,2% during period 2019/2022. » Le raisonnement derrière ces prévisions de croissance optimistes est que, « according to the International Monetary Fund (IMF), a pick-up in global economic growth is projected from the second half of 2019 and will continue into 2020 on the basis of the impact of policy stimulus in China. »

Toutefois, en ce début d’année, les plans ont été déjoués avec l’avènement du coronavirus. En attendant l’arrivée de la mission Erickson du Fonds monétaire international (FMI) pour les Article IV Consultations à la fin de ce mois, au ministère des Finances, l’on a déjà anticipé une coupe d’au moins 0,5 point, si ce n’est plus, dans le taux de croissance à court terme. Le nouveau ministre des Finances tente déjà d’engager une série d’initiatives en vue de parer au plus pressé, même si la menace d’une croissance davantage proche de la barre des 3% que des 4% n’est pas à écarter. La mission du FMI devra prochainement valider les hypothèses de croissance retenues pour cette année.

Entre-temps, les consultations avec des stakeholders et autres opérateurs économiques auront permis de baliser les champs d’intervention et d’identifier les secteurs économiques à risques. D’abord, l’objectif défini de l’hôtel du gouvernement est de tout mettre en place pour que Maurice garde sa réputation de coronavirus-free country avec un système de screening à toute épreuve au Sir Seewoosagur Ramgoolam International Airport.

Le mot d’ordre relayé par le ministère des Finances se résume comme suit : « Nous devons éviter que Maurice soit classée dans la catégorie des pays où le coronavirus aura été détecté. Les conséquences pourraient alors s’avérer catastrophiques pour le pays. Déjà, l’Organisation mondiale de la santé présente Maurice comme le troisième pays à risques en Afrique en raison des échanges et communications avec la Chine. L’annulation des dessertes aériennes directes avec la Chine et Hong Kong, et en complément un contrôle plus rigoureux au port et à l’aéroport devraient constituer des signaux forts pour le monde extérieur. »

Néanmoins, la situation est davantage plus préoccupante sur le front du tourisme. Ce secteur, qui vient de connaître une année décevante, essuie de plein fouet les effets de l’épidémie de coronavirus. Ce n’est pas le nouveau ministre, Joe Lesjongard, qui osera contredire la thèse qu’il faudra se préparer à faire face à des dégâts conséquents dans ce secteur. À chaque sortie publique, il tient le même discours (voir encart plus loin). D’ailleurs, des séances de travail sont annoncées avec les acteurs du tourisme et de l’hôtellerie en vue de dégager un plan d’action pour contrecarrer les retombées dans les annulations dues au coronavirus.

Des spécialistes soulignent que le marché touristique chinois représente un potentiel de 44 000 touristes annuellement. Avec un séjour d’une moyenne de dix jours et des tourism receipts per visitor per day de Rs 4400, le manque à gagner en termes de recettes brutes est dans les Rs 2 milliards en un an. De prime abord, compte tenu du poids de la clientèle venant de la République populaire de Chine, certaines enseignes hôtelières comme Le Long Beach, le Four Seasons Anahita Mauritius ou encore Le Shangri-La, doivent revoir leur stratégie de marketing pour compenser ces annulations de réservation.

Source d’inquiétude

Tout au moins, c’est ce qu’on laisse entendre dans les milieux de l’hôtellerie. « Avec une stratégie de bous trou, soit des campagnes de promotion bien ciblées avec des rabais, l’hôtellerie pourrait sauver la mise en termes de room occupancy, mais aux dépens de recettes bien inférieures », fait-on comprendre. D’ailleurs, à ce stade, l’on préfère éviter de s’engager dans des projections, préférant attendre la fin du premier trimestre pour un diagnostic complet aussi bien que de compléter les mesures stragétiques à prendre et surtout à se battre pour le marketing de Maurice comme une safe tourist destination.

Ainsi, commentant la performance financière du groupe Lux* Island Resorts pour le dernier trimestre de l’année dernière, avec une baisse des bénéfices de 16%, le Chief Executive Officer, Désiré Elliah, soutient que « la baisse des arrivées de touristes à Maurice, au cours du dernier trimestre, demeure toujours une source d’inquiétude pour le groupe. Bien que nous ayons noté quelques annulations, il est difficile d’évaluer l’impact de l’épidémie du coronavirus sur le groupe à ce stade. Cependant, l’industrie a montré dans le passé qu’elle est résiliante. Avec une vraie politique de diversification de nos marchés, le groupe et l’hôtellerie mauricienne, en général, devraient être en mesure de résister à la baisse attendue du nombre de touristes chinois au cours des prochains mois. »

De son côté, New Mauritius Hotels Ltd, qui annonce une progression de 30% de ses profits, soit Rs 579 millions, pour la période d’octobre à décembre de l’année dernière, se veut davantage plus optimiste. Dans son analyse des perspectives pour l’année, NMH attire l’attention sur l’impact probable du coronavirus qui a éclaté en Chine, sur les arrivées touristiques à Maurice au cours des prochains mois. « Malgré cette menace, les résultats du groupe devraient montrer une légère amélioration au deuxième trimestre, par rapport à l’année dernière. Cela en raison d’un taux de change plus favorable et un meilleur taux d’occupation à Maurice ainsi qu’à Marrakech », note un communiqué de ce groupe hôtelier en fin de semaine.

Le tableau est plus difficile, sans vouloir être sombre, pour Air Mauritius. L’annulation de la desserte de la République populaire de Chine et de Hong Kong représente un retrenching de quelque 5% de sièges-avion disponibles sur l’ensemble de ses opérations. « Mais la psychose du coronavirus fait qu’une certaine tiédeur à voyager est ressentie sur d’autres destinations également », concède-t-on dans les milieux autorisés de la compagnie aérienne nationale engagés à élaborer un redeployment scheme des avions et du personnel navigant en congé forcé.

En contrepartie, les conséquences de l’épidémie affectant principalement la Chine laissent apercevoir des signes positifs. Le ralentissement, pour ne pas dire l’arrêt, des activités dans les grandes métropoles en Chine se traduit par « the worst shock to oil demand in over a decade. » À la clôture du marché, vendredi, le cours mondial du baril de pétrole a enregistré une baisse pour la cinquième semaine consécutive, avec l’agence de presse Bloomberg soutenant que « oil prices were on course for the longest run of weekly declines since November 2018. » D’autres spécialistes du marché de l’or noir vont jusqu’à prévoir que « a perfect market storm could hammer oil prices below $ 30. » Une situation similaire s’était présentée le vendredi 15 janvier 2016 avec le Brent coté à $ 29.25. Ainsi, Air Mauritius, qui met actuellement à exécution son turn-around plan, avec un poids excessif pour le budget de carburant à dompter, peut prétendre bénéficier de cette manne avec la réduction du cours pétrolier de quelque 20% en un mois.

“Window of opportunity”

« La question qui se pose est de savoir à quelle période et sous quelles conditions sont intervenues les opérations de hedging pour l’achat de carburant. Personne ne pouvait prétendre que la Chine allait s’éternuer avec le coronavirus en ce début de 2020. Puis, en janvier dernier, l’instabilité au Proche-Orient avait dopé le cours mondial du pétrole. Pour confirmer si Air Mauritius est en bonne posture pour optimiser ses opérations avec le baril de pétrole en baisse, il fait absolument prendre connaissance des conditions d’approvisionnement de carburant », s’appesantissent ceux qui sont dans les secrets des dieux.

Par contre, au Central Electricity Board, où l’on se méfie des hedging operations comme du coronavirus, l’on peut prévoir une réédition de la performance de 2015 et de 2016 avec des profits bruts variant dans la fourchette de Rs 3 milliards à Rs 4,7 milliards avec le baril de pétrole sous la barre des $ 30. Ces révélations dans un Management Accounts Forecast Report en date du 30 juillet 2015, publiées dans l’édition de Week-End du 29 août 2015, avaient fait grand bruit sur l’échiquier politique avec le Deputy Prime Minister, Ivan Collendavelloo, pris à contre-pied.

« The slump in oil prices will keep inflation low in Mauritius and China’s economic slowdown will help to keep it low. Air Mauritius should benefit from these price movements. But the real challenge is that only last week, MCB Group has declared war on coal. We know fully well that CEB is still slow for alternative energy and the low oil price makes the switching costs to renewal energy even more expensive. Do we love our profits more than our environment?C’est la question que l’on devrait se poser avec la conjugaison des effets de l’épidémie du coronavirus et de l’urgence climatique », souligne-t-on dans les milieux avisés du secteur privé.

Un autre secteur d’activités économiques qui pourrait profiter du coronavirus n’est autre que l’industrie cannière, avec la Banque mondiale à son chevet. De ce fait, l’Agence France-Presse, dans une dépêche en date de vendredi, citant Caroline Bain de Capital Economics, note que « des prix en baisse liés aux peurs d’une demande chinoise en berne » mais pointe quelques exceptions, à l’image du cours du sucre, qui bénéficie de récoltes ralenties dans toute l’Asie. À Londres, la tonne de sucre blanc pour livraison en mai a progressé de plus de 13% depuis le début de l’année. À New York, la livre de sucre brut pour livraison en mars s’est appréciée de plus de 11% sur la même période.

Dans l’industrie du textile, le mood est mi-figue mi-raisin. L’interdiction des importations de Chine et le renforcement des mesures de contrôle au port et à l’aéroport font que la rupture de la supply chain est plus qu’évidente. La consigne aux opérateurs affectés est d’établir des sources alternatives d’approvisionnement en matières premières pour contourner ces obstacles. Par contre, une window of opportunity attend d’être exploitée par cette même industrie textile. «However, there maybe some gains in textiles as production from China may shift to other countries. Mais Maurice devra abattre ses atouts pour attirer ces investissements venant de Chine, car Madagascar et l’Éthiopie pourraient se retrouver en meilleure posture », confie-t-on, alors qu’au niveau de l’importation de la main-d’oeuvre chinoise, la construction devra chercher ailleurs.

En conclusion de cette contamination économique, « the worst hit will be the traders and consumers, the champions of cheap China. We are going to see red with China. C’est maintenant que le Mauricien réalisera à quel point les produits importés de Chine se sont introduits dans notre quotidien »

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -