Couvre-feu sanitaire : Safire à l’écoute des enfants de rue marginalisés

Edley Maurer (Safire) : « Des enfants vivent dans des situations extrêmement précaires »

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Appel de détresse au ministère de l’Éducation : « Beaucoup d’enfants n’ont ni télé, ni Internet pour pouvoir suivre les cours à distance »

En cette période de confinement prolongé, les quelque 300 bénéficiaires de Safire (Service d’accompagnement, de formation, d’intégration et de réhabilitation de l’enfant) sont « dans la mesure du possible suivis de près par nos équipes, qui sillonnent l’île deux fois par semaine », explique Edley Maurer, manager de l’Ong. Il fait ressortir néanmoins que nombre d’enfants suivis par Safire « vivent dans des régions et des conditions peu propices au respect scrupuleux des consignes de sécurité ». En outre, bien que beaucoup d’entre eux soient scolarisés, la plupart n’ont ni Internet, ni Wi-Fi, ni même de postes de télévision chez eux. Il lance un appel au ministère de l’Education afin que celui-ci « comprenne la situation des enfants qui ne peuvent suivre les cours dispensés en ligne ou à la télé ».

Deux fois par semaine, depuis que le pays se trouve en confinement, Edley Maurer et des éducateurs de rue faisant partie de l’équipe de l’Ong descendent sur le terrain « afin de partir à la rencontre de nos jeunes bénéficiaires », explique le manager de Safire. L’association, créée en 2006, touche à ce jour 300 mineurs âgés de 11 à 16 ans et venant des quatre coins du pays. « Quelques-uns ont la possibilité de rester en contact permanent avec nous via des plateformes comme WhatsApp. Ils ne sont évidemment pas nombreux, car ce sont des enfants qui proviennent de foyers très modestes, pour ne pas dire marginalisés. Mais ils font l’effort, en persévérant et travaillant dur, pour avancer dans la vie », précise Edley Maurer. « Nous avons de cette manière mis en place des groupes de discussions, qui transmettent les informations des uns aux autres. »

Ces jeunes, continue-t-il, « agissent un peu comme nos relais en ceci qu’ils peuvent nous informer si certains de leurs camarades sont dans une situation de difficultés ou d’urgence, s’ils ont besoin de quelque forme d’aide et de soutien, que ce soit en alimentation ou autre ». Dans la même veine, fait remarquer Edley Maurer, Safire compte des jeunes dans diverses régions du pays qui ont été « empowered », suivant des formations très distinctes et précises. « Ils sont nos petits leaders, qui évoluent dans plusieurs quartiers et régions de l’île. C’est une forme de ‘networking’ qui nous permet de rester en contact avec le plus grand nombre. Dans la situation présente, plus que jamais, ce réseau est très performant ! »

A la lumière des informations remontées par ces jeunes, les éducateurs de rue de Safire élaborent alors des « programmes de travail » afin d’assurer un maximum d’aide, surtout en cette période de confinement, aux bénéficiaires. Pourtant, certains enfants restent toujours intouchables : « Il y a plusieurs raisons à cela, explique Edley Maurer. D’abord, certains habitent des quartiers où on ne peut se rendre. Même si on sort deux fois la semaine, il faut se rappeler que nous sommes en situation de couvre-feu sanitaire, et que nous devons respecter des consignes nationales de sécurité, ce qui comprend l’interdiction de circuler librement dans les rues et dans le pays. » Ensuite, relève-t-il, un certain nombre de ces enfants est issu de foyers très pauvres et démunis. « Ils n’ont ni téléphone, ni aucun moyen de communication… C’est dans cette configuration que ceux qui sont nos ‘petits leaders’ agissent comme relais entre eux et nous. »

En ce qu’il s’agit de la nourriture, le manager de Safire dit « saluer très bas notre collaboration étroite avec un partenaire devenu très important, Foodwise ». En effet, note notre interlocuteur, « grâce aux efforts de Foodwise », des « foodpacks » sont distribués aux bénéficiaires régulièrement. « Cela nous permet de nous assurer qu’ils mangent bien au moins. » En revanche, continue Edley Maurer, « pour ce qui est du respect des consignes de sécurité et des précautions barrières, comme la ‘social distancing’, dans certains cas, les ados ne peuvent s’y résoudre ». Il explicite : « Bon nombre de nos jeunes vivent au sein de foyers extrêmement démunis. Ils se retrouvent à plusieurs dans deux ou trois pièces. Comment observer la ‘social distancing’ dans ces cas ? »

Pire encore, ajoute le manager de Safire, certains vivent dans des endroits « à peine salubres, où il fait chaud, où on étouffe » à l’intérieur. « Je pense là à ceux qui se retrouvent dans la banlieue de la capitale et des régions avoisinantes. Comment empêcher ces jeunes de sortir, de trouver refuge par exemple sous un grand arbre où, au moins, ils peuvent respirer ? » Sans oublier, précise notre interlocuteur, que la plupart n’ont ni masque ni gants. « Du savon, ça passe encore. Mais du gel… »

Edley Maurer fait ressortir cependant que les enfants « nous donnent de bonnes raisons de continuer ». Il poursuit : « Ils ont été très attentifs et ont compris les dangers que représente le Covid-19 pour eux et pour tous ceux qui les entourent. (…) Safire s’y est pris à l’avance, bien avant que l’on détecte les premiers cas dans le pays. Nous avons informé et formé nos bénéficiaires sur le virus, sur les moyens de se protéger et les gestes barrières. Les enfants ont compris tout cela et pratiquent ce qu’ils ont appris. » De fait, souligne-t-ils, « parmi ceux qui parviennent à communiquer avec nous, certains nous font comprendre qu’ils se sont mis à l’abri et qu’ils font le nécessaire pour que le virus ne les atteigne pas ». Mais on n’est jamais trop prudent, aime rappeler Edley Maurer. « C’est pour cela qu’on maintient une ligne de communication régulière avec le plus grand nombre. »

« Beaucoup d’enfants et d’adultes  livrés à eux-mêmes dans nos rues »

Des travailleurs sociaux engagés sur le terrain auprès des personnes les plus vulnérables de notre société font un constat alarmant : « En cette période de confinement national, nous lançons un appel au gouvernement. Nous savons que beaucoup d’argent est dépensé actuellement dans la prise de mesures et l’exécution de projets destinés à contenir le virus, aux métiers informels, à ceux qui perdent leur emploi, et dans le but de relancer le pays à la reprise. Nous sommes tous très conscients de ces efforts et nous louons les initiatives prises. C’est très honorable de la part de nos décideurs politiques de penser à tout cela. »

Mais tout n’est pas rose pour autant, estiment ces travailleurs sociaux, qui préfèrent garder l’anonymat. « En ces temps difficiles, il y a une réalité qui saute aux yeux : c’est celle de ces dizaines de jeunes, d’enfants et d’adultes qui n’ont pas de toit, qui traînent dans les rues, qui dorment sur les bancs publics, sur les trottoirs… Bref, là où ils trouvent un petit coin… » Ils font ainsi remarquer que ces personnes sont « très vulnérables ». Ils expliquent : « Ils sont à la merci des bandits et des profiteurs de tous bords. Ce ne sont, à priori, pas des personnes à problèmes. Ils n’ont simplement nulle part où aller et ont leur lot de soucis. Ces pauvres âmes n’ont jamais été recensées par aucune structure gouvernementale. Pire : plusieurs régimes politiques se sont succédé, et tous ont joué à la politique de l’autruche avec ce sujet. C’est pourtant une réalité : nous avons des Mauriciens qui dorment dans les rues partout à travers l’île. Ce sont des enfants, des jeunes et des adultes qui sont concernés. Nous demandons au gouvernement de prendre ces personnes en considération. C’est là une occasion où ces personnes sont ‘visibles’, et donc peuvent être identifiées et recensées. Que l’on mette en place des structures d’aide et de soutien à leur intention ! »

« Pour un meilleur lendemain »

Edley Maurer explique : « De par ma position de manager de Safire, je fais partie d’un réseau mondial qui s’occupe d’enfants en situation de rues dans le monde entier. Il y a par exemple des pays comme l’Inde, où le problème des enfants qui sont à la rue est très aigu. Mais dans ces pays, les autorités, avec le soutien de la société civile, ont planché dessus et élaboré des projets à l’intention de ces enfants. » Dans le même esprit, continue-t-il, « au Kenya, le gouvernement a légiféré et mis en place de nouvelles structures destinées à ces ‘key populations’ qui ne figurent pas dans les registres sociaux classiques », avant d’estimer que « l’on pourrait s’en inspirer ».

Le manager de Safire a un message d’espoir : « La situation dans laquelle nous nous trouvons n’est pas unique à notre pays. C’est quelque chose qui est en train de se produire dans le monde entier. Or, nous avons là une occasion en or de bâtir un lendemain meilleur pour tout le monde. Parce que nous sommes tous, là, dans nos pays respectifs, et qui que nous soyons, sur un pied d’égalité : à nous de forger notre avenir, avec de meilleurs moyens et en reposant sur des fondations solides et bénéfiques à tous. »

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