CRIMES FINANCIERS — Blanchiment d’argent : Protéger les comptables contre les risques de blanchiment

Telle est la mission que se donne la MIPA face aux déficiences notées sur le plan de “money laundering vulnerability rating”

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Considérés comme des “frontliners” dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le combat contre la fraude et la corruption, au même titre que les banques et “management companies”, les comptables ont des devoirs et responsabilités, et ne pourront y échapper. Cela dans la mouvance de la National Strategy for Combating Money Laundering and the Financing of Terrorism, publiée fin 2019, et dans le sillage du Mutual Evaluation Report de 2018.

En raison de son positionnement géographique stratégique et à travers son centre financier, Maurice est particulièrement exposée au danger de blanchiment d’argent sur l’axe Afrique-Asie. Le pays est utilisé comme destination de transit et les fonds sont canalisés soit par les criminels financiers eux-mêmes, soit à travers des “professional money launderers” vers la juridiction mauricienne. Ces derniers sont basés à l’étranger ou même localement. Ce n’est pas nous qui le disons, mais le National Strategy for combating money laundering and the financing of terrorism (2019-22). Et selon ce document, le “money laundering vulnerability rating” de Maurice est jugé “medium-high”. Cette notation est telle car notre “Overall national combating ability” a été notée comme étant “medium low”, des déficiences ayant été observées dans différents secteurs d’activité : “gambling”, immobilier, bijouterie, profession légale et “non-bank financial services”. Les autorités, régulateurs et opérateurs doivent donc agir vite pour éviter que la réputation du pays ne se ternisse davantage, et surtout pour sortir de la liste grise de la Financial Action Task Force (FATF) et de la liste noire de l’Union Européenne. Amendements légaux, introduction de nouveaux règlements sont donc à l’ordre du jour. Et la profession comptable, bien entendu, faisant partie des DNFBP (Designated non financial businesses and professions), n’est pas en reste, d’autant qu’elle est particulièrement vulnérable dans le processus de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme international.

Utilisés à leur insu

Les criminels financiers sont moins enclins à utiliser les canaux bancaires pour faire passer leurs fonds illicites car les banques sont sujettes à des mécanismes de contrôle rigoureux. Ils se tournent désormais vers des professions moins réglementées. Et les comptables sont des proies évidentes dans ce processus. Le régulateur de la profession, le Mauritius Insitute of Professional accountants (MIPA), a dû prendre le taureau par les cornes et émettre récemment des directives pour les comptables et firmes comptables concernant la lutte contre le blanchiment d’argent. Ces derniers doivent désormais s’y conformer, exercer la plus grande vigilance à tout instant, ne pas avoir peur de poser les bonnes questions à leurs clients, se conformer à l’éthique de la profession et être adéquatement formés pour être en mesure de détecter des transactions douteuses.

Le ministre des Services financiers, Mahen Seeruttun, estime que les comptables sont des “gatekeepers”, des « chiens de garde », car l’on attend beaucoup d’eux dans la lutte contre les crimes financiers. Les blanchisseurs d’argent auront besoin des comptables pour créer des structures d’entreprise, déposer des déclarations de revenus frauduleuses et bénéficier de conseils sur la planification fiscale. « En général, les comptables sont sérieux mais il y a eu des cas à Maurice où les comptables sont utilisés à leur insu pour déverrouiller les portes mêmes qu’ils sont eux-mêmes censés garder ! Malgré les meilleures intentions et contrôles et s’ils n’exercent pas la plus grande prudence, les comptables peuvent se retrouver empêtrés dans des manœuvres illicites », a observé le ministre.

Le MIPA va ainsi renforcer ses structures dans les mois à venir. Il va se lancer dans l’“on-site supervision” auprès de ses membres. Le régulateur compte renforcer son département Supervision ainsi que son personnel qui doit être convenablement équipé pour superviser ce secteur clé dans la lutte contre le crime financier. « Les criminels utilisent de plus en plus des moyens sophistiqués pour faire transiter leurs fonds illicites et, en tant que régulateur, nous devons renforcer nos capacités et travailler à ce que les membres de la profession soient beaucoup plus vigilants dans leur approche, mettent en place des systèmes de contrôles et qu’ils soient capables d’évaluer les risques. L’attention au détail est cruciale. Les comptables doivent constamment se demander si telle ou telle activité n’est pas une “suspicious transaction”. Ils doivent s’enquérir discrètement de la source des fonds », explique Vivek Gujadhur, expert-comptable et président du MIPA. Au moindre doute, ils doivent se conformer aux règlements en vigueur, c’est-à-dire rapporter le cas à la Financial Intelligence Unit. Actuellement, ce n’est pas vraiment la pratique… Car les transactions douteuses qui sont notifiées à la FIU le sont surtout par les banques et les “management companies”. Il y a donc des lacunes évidentes en termes de “reporting” des transactions louches par la profession comptable. Et comme le dit Mahen Seeruttun, le défi aujourd’hui ce n’est pas l’absence de règlements et de standards, mais la mise en œuvre des règlements. Un vaste chantier. À charge donc pour les comptables d’être à la hauteur de ce que l’on attend d’eux.

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Vandana Boolell (Temple Consulting) : « Dénoncer… avec ou sans l’aval de la direction »

Vandana Boolell, directrice de Temple Consulting, a animé un atelier de travail cette semaine à l’intention des membres de la profession comptable. D’autres séances sont prévues dans les prochaines semaines. Depuis 2018, les comptables ont l’obligation légale d’appliquer en interne certaines mesures pour s’assurer que leur organisation n’est pas exploitée dans le cadre du blanchiment d’argent. « Nous leur expliquons ce que nous attendons d’eux et de quels outils ils auront besoin et nous évoquons aussi des problèmes pratiques et comment ils peuvent y faire face. Cette initiative s’inscrit dans une professionnalisation accrue de ce secteur d’activité afin de démontrer clairement à la scène internationale que Maurice applique de hauts standards. Au niveau de Temple Consulting, nous accompagnons déjà plusieurs entreprises à cet égard et nous collaborons avec le MIPA pour des séances de formation afin que le régulateur s’assure que nous véhiculons le standard approprié et qu’il y a un message consistant et clair pour toute la profession comptable », souligne-t-elle.

Sous les nouveaux règlements en vigueur, les comptables ont pour responsabilité de dénoncer les “suspicious transactions” à la FIU. « C’est une responsabilité qui leur incombe en tant que professionnels et comptables accrédités et ils doivent le faire avec ou sans l’aval du “senior management” de la compagnie qu’ils ont pour client. Ils doivent le faire indépendamment de ce que pourrait faire ou non la direction de cette compagnie. Lors de la formation, nous leur expliquons dans quels contextes ils doivent prendre ces décisions et sous quelles considérations. Ils doivent adhérer à des normes internationales très claires. Beaucoup de comptables sont déjà conscients de leurs responsabilités, mais c’est dans la pratique qu’il y a encore certains blocages. Nos lois et nos standards sont déjà à un niveau très respectable », poursuit Vandana Boolell.

Il y a urgence aujourd’hui à tout mettre en œuvre dans la lutte contre le crime financier, car les instances internationales ont placé le pays sur la liste grise (GAFI) et sur la liste noire (UE). « Les comptables doivent prendre conscience de l’ampleur de la contribution qu’ils peuvent apporter au bien-être du pays. Ils ne doivent surtout pas hésiter à dénoncer ce qui doit l’être. Beaucoup de comptables sont déjà très compétents mais il faut juste qu’ils sachent utiliser leurs compétences à bon escient, d’une façon plus proactive je dirais, afin d’assumer leurs responsabilités comme le requiert la loi. Ce “shift” se passe dans différents secteurs d’activité car la question de lutte contre le blanchiment d’argent est une question qui touche tout le monde, pas que les comptables. »

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Siva Arnagherry (Business Financial Services Ltd) : « Sensibiliser nos clients »

« Il y a une prolifération de trafic de drogue et de transactions illégales. Les criminels utilisent divers moyens pour blanchir leur argent », observe Siva Arnagherry de Business Financial Services Ltd. Et de poursuivre : « En tant que comptables et auditeurs, nous devons mettre des systèmes en place pour identifier l’existence de cas de blanchiment d’argent. Maurice est dans la liste noire de l’UE, c’est une pression additionnelle sur nous et c’est pour cela que nous devons accélérer l’application de toutes ces procédures et systèmes afin de pouvoir détecter les risques et transactions louches et aussi minimiser les risques quand cela est possible. Nous avons aussi le rôle de sensibiliser nos clients, dès le départ dans notre approche même. Nous devons être vigilants à tout moment. Par exemple, si l’un de nos clients est un actionnaire et qu’il apporte du capital frais dans la compagnie, c’est notre devoir de poser des questions sur la source de ces fonds et en même temps d’expliquer à nos clients pourquoi ils doivent nous fournir ce genre d’informations. Si nous voyons une transaction louche, nous devons effectuer notre “reporting” auprès de la FIU en toute discrétion. Tout comme lorsque les banques voient des transactions excessives ou inhabituelles, elles déposent leur STR (suspicious transaction reports) sans que le client ne soit même au courant. Le comptable devient un “whistleblower”, tout comme la banque. Toutefois, si nous travaillons avec une “management company” par exemple, c’est davantage la responsabilité de la MC de tout analyser, de faire la “KYC checklist”, et assurer toutes les procédures nécessaires pour savoir si elle va accepter de travailler avec le client et en même temps de vérifier les sources de financement. Le rôle des comptables consiste ensuite à s’assurer que la MC a fait son KYC et ses vérifications d’usage. »

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