(Crise économique) Familles vulnérables : Les dons se réduisent comme peau de chagrin

– Imam Joomun (M. Kids) : « Depuis deux semaines, les appels d’aide affluent de nouveau. Je revis un peu la détresse de la période de confinement. Or les dons se font rares »

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– Belall Maudarbux (consultant) : « Parmi ceux qui demandent de l’aide figurent des familles de classe moyenne dont les enfants étudient au Canada… »

– L’Ong M-Kids, dans le rouge, se voit dans l’obligation de se débarrasser d’une partie de son personnel

Les prévisions économiques selon lesquelles la situation dans le contexte mauricien sera plus complexe cette année semblent déjà affleurer. Selon l’imam Arshad Joomun, président de l’Ong M-Kids, très présente auprès des plus vulnérables durant le “lockdown” l’an dernier, depuis deux semaines, les appels d’aide affluent de nouveau. « Je revis un peu la détresse de la période du confinement. » Le hic, selon lui, c’est que les dons s’amenuisent comme une peau de chagrin. Belall Maudurbux, consultant en gestion de projets sociaux auprès de M-Kids et d’autres Ong, dit craindre « une spirale vers le bas dans la pauvreté. ». Il précise que parmi les demandeurs figurent « des familles de classe moyenne dont les enfants étudient au Canada ». Le point pour un constat de l’impact de la crise avec des Ong très actives sur le terrain parmi les plus vulnérables.

« Les appels d’aide se sont renouvelés comme pendant le confinement. Notre page Facebook est bondée de demandes d’aide pour un sac de “rasyon” ou pour l’acquittement des factures du CEB, de la CWA, pour le matériel scolaire ou le transport pour l’école », fait ressortir l’imam Arshad Joomun. Mais ce qui complique les choses, selon lui, c’est que les « incoming donations » se font de plus en plus rares.

« Nous ne serons plus en mesure de répondre à ces appels de détresse car notre budget a chuté. Les prix des produits alimentaires ont augmenté de 10% et cela ne sera pas sans impact sur les familles vulnérables, voire celles de classe moyenne ! » Belall Maudarbux, qui agit comme consultant auprès de M-Kids, souligne que s’agissant des bénéficiaires de l’Ong, il y a eu une nette augmentation, soit +30% de demandes. Il impute cela à une accumulation de dettes s’agissant des factures du CEB, de la CWA, etc. sans compter les difficultés qui se sont ensuivies après le confinement comme le chômage et les baisses de salaire. « Ce que nous craignons, c’est une spirale vers le bas dans la pauvreté. »

Il fait, d’autre part, ressortir que des familles de classe moyenne font également appel à l’Ong, dont celles ayant des enfants étudiant au Canada ou en Australie. « Ils demandent du soutien financier pour pouvoir continuer à financer les études de leurs enfants. » Si l’impact de la crise économique sur les familles vulnérables n’apporte, selon lui, pas de différence remarquable car celles-ci étaient déjà en difficulté, c’est un fait que leur panier de la ménagère s’est affaibli davantage.

Le choc pour M-Kids

Mais, « le choc pour M-Kids, c’est qu’elle va devoir se séparer d’une partie de ses employés avec l’autre partie voyant son salaire être réduit pour une deuxième fois depuis le confinement ». Ce qui en est à l’origine, selon le consultant, c’est que durant le confinement « M-Kids a puisé dans ses réserves pour venir en aide aux autres en espérant qu’il y aurait un renflouement mais jusqu’ici il n’y a rien eu de tel en termes de soutien du gouvernement ou ailleurs ». Pour 2021-2021, il n’y a pas de visibilité pour M-Kids. « On dépendait beaucoup de la NSIF mais elle a décidé de réduire le financement des projets de 50% sans raison apparente. De fait, on est dans le rouge ! »

Ce qui amène Arshad Joomun à lancer un appel à la population à « serrer les ceintures et accorder priorité aux choses vraiment nécessaires car autrement, devant, nous nous trouverons dans une situation bien difficile ». Avec la hausse au niveau des appels d’aide, il dit revivre « cette période de détresse pendant le “lockdown” où les gens venaient nous voir pour avoir à manger ». Il regrette que les dons deviennent maigres. « Là où une Ong nous apportait cinq caddies de vivres chaque fin de mois, elle ne nous en donne qu’un caddie. La communauté mauricienne se retrouve dans une situation limitée pour faire des dons. Une personne ne donnera aujourd’hui qu’un sachet de lentilles alors qu’elle aurait pu donner une balle de riz de Rs 600. Les entreprises ont procédé à des réductions de salaire. Cela a apporté un déséquilibre dans les ménages. Là où certains pouvaient donner, ils ne peuvent plus le faire. Nous avons eu une dizaine de cas à M-Kids où des personnes ont vu leur salaire diminué de moitié et venant chercher à manger. Il arrivera un temps où nous ne savons ce qu’il adviendra de ceux qui étaient déjà en difficulté. » Et de rappeler que pendant le confinement, l’Ong a tout fait pour subvenir aux besoins d’un maximum de personnes. « Aujourd’hui, quand on voit quelles sont les Ong qui bénéficient de l’aide du COVID Solidarity Fund, on trouve parmi des Ong qui s’étaient contentées de dire “portez vos masques, restez à la maison…” Vous comprenez mieux alors pourquoi certaines Ong ne sont plus motivées à aller de l’avant ! »

L’Ong, qui se trouve elle-même dans le rouge, dit ne pas savoir comment répondre à toutes les demandes et regrette que la NSIF ait  » réduit le financement des projects de 50% »

De son côté, Saajidah Dauhoo, présidente de SOS Poverty, est d’avis que les difficultés actuelles n’en sont qu’à leur début. « Il y aura d’autres séquelles. Les familles qui étaient déjà vulnérables accumulent les dettes comme les factures d’eau et d’électricité. À la longue, cela deviendra compliqué. » SOS Poverty vient en aide aux enfants et aux parents des poches de pauvreté de la capitale à travers sa crèche et son école maternelle à Vallée-Pitot. « L’économie n’est pas bonne, les marchands ambulants ne travaillent pas. » Elle s’inquiète pour les enfants car ils sont les premières victimes car quand l’argent n’entre pas dans un foyer et que le couple ne va pas bien. Cela a un effet de spirale. » D’autant, ajoute-t-elle, qu’au niveau politique, il y a une instabilité. « Il y a une colère qui est là. Il n’y a pas un sentiment de bien-être. »

Lindsay Morvan, du Mouvement pour le Progrès de Roche-Bois (MPRB), se veut pour sa part plus optimiste. « Nous avions pris contact avec les Ong pendant le confinement pour la distribution de vivres. » Il se réjouit que l’Ong Foodwise apporte toujours son soutien aux habitants de la région. Le MPRB s’occupe de deux groupes d’enfants. D’abord, 25 jeunes de 12-16 ans de lundi à vendredi entre 9h et 15h et un deuxième groupe de quelque 70 enfants qui viennent au MPRB les après-midi pour un accompagnement scolaire. « Nous nous sommes assurés pendant le confinement que leurs familles bénéficient d’un pack alimentaire. Nous avons créé un jardin qui est entretenu par nos jeunes et qui aide à l’autosuffisance alimentaire. Avec le soutien de la HSBC, nous avons fait des dons à des personnes en dehors du MPRB et nous avons collaboré avec Caritas de Roche-Bois pour qu’il n’y ait pas de duplication. Nous avons essayé au maximum de cibler des personnes vraiment méritantes. »

Avec le soutien de la NSIF, le MPRB a pour projet d’offrir un petit-déjeuner et un goûter à ces jeunes. Le MPRB compte aussi continuer ses activités de formation et l’“empowerment” des femmes du quartier avec le Mouvement pour l’Autosuffisance alimentaire (MAA). « Nous avons distribué des pondeuses avec la collaboration du MAA. » Lindsay Morvan dit voir l’avenir avec optimisme. « Je ne suis pas un optimiste passif. Cet avenir est entre nos mains. Si on s’assoit et on attend que la manne nous tombe du ciel, l’avenir sera sombre. Mais, moi, je vois une prise de conscience aujourd’hui sur les valeurs de solidarité, entre voisins et famille. J’ai vu dans des quartiers mixtes (en termes de communauté) des voisins s’entraider et partager ce que l’autre n’avait pas. Je regarde le verre à moitié rempli et non à moitié vide. Au MPRB, il y a beaucoup d’enthousiasme. La question est de savoir comment faire face aux obstacles et comment convertir les défis en force. Quand on a fondé le MPRB il y a 27 ans, j’avais deux enfants en bas âge et aujourd’hui, j’ai trois enfants dont deux m’ont donné des petits-enfants. Edwige Dukhie du MPRB aussi est aujourd’hui grand-mère. Sa fille nous aide au niveau de la communication. Mon fils aide les enfants à travers la musique. Il y a donc une continuité dans notre engagement. Il y a de l’espoir. »

Patricia Adèle-Félicité, secrétaire générale de Caritas, montre quant à elle qu’en ce moment, c’est surtout au niveau des équipements scolaires qu’il y a des demandes d’aide. « Avec la reprise des classes, troisième trimestre ou pas, nombre d’élèves ont eu à renouveler leurs uniformes et chaussures. » Par ailleurs, selon elle, dans les régions où il y a des hôtels et où des habitants ont été employés sur de nouveaux contrats, il y a définitivement eu un impact sur les revenus. « Il y a des difficultés à payer les loyers. Nous avons été témoins de plusieurs cas pareils où nous n’avons pas nécessairement pu leur venir en aide. Mais pendant le mois de décembre, nous avons essayé d’apporter un soutien alimentaire pour permettre aux familles d’économiser. » Elle abonde dans le même sens que M-Kids en disant que les dons au niveau du CSR et des entreprises ont diminué. Somme toute, elle garde de l’espoir, surtout grâce à la « résilience des familles ».

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