Décolonisation et intégrité territoriale : L’International Criminal Court saisie du dossier des Chagos

Des charges de pratiques d’apartheid logées devant la Cour pénale internationale de La Haye contre la Lieutenant-Commander Burbridge de l’armée britannique et le BIOT Commissioner

- Publicité -

Le Chagos APPG de la Chambre des Communes lorgne l’option de réclamer une enquête du Foreign Affairs Committee britannique sur la gestion de l’archipel

En cette période de fin d’année, le dossier de l’archipel des Chagos continue à monopoliser les préoccupations sur le front international. Le dernier développement représente une escalade sur le plan pénal avec l’International Criminal Court de La Haye saisie d’une requête formelle pour l’arrestation de la Lieutenant-Commander Kay Burbridge, représentante de l’armée britannique sur la base militaire de Diego Garcia, le commissaire britannique, son adjoint, l’administrateur de l’archipel de même que les conseils légaux du gouvernement Johnson. Ces derniers sont accusés de pratiquer l’apartheid contre les Chagossiens interdits de revenir s’installer dans leurs îles natales.

Cette initiative revient au Dr Jonathan Levy, Solicitor, dont les services sont retenus dans des litiges de réclamation également aux États-Unis par des Chagossiens installés aux Seychelles. En parallèle, Port-Louis et Londres se préparent à livrer un duel sans merci avec pour toile de fond le sommet virtuel de l’Indian Ocean Tuna Commission (IOTC), débutant demain et s’échelonnant sur cinq jours. La partie mauricienne ne compte nullement abandonner la thèse que la Grande-Bretagne doit être expulsée de cette instance régionale parce qu’elle n’a jamais été un Coastal State dans l’océan Indien. Et toujours dans la conjoncture, le prochain move politique envisagé par le Chagos All-Party Parliamentary Group de la Chambre des Communes porte sur la demande pour une enquête du Foreign Affairs Committee britannique sur la gestion de l’archipel compte tenu de la stubborn attitude adoptée contre vents et marées par les autorités britanniques.

En fin de semaine dernière, le Dr Jonathan Levy, avoué exerçant en Grande-Bretagne, a confirmé avoir initié une action pénale au niveau de l’International Court of Justice de La Haye. La demande porte sur l’interpellation de la British Military Representative sur la base de Diego Garcia, la Lieutenant-Commander Kay Burbridge, de même que le commissaire britannique, son adjoint, l’administrateur et les conseils légaux de Her Majesty’s Government de même que leur comparution devant la Cour Pénale Internationale. Officiellement, ils sont accusés d’avoir pratiqué de manière flagrante l’apartheid à l’égard des Chagossiens en interdisant leur retour dans l’archipel.

Dans les réclamations devant la Cour Pénale Internationale, mention est faite que « the territory’s British administration has instituted laws preventing the Chagossians from living in the Chagos Archipelago, which they may only visit under military escort. The all-white administration enforces these laws with the help of a Royal Navy contingent in the islands. » L’avoué des Chagossiens fait également état des revers essuyés par la Grande-Bretagne avec l’Advisory Opinion de la Cour Internationale de Justice de La Haye le 25 février 2019 et devant l’assemblée générale des Nations unies en pas moins de deux occasions récemment et aussi le refus de Londres d’obtempérer à ces injonctions internationales en vue de mettre fin « to an unlawful and serious violation of international law by refusing to allow the Chagossians to resettle. »

Commentant cette démarche au nom de la communauté des Chagos, principalement ceux des Seychelles, l’homme de loi britannique souligne que “racism is the enemy of all mankind and apartheid is the highest form of racism. For officials of the Foreign and Commonwealth Office, as well as their legal advisers, to promote racism is completely unacceptable. The Chagossians only seek to return to their homes and property : the secret US/UK base at Diego Garcia can coexist with the Chagossians.”

L’option d’une retaliation de la part de Washington, allié indéfectible des Britanniques sur les Chagos, n’est pas à écarter, car au cours de la semaine dernière, soit coïncidant avec l’affaire devant l’International Criminal Court, Maurice a été placée par le Départment d’État américain dans le COVID-19 Tier 3 Group of Countries avec les ressortissants américains appelés à revoir tout plan de voyage à Maurice. Et cela, sans aucune raison apparente pour l’instant quant aux risques d’une résurgence de la pandémie sur l’île.

À la décharge des Américains, il y a encore le fait que ce même groupe de Chagossiens des Seychelles, Bernard Nourrice et Solomon Prosper, par les soins de Me Levy et se prévalant des dispositions de la Foreign Claims Act, a engagé des procédures pour des réclamations de compensation de 100 000 dollars américains par tête de Chagossien « for emotional distress and property damages ». Ce procès, qui a été logé il y a quelques semaines, est instruit aux États-Unis contre la US Naval Support Facility à Diego Garcia.

Justifiant ces réclamations aux Américains, Me Levy s’appesantit sur le fait que “the damage claims are quite reasonable given the intense sufferings of the Chagossians who as a people were utterly devastated by their deportation. Even though there are several thousand Chagossians, their claims are capped at $100, 000 each. The comparable US base at Camp Lemonier, Djibouti, costs the United States approximately $70 million per year to lease, the Chagossians who are the real owners of Diego Garcia Atoll are seeking only a small fraction of the back rent.”

Sur un autre plan, l’International Criminal Court n’est pas en odeur de sainteté auprès de l’administration américaine. La procureure générale de cette instance pénale suprême, Fatou Bensouda, qui avait osé ouvrir une enquête sur l’armée américaine, a été sanctionnée par Washington. Elle a été placée sur la Specially Designated Nationals and Blocked Person List, traitement qui est normalement réservé à des terroristes, des dictateurs ou encore des parrains de la mafia de la drogue.

Mince espoir
En tout cas, cette opération de name and shame, indépendamment du ressort des autorités mauriciennes, s’inscrit dans la ligne adoptée jusqu’ici, avec le Premier ministre, Pravind Jugnauth, accusant la Grande-Bretagne de crime contre l’humanité avec l’excision unilatérale et l’occupation illégale de cette partie du territoire mauricien au cours de ces 50 dernières années, privant au moins huit générations de Chagossiens de leur droit fondamental. Tout récemment, Pravind Jugnauth, avait aussi accusé la Grande-Bretagne et les États-Unis d’hypocrisie. Mardi prochain, lors d’une cérémonie de dépôt de gerbes dans l’enceinte portuaire pour marquer le début de l’exil forcé des Chagossiens à Maurice, le ton devra monter encore d’un cran dans les critiques.
Par contre, le Chagos All-Party Parliamentary Group (APPG), comprenant des parlementaires de tous bords politiques de la Chambre des Communes et de la House of Lords, entretient encore un mince espoir de voir Maurice et la Grande-Bretagne se mettre à table pour tenter de régler ce différend politique et territorial à la satisfaction de tout un chacun. C’est ce qui se dégage des dernières délibérations de cette instance en date du mercredi 21 octobre à Londres.

Face à la décision de Maurice, en raison de la pandémie de COVID-129, de demander un report à l’année prochaine de la présidence de l’assemblée générale des Nations unies pour la présentation de la « draft resolution concerning the UK’s failure to abide by the ICJ Advisory Opinion and subsequent UNGA resolution of 22 May 2019 which had set a deadline of 22 November 2019 for implementation », les membres de l’APPG sur les Chagos y voient une occasion de renouer les contacts entre les deux parties. « This could provide an opportunity for diplomatic discussions between the UK and Mauritius », note David Snoxell, ancien haut commissaire britannique à Maurice, converti en coordonnateur de cette instance.

En contrepartie, la réaction des autorités britanniques aux lettres et autres correspondances depuis mars à août de cette année pousse les membres de l’APPG sur les Chagos à conclure dans l’ensemble que « the Group felt that the reply had ignored most of the points made by the Chairman. » Dans un premier temps, cette instance parlementaire compte solliciter une rencontre avec le Foreign Secretary pour des discussions, faute de quoi le groupe pourrait réclamer des débats sur les Chagos à l’ajournement à la Chambre des Communes.
Pression

Le Chagos APPG prévoit également d’emprunter une autre avenue pour faire pression sur le gouvernemet de Boris Johnson. « In view of the lack of progress since the APPG was established in December 2008, members decided that the Foreign Affairs Committee (FAC) should be asked to hold an inquiry into Chagos. It had last done so in 2007/8 when it concluded that there was a strong moral case for the UK permitting and supporting a return to BIOT. The situation had regressed dramatically since then, particularly in view of the ICJ and UNGA involvement which came about because the UK had made little attempt to resolve the issues with Mauritius and the US over the previous 18 years. It was time for a radical rethink of policy towards Chagos », ajoute David Snoxell dans une communication publique résumant la séance de travail de la fin d’octobre.

En plus, le Chagos APPG ne compte plus se limiter à des tractations behind closed doors et envisage de go public avec la décision à l’effet que « letters from the chairman and members of the Group to Ministers since 2008, and future correspondence should be placed in the public domain for the benefit of historical evidence and research. » David Snoxell fait également état que « there was support for a proposal that the APPG should call for a public inquiry into the conduct of the FCO’s management of the international aspects of policy towards BIOT/Chagos since 2000. This might follow on from a FAC inquiry. The Group decided to keep the idea under active consideration and revisit it next year. »

L’All Party Parliamentary Group sur les Chagos s’est également penché sur un avls légal portant sur l’appel logé en Cour suprême britannique par le tandem Haoreau-Bancoult. À cet effet, il n’est pas exclu que « failing the Supreme Court the case could return to the ECtHR in Strasbourg, in view of the 2019 ICJ Advisory Opinion. » Sans compter que la Special Chamber de l’International Tribunal for the Law of the Sea (ITLOS) a annoncé que les findings sur la délimitation des frontières maritimes au nord de l’archipel des Chagos entre Maurice et les Maldives seront rendus publics au début de l’année prochaine.

Comme quoi, ce n’est pas seulement à Port-Louis que la flamme pour le processus de la décolonisation complète de Maurice et le retour des Chagossiens dans leurs îles natales est entretenue…

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -